Les écoles indépendantes analysées comme des “phénomènes de déscolarisation” par la recherche universitaire (!)

L’université s’intéresse aux recompositions des rôles des différents acteurs éducatifs en cas de choix alternatifs de scolarisation.

Une équipe de chercheurs du LLE, le Laboratoire de l’Education de l’Ecole Normale Supérieur de Lyon, se penche actuellement sur les formes de scolarisations hors du système éducatif public ou privé sous contrat, sous l’étonnante appellation de “phénomènes de déscolarisation”.

Voici la reproduction de  ce programme de recherche ci-dessous ; vous pouvez également consulter ce programme sur la page du LLE


“Phénomènes de déscolarisation”

Comment, dans des contextes d’éducation alternatifs à la norme scolaire comme « l’instruction en famille » ou les écoles Montessori, les acteurs (professionnels et non-professionnels) agissent-ils avec les enfants ?

I. Membres du projet

  • Françoise Carraud, MCF en sciences de l’éducation, ECP, Université Lyon 2, directrice adjointe de RELYS, porteuse du projet
  • Philippe Bongrand, MCF en sciences de l’éducation, ÉMA, Université de Cergy-Pontoise
  • Jean-Charles Chabanne, PU en sciences de l’éducation, IFÉ
  • Géraldine Farges, MCF en sciences de l’éducation, IREDU, Université de Bourgogne
  • Dominique Glasman, PU émérite en sociologie, LLSETI, Université de Savoie Mont Blanc
  • André D. Robert, PU émérite en sciences de l’éducation, ECP, Université Lyon 2
  • Jean-Yves Seguy, MCF en sciences de l’éducation, ECP, Université Jean Monnet
  • Élise Tenret, MCF en sociologie, IRISSO, Université Paris Dauphine

II. Objet

En France, l’instruction obligatoire des enfants, âgés de 6 à 16 ans, peut être donnée suivant trois principales modalités : dans les établissements publics ou privés sous contrat, dans les établissements hors contrat, ou bien dans la famille. Ces deux dernières modalités sont encore marginales : elles représentant respectivement de l’ordre de 0,5 % et 0,3 % des générations concernées. Cependant, l’augmentation récente de ces statistiques, la réforme de la réglementation engagée par un ministère apparemment préoccupé, ainsi que l’écho donné par les médias à ces formes alternatives à la scolarisation ordinaire, suggèrent que la situation actuelle recèle ou amorce un changement potentiel. Parce qu’elle est mouvante et sensiblement incertaine, cette situation se montre propice à l’enquête.

Comment, dans des contextes d’éducation aussi alternatifs à la norme scolaire que « l’instruction en famille » ou les écoles hors contrat (écoles Montessori, écoles démocratiques et autres), dans des contextes aussi ouverts à l’invention ou à la négociation de formes originales de travail éducatif, les acteurs (professionnels et non-professionnels) agissent-ils avec les enfants ? Comment (co-)définissent-ils et investissent-ils leur rôle en matière d’éducation des enfants? Selon quelles configurations et reconfigurations professionnelles et sociales ?

La division du travail éducatif entre les adultes est habituellement envisagée sur le terrain (ou dans le contexte) des écoles publiques ou privées sous contrat. Compte tenu de l’histoire et de l’ampleur de l’institutionnalisation de l’École, cette division y est fortement structurée : elle s’adosse à des rôles qui font l’objet de prescriptions écrites et d’usages dominants.

La scolarisation repose en effet, premièrement, sur la professionnalisation d’agents, à qui est confiée une partie de l’éducation des enfants. Les enseignant.e.s, en particulier, sont formé.e.s à des objectifs, valeurs et méthodes relativement codifiés et qui, ensemble, dessinent les repères d’un programme institutionnel. Si la sociologie de l’éducation — et notamment la sociologie du curriculum — engage à ne pas prendre les termes de ce programme pour la réalité de sa mise en œuvre, on peut cependant considérer que cette professionnalisation revient à clore certaines questions : la teneur des objectifs officiels de l’enseignement, les épreuves et titres de compétence des agents, l’organisation du temps de l’enseignement, etc., y sont a priori « réglés ». Comme on le verra infra, notre proposition est d’étudier des acteurs ou contextes qui, au nom d’une autre manière d’être enseignant, voire en refusant toute posture d’« éducateur », posent ces questions à de nouveaux frais.

La scolarisation repose, deuxièmement, sur la régulation bureaucratique de ce travail éducatif et de ses agents. Au sein de l’Éducation nationale, des inspecteurs sont chargés de vérifier l’effectivité des objectifs assignés et, en particulier, des pratiques pédagogiques que les enseignant.e.s, en vertu du rôle qui leur est confié, mettent en œuvre. En matière de scolarisation, les familles doivent également assumer une responsabilité qui fait l’objet de contrôles par l’administration des établissements d’enseignement, et parfois également par l’administration de la protection de l’enfance. Dans ces différents cas, la réglementation explicite bien un cadre où des rôles sont traduits en diverses procédures et modalités de travail : les éducateurs ont des missions respectives, ils mobilisent des outils et usages en produisant un travail, et leurs activités et missions sont régulées. Comme on le verra infra, notre proposition est d’étudier des acteurs ou contextes qui imposent non seulement d’inventer des modalités alternatives d’éducation (et donc des rôles et modalités de travail qui les accomplissent) mais aussi, de façon indissociable, des formes alternatives de contrôle (donc des rôles des contrôleurs).

Enfin, la professionnalisation de l’enseignement tout autant que sa régulation reposent sur leur légitimation auprès des populations concernées. Les parents d’élèves, en particulier, reconnaissent aux enseignant.e.s ainsi qu’à leurs régulateurs publics une légitimité à définir des objectifs et modalités d’éducation. Ces parents d’élèves « découpent » ainsi la responsabilité de l’éducation de leur enfant en identifiant des territoires, compétences, objectifs et modalités respectivement familiaux et scolaires. La scolarisation est donc solidaire de frontières public/privé, de part et d’autre desquelles se construisent des habilitations à agir. Sur les terrains que nous proposons d’étudier, les parents (qui assurent eux-mêmes l’instruction de leurs enfants, ou qui les scolarisent dans des établissements hors contrat) envisagent ce « découpage » de telle sorte qu’il écarte radicalement l’institution scolaire (entendue non seulement comme organisation publique, mais également comme mode de socialisation spécifique). À ce titre, ces parents remettent en question la légitimation de l’École. Ils nourrissent pourtant bien un projet éducatif et recourent à des supports (manuels, enseignements à distance, etc.) ou à des agents (enseignants, animateurs, etc.) qui sont professionnels ou proto-professionnels (des « modèles », « figures » ou entrepreneurs de norme, dans le champ de l’instruction en famille et des écoles démocratiques, peuvent en effet être envisagés dans cette perspective). Dès lors, ils mettent en place une forme de division du travail d’éducation et des frontières public/privé dont on peut chercher à caractériser la potentielle originalité. Cette division est, ici aussi, l’objet de régulation par des contrôleurs. Ceux-ci, compte tenu de la marginalité et de l’originalité de ces pratiques éducatives alternatives, doivent définir et négocier des modalités de contrôle adaptées, et, partant identifier les rôles éducatifs qu’ils vont alors concourir à légitimer.

Schématique et à visée d’élaboration d’une construction théorique d’un objet de recherche, la description qui précède souligne que la scolarisation est solidaire de l’institutionnalisation d’une division du travail d’éducation entre des parents, des enseignants et des régulateurs. À ce titre, il est possible d’étudier comment ces différentes catégories d’acteurs perçoivent, pratiquent et négocient leurs rôles respectifs, donc la division du travail et la configuration d’ensemble qui régit leur relation, donc la teneur du travail éducatif qui, envisagé dans son ensemble, est mené auprès des jeunes générations.

III. Comment se recomposent les rôles en contexte alternatifs

Notre projet de recherche porte sur trois catégories d’acteurs qui interviennent dans l’instruction d’enfants instruits hors établissement ou bien en école privée hors contrat : les parents, les enseignants, les contrôleurs (qui peuvent avoir différents statuts d’inspecteur) de l’Éducation nationale.

Une première série d’enquêtes consiste à interroger des mères et des pères qui, au moment de l’entretien,assument comme un choix (et non comme une contrainte) la non scolarisation de leur enfant soumis à l’instruction obligatoire. Les entretiens permettent d’étudier comment ces femmes et ces hommes envisagent leur rôle d’éducateur/trice, comment ils/elles l’articulent à leur rôle de parent et comment ils/elles le mettent spécifiquement en scène, ou en discours, lorsqu’ils/elles interagissent avec des contrôleurs. Ces enquêtes aborderont en particulier l’éducation artistique et culturelle.

Une deuxième série d’enquêtes porte sur les enseignant.e.s et les parents des écoles hors contrat (écoles Montessori et écoles démocratiques). Ces écoles étant en cours de création, elles offrent à leurs interactants, et notamment aux parents et enseignant.e.s, de nombreuses prises à la négociation. Les entretiens et les observations cherchent à identifier les moments, objets précis et modalités de cette négociation.

La troisième série d’enquêtes concerne les interactions entre contrôleurs et contrôlés. À partir d’entretiens avec des contrôleurs de l’Éducation nationale et à partir du dépouillement de rapports de contrôle de famille, l’objectif est d’observer les critères et indicateurs qui, en pratique, se montrent centraux pour stabiliser un accord, entre parents et contrôleurs, au sujet de leurs rôles respectifs légitimes en matière d’éducation des enfants.

IV. Un projet émergent

Les enquêtes évoquées au point précédent sont pour la plupart en cours d’engagement, à titre exploratoire et sans financement spécifique. Leurs porteurs sollicitent donc le LLE dans sa logique de pépinière : il s’agit de permettre à ces enquêtes de se poursuivre et à leurs porteurs de travailler ensemble afin d’atteindre l’échelle propice à soumettre le projet, avec des chances de succès, à un appel à projets national ou européen.

À l’Université de Lyon, Françoise Carraud (responsable de l’axe 1 «professionnalités, activité, trajectoires » d’ECP, directrice adjointe de la SFR RELYS) a amorcé des enquêtes auprès d’écoles privées hors contrat. Elle en étudie les fonctionnements ordinaires et, en particulier, l’activité des différents acteurs (enseignants, éducateurs, parents et enfants). D’autre part, André Robert et Jean-Yves Seguy (tous deux aussi membres d’ECP), travaillent sur l’histoire de l’instruction obligatoire et de sa mise en œuvre.

Au sein de l’IFÉ, Jean-Charles Chabanne travaille sur les questions didactiques en jeu dans l’éducation artistique et culturelle. Sa contribution au présent projet consisterait à interroger

À l’Université de Cergy-Pontoise, un groupe de travail s’est constitué au cours des années 2015-2017 pour enquêter auprès des parents qui instruisent dans la famille, ainsi qu’auprès des administrations qui les encadrent. Porté par P. Bongrand, D. Glasman, G. Farges et É. Tenret, ce groupe organise depuis 2015 un séminaire de recherchi qui lui a permis de nouer des contacts avec les principaux universitaires occidentaux travaillant sur l’instruction en famille, et de publier des articles sur le sujeti.

Les milieux militants pour la non scolarisation et les écoles démocratiques sont en partie sécants. Ils partagent des références pédagogiques communes et connaissent des conditions d’encadrement public proches. Nos recherches sur ces deux milieux, respectivement à Cergy-Pontoise et Lyon, nous ont ainsi rapidement conduit à envisager d’organiser des moments et instruments d’échange scientifique.

Contacts

Le Laboratoire de l’Education

UMS 3773

Ens de Lyon

15 parvis René Descartes69007 Lyon

Tél : (+33) 4 37 37 61 65