Ce type d’éducation alternatif qu’est l’école à la maison se trouve ainsi sous le feu des projecteurs. Comment définir ce mode d’apprentissage qui, tout en étant très marginal, est en progression depuis plusieurs années ? En quoi les mesures actuelles vont-elles changer les choses pour les familles ?
Un mode d’éducation ancien et légal
La loi Ferry du 28 mars 1882 instaure l’instruction obligatoire, qui se déroule au sein d’établissements scolaires, publics ou privés, ou dans les familles. Cette disposition est toujours aujourd’hui en vigueur à travers l’article L.131-2 du Code de l’Éducation.
Ce choix souligne que c’est l’instruction qui est obligatoire, et non l’école, mais aussi que, d’un point de vue historique, l’éducation des enfants relève de la prérogative des parents. En construisant une institution scolaire publique pour tous depuis le XIXe siècle, l’État a marginalisé ce mode d’éducation parentale, tout en lui conservant un statut légal en France au nom de la liberté d’enseignement.
À ce titre en restreignant l’instruction à domicile « notamment à des impératifs de santé », le président de la République a assuré avoir pris « une décision, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 ».
Il ne s’agit toutefois pas d’une interdiction mais d’une limitation stricte de la liberté d’enseignement en famille, ce qui évitera les recours pour inconstitutionnalité.
Une alternative en progression
Dans son intervention le président de la République a souligné la « nécessité » d’une telle mesure par les risques que fait peser l’essor de ce mode d’apprentissage. Plus de 50 000 enfants pratiqueraient l’instruction à domicile en 2020. Une augmentation par rapport au chiffre donné de 41 000 à la rentrée 2019 et 35 000 en 2018.
C’est toutefois un courant éducatif alternatif qui reste très marginal et représente moins de 0,5 % des enfants en âge d’être scolarisés. Néanmoins, c’est une augmentation notable d’autant plus que les contours de ce mouvement émergent, objet d’étude et de recherches récent, sont encore peu connus.
La non scolarisation apparaît comme une opposition à l’école comme institution en tant que telle, publique ou privée. Mais ces refus de l’école sont liés à de multiples choix des familles qu’ils soient médicaux, pédagogiques, humains, environnementaux, alimentaires, mais aussi, sans qu’aucun chiffre ne soit donné, religieux.
La législation actuelle définit deux cas de non-scolarisation. Tout d’abord, l’instruction à domicile comme « choix » de la famille où l’instruction peut être dispensée par les parents ou toute autre personne de leur choix sans qu’aucun diplôme ne soit requis. C’est ce premier cas qui est remis en cause dans le plan présidentiel du 2 octobre 2020.
Ensuite, les cas où l’enfant ne peut être scolarisé, pour de multiples raisons et en particulier médicales. Les services du rectorat donnent dans ce cas un avis favorable pour une inscription au Centre national d’enseignement à distance (CNED). Par ce biais, les enfants non scolarisés ont la possibilité d’obtenir un enseignement avec un suivi pédagogique effectué par un professeur et un relevé de notes.
Actuellement, après la déclaration de l’instruction dans la famille, deux enquêtes sont menées par les services publics :
- D’une part, une enquête à caractère social, afin de vérifier que l’instruction est dispensée dans des conditions compatibles avec l’état de santé de l’enfant et le mode de vie de la famille.
- D’autre part, une enquête à caractère pédagogique, afin de s’assurer que l’enseignement dispensé est conforme au droit de l’enfant à l’instruction.
Un contrôle annuel vise à vérifier la progression de l’enfant dans le cursus mis en œuvre par les personnes responsables en fonction de leurs choix éducatifs.
Des contrôles de plus en plus stricts
Le président de la république a dénoncé le fait que des enfants soient « déscolarisés parce que leurs parents ne veulent plus qu’ils suivent l’école de la République ». Cette situation marque la vigilance de plus en plus étroite envers des modes d’éducation « hors système ».
La méfiance des gouvernements envers la non scolarisation est internationale. Si dans certains pays, comme l’Allemagne, l’instruction à domicile est déjà réduite à des cas exceptionnels, les restrictions et les contrôles sont de plus en plus stricts, comme en Espagne ou en Grèce, lorsque ce mode d’éducation est encore légal.
Depuis avril 2018, la loi Gatel a renforcé les contrôles des écoles hors contrat. Toujours en 2018, le plan national de prévention de la radicalisation visait à améliorer l’organisation et la mise en œuvre du contrôle des familles non scolarisantes.
En 2019, la loi du 26 juillet 2019, dite de « l’école de la confiance », précise dans son article 19 le besoin d’un renforcement du contrôle de l’instruction au nom même d’un droit pour tous à l’éducation.
Éducation à domicile et écoles hors contrat
Le discours du 2 octobre a créé un lien direct entre les séparatismes, l’instruction à domicile et les écoles hors contrat qui sont les réelles cibles des mesures contre le séparatisme religieux. La porosité existe entre les familles non scolarisantes et certaines écoles hors contrat. Ces dernières, qui ne reçoivent aucun subside public, peuvent ne pas suivre les programmes mais sont toutefois assujetties au socle commun de connaissances, garant d’un suivi des apprentissages.
Certaines de ces écoles accueillent une partie du temps scolaire des familles qui souhaitent que leurs enfants puissent acquérir une vie sociale. Mais, clairement, l’amalgame entre les deux formes d’éducation est préjudiciable aux familles qui ont fait des choix éducatifs hors de toute considération religieuse ou doctrinaire. Par ailleurs, sur les 1700 établissements privés hors contrat, un tiers seulement sont des établissements confessionnels, les autres étant des établissements laïques et alternatifs pratiquant par exemple la pédagogie Montessori.
Emmanuel Macron a parlé d’écoles illégales fermées, souvent administrées par des extrémistes religieux. Depuis 2018, une dizaine d’écoles hors contrat sont soupçonnées d’endoctrinement religieux. Le ministre de l’Éducation nationale Jean‑Michel Blanquer souligne que cette loi contre le séparatisme améliorera l’arsenal juridique pour protéger les enfants de tout embrigadement. La question même des modalités de cette nouvelle loi est posée.
Les mesures annoncées ont été un coup de tonnerre pour les parents qui pratiquent l’instruction à domicile. Le plan d’action détaillé le 2 octobre vise à assurer « l’école pour tous ». Clairement, la suspicion sera plus grande envers ce mode d’éducation et les contrôles renforcés seront plus stricts.
Ce rappel que l’institution scolaire est le garant d’une instruction commune en permettant à tous les enfants de se rencontrer fait de l’école l’élément majeur de notre démocratie, comme le rappelle Philippe Meirieu. L’école publique reste le lieu privilégié de la mixité sociale, des échanges et des apprentissages, encore faut-il qu’on lui en donne les moyens.
Quels seront les choix futurs des familles qui pratiquent actuellement l’instruction à domicile ? Assistera-t-on à une politique « attractive » de l’enseignement privé pour attirer ces familles ? A contrario, l’école publique se devra d’être exemplaire en étant inclusive, à l’écoute de tous les parents soucieux du bien être de leurs enfants. Être conforme à ses engagements est le seul moyen d’être l’école de tous.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.