[TRIBUNE] « Les écoles libres hors contrat : précieuses et menacées, même dans la France de 2018 ! »

Alors qu’une proposition de loi visant à restreindre la capacité d’ouverture des écoles hors contrat est étudiée au Sénat, Anne Coffinier signe une tribune ce lundi 12 février dans Le Figaro pour dénoncer le double discours du gouvernement.

“Très majoritairement non confessionnels – contrairement aux clichés -, ces établissements entièrement libres offrent une flexibilité pédagogique féconde dans le respect strict de la loi: ils peuvent expérimenter les langues et cultures régionales, les pédagogies (Montessori), le bilinguisme, le bac international ou l’approche éco-citoyenne. Ces écoles peuvent faire vivre des traditions d’exigence en optant pour un classicisme académique mettant la grammaire, le latin et le grec à l’honneur ; ou bien, par leur souplesse, permettre l’essor de filières sport-études ou encore ouvertes à une pratique intensive des arts. Ces écoles offrent à la société civile un espace d’engagement et coopèrent avec les familles sans crispation.

Si le privé hors contrat ne subissait pas les interdictions archaïques de financements publics, ces écoles pourraient apporter bien plus.

Tribune complète :

Avec l’élection d’Emmanuel Macron, nous nous sommes pris à espérer que les innovations de la société civile, de même que les bonnes idées développées chez nos partenaires étrangers pourraient enfin libérer l’énergie et la créativité françaises et renouveler les élites. À peine nommé Rue de Grenelle, notre ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, alimentait cet espoir en déclarant dans le JDD : «Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’inspirer du privé, mais aussi des modèles étrangers et surtout des études scientifiques. Le vrai ennemi du service public, c’est l’égalitarisme ; son ami, la liberté. La liberté bien conçue favorise l’égalité.»

Les écoles privées hors contrat apportent une précieuse respiration au système éducatif français

C’était reconnaître le rôle de laboratoire pédagogique des écoles entièrement libres, dites hors contrat. En effet, l’alignement des écoles libres sous contrat sur les programmes, les volumes horaires et les normes de recrutement de l’Éducation nationale ne leur donnent pas vraiment la capacité de constituer des alternatives pédagogiques, malgré tous leurs mérites. En revanche, fortes de leur liberté pour ce qui regarde le programme, les horaires, les matières, le recrutement, et riches de leur ouverture à l’international, les écoles privées hors contrat apportent une précieuse respiration au système éducatif français. Ces écoles indépendantes expérimentent de nouvelles approches, notamment au profit des publics que l’Éducation nationale prend mal en charge, tels les enfants dyslexiques ou à haut potentiel.

Les écoles privées hors contrat représentent un utile aiguillon et offrent d’indispensables alternatives. Elles connaissent un développement exponentiel avec une croissance de 11 % en un an, soit 122 ouvertures d’école, et plus de 65.000 élèves scolarisés au total. Il s’agit d’un vrai phénomène de société, souvent méconnu du grand public. Ces écoles indépendantes représentent une planche de salut pour nombre d’enfants qui sont à la peine dans l’Éducation nationale.

Très majoritairement non confessionnels – contrairement aux clichés -, ces établissements entièrement libres offrent une flexibilité pédagogique féconde dans le respect strict de la loi: ils peuvent expérimenter les langues et cultures régionales, les pédagogies (Montessori), le bilinguisme, le bac international ou l’approche éco-citoyenne. Ces écoles peuvent faire vivre des traditions d’exigence en optant pour un classicisme académique mettant la grammaire, le latin et le grec à l’honneur ; ou bien, par leur souplesse, permettre l’essor de filières sport-études ou encore ouvertes à une pratique intensive des arts. Ces écoles offrent à la société civile un espace d’engagement et coopèrent avec les familles sans crispation.

Si le privé hors contrat ne subissait pas les interdictions archaïques de financements publics, ces écoles pourraient apporter bien plus

Si le privé hors contrat ne subissait pas les interdictions archaïques de financements publics héritées de l’époque de la guerre scolaire, ces écoles pourraient apporter bien plus, à l’instar des «free schools» anglaises, qui sont financées sur fonds publics, mais développées sur la base de la vision et de l’énergie de parrains privés, personnalités talentueuses ayant excellé dans le monde de l’entreprise, des arts, ou des universités prestigieuses. Oui, les talents de la société civile ont beaucoup à apporter à l’école, qui ne doit pas être un univers technocratique endogame, mais un lieu vivant, ouvert à l’innovation privée. Xavier Niel, par exemple, ne l’a-t-il pas démontré en fondant son École 42?

Or, un fait incompréhensible et choquant se déroule ces jours-ci: le ministère de l’Éducation nationale apporte son soutien actif à une proposition de loi sénatoriale d’origine centriste (n° 589), qui vise à briser l’essor des écoles hors contrat. Toutes les ingéniosités techniques sont déployées pour rendre quasi impossible la création d’écoles réellement libres, donc porteuses de vraies alternatives pédagogiques. Les délais d’opposition seraient triplés, le gouvernement prendrait la main en faisant basculer dans le domaine réglementaire leurs conditions de création, qui jusqu’alors relevaient de la loi – la moindre des choses pour une liberté de rang constitutionnel!

En outre, si cette proposition de loi funeste était adoptée, des contraintes administratives imposées seraient plus fortes que celles exigées des écoles sous contrat, en contradiction totale avec l’esprit de la loi Debré de 1959, alors que les écoles hors contrat sont légales et qu’elles ne reçoivent, on l’a dit, aucune subvention publique. Ainsi, le créateur d’école devrait donner – trois mois à l’avance – la liste des professeurs et des titres, le projet pédagogique, les programmes, les volumes horaires par matière, les financements…

Quelle est la visée d’une telle proposition de loi? Toute liberté peut donner lieu à des abus, mais ce n’est pas une raison pour la supprimer. Pour prévenir des dérives, il faut diligenter des contrôles une fois que les écoles existent, pas en amont, sur la foi d’un dossier purement administratif. Oserait-on soumettre la presse à un régime d’autorisation préalable, comme sous Napoléon III? C’est ce que la proposition de loi soutenue par la Rue de Grenelle cherche de facto à instituer pour les écoles privées hors contrat.

Il ne faut pas que le ministre de l’Éducation nationale laisse l’administration étouffer la liberté de la société civile

Pour qu’elles puissent stimuler l’innovation pédagogique, il faudrait contrôler les écoles entièrement libres sur leurs résultats académiques et leur performance sociale, bien plus que sur leur conformité à la vision pédagogique de l’Éducation nationale. Enfin, il serait bon que les rapports d’inspection soient rendus publics et que d’autres acteurs que l’Éducation nationale participent à ce contrôle, dont le principe est, nous le reconnaissons, légitime et même nécessaire.

À l’heure où la qualité de l’enseignement est le fer de lance de l’économie, il ne faut pas que le ministre de l’Éducation nationale laisse l’administration étouffer la liberté de la société civile. À lui de protéger les écoles indépendantes, précieux aiguillon de la réforme, soupape de sécurité de tout le système scolaire, lieu d’accueil des différences. Dans le monde entier, les écoles indépendantes sont à l’avant-garde de l’innovation. Il serait absurde que le corporatisme de l’administration de l’Éducation nationale obère les chances de la France de retrouver sa force intellectuelle et son audace d’innover.”

Retrouvez tout le texte de la tribune sur le site du Figaro ou dans l’édition du 12 février 2018. Pour télécharger l’article : Article Figaro du 12-02-2018