Le Nouvel Economiste spécial “Fondations abritantes”

L’ex-Président de la Fondation pour l’école Lionel Devic, avocat spécialiste du droit des fondations et des associations et administrateur de la Fondation, était longuement interrogé par Le nouvel économiste pour son dossier spécial consacré aux fondations abritantes et abritées. Un article paru le 11 février 2021 consultable ici.


Fondations abritantes et abritées, un tandem pragmatique

Conditions et fonctionnement d’un partenariat mutuellement intéressant s’il est bien compris et respecté.

Fondations abritante et abritée, un tandem pragmatique

©Freepik

Placer son projet philanthropique sous l’égide d’une fondation abritante peut s’avérer intéressant… et rapide. En échange d’un ticket d’entrée et d’un pourcentage sur les dons, les fondations abritées reçoivent légitimité, connaissance du terrain et des projets, ainsi qu’un accompagnement sur les aspects juridiques, administratifs ou encore fiscaux de la part des fondations abritantes. Pour ces dernières, abriter une fondation permet de lever des fonds additionnels auprès de grands donateurs. Un partenariat mutuellement intéressant s’il est bien compris et respecté.


“Lorsque l’on crée une fondation, on crée de l’espoir”, déclare Frédéric Théret, directeur du développement de la Fondation de France. Reste que créer une fondation n’est pas simple. C’est aussi onéreux. Muni d’un capital minimum de 1,5 million d’euros, il s’agira ensuite de passer sous les fourches caudines de l’administration et du Conseil d’État, qui accordera ou non un décret autorisant la naissance de la fondation.

Pour ceux que le mécénat tente, il existe néanmoins une possibilité : créer une fondation abritée sous l’égide d’une fondation abritante. C’est le statut qu’ont choisi 55 % des quelque 1 500 fondations en France. “La fondation abritée est le moyen le moins coûteux et le plus simple pour créer une première fondation”, estime Frédéric Théret.

La fondations abritée et abritante, un accompagnement simple et rassurant

Comme en témoigne Isabelle Bordeau, vice-présidente de la fondation Ensemble Emera ,créée par le groupe Emera, spécialisé dans les résidences séniors et les Ehpad, et membre du directoire de la fondation non abritante Visio, “il n’est pas simple de créer une fondation car sa gestion, sa comptabilité et son administration sont différentes de celles d’une entreprise.

Le statut de fondation abritée nous a permis de créer rapidement notre fondation, sous l’égide de la fondation Caritas, en une année.” “C’est une solution plus simple et pragmatique, qui permet aux mécènes de bénéficier du soutien logistique, juridique et administratif de la fondation abritante. Cela nécessite la signature d’une convention. Un comité de gestion sera constitué et chargé d’arbitrer les actions de la fondation abritée. Il n’existera qu’une seule personne morale : celle de la fondation abritante”, explique maître Lionel Devic, président de la Fondation pour l’école, qui abrite dix fondations, et avocat spécialisé dans le droit des organisations non lucratives.

“C’est une solution plus simple et pragmatique, qui permet aux mécènes de bénéficier du soutien logistique, juridique et administratif de la fondation abritante”

La fondation abritante, qui doit être reconnue d’utilité publique, a l’avantage de bien connaître le cadre juridique et les obligations des fondations. Le directeur du développement de la Fondation de France, qui héberge près de 900 fondations depuis plus de 50 ans, prévient toutefois : “avant de créer une fondation, il est important de bien choisir la cause sur laquelle on veut agir. Cela nécessite un temps de réflexion et de préparation important pour identifier les leviers d’actions possibles et envisager la façon dont on peut agir efficacement dans ce domaine.”

Une fois la convention signée entre les deux parties, la fondation abritée bénéficie des nombreux avantages liés aux fondations, non seulement fiscaux, “mais aussi de toute l’ingénierie, du sérieux et de la transparence de la fondation abritante, qui est soumise au contrôle de la Cour des comptes. Cela rassure les philanthropes”, commente Célia Vérot, directrice générale de la Fondation du patrimoine. Et Frédéric Théret d’ajouter : “la fondation abritante, grâce à ses équipes, apportera un support technique, un savoir-faire dans une économie de coûts à la fondation abritée. Nous avons un rôle de conseil, mais aussi de soutien à l’égard des fondations que nous abritons.”

“La fondation abritée bénéficie de toute l’ingénierie, du sérieux et de la transparence de la fondation abritante, qui est soumise au contrôle de la Cour des comptes. Cela rassure les philanthropes”

Des avantages dont se félicitent les structures abritées. “La fondation groupe Primonial, créée en mai 2020, et qui s’inscrit dans la continuité de la fondation Financière de l’échiquier [Primonial a racheté la Financière de l’échiquier en 2019, ndlr] s’appuie sur l’expertise de la Fondation de France et son maillage territorial, très précieux, mais aussi sur sa gestion administrative. Cela nous évite un certain nombre de lourdeurs et d’obstacles qui peuvent exister dans le cadre d’une fondation d’entreprise non abritée. Être abritée par la Fondation de France permet aussi d’être plus visible : c’est une caution très forte en termes d’éthique et de professionnalisme”, souligne Cécile Jouenne-Lanne, déléguée générale de la fondation groupe Primonial.

Un autre atout pour les fondations abritées est de pouvoir rencontrer d’autres structures travaillant dans leur domaine. “Les fondations abritantes permettent des échanges réguliers et enrichissants avec d’autres structures”, commente Cécile Jouenne-Lanne. “Voire de mettre en place des partenariats ou des coopérations : nous ne sentons pas isolés”, ajoute Isabelle Bordeau. “Une fondation abritante a une vision très large de la philanthropie, c’est un système ‘apprenant’ : nous apprenons de chacune de nos fondations et réciproquement”, renchérit Frédéric Théret.

Des valeurs communes

Comme pour tout partenariat, être abritée nécessite d’avoir des valeurs communes. Mais pas uniquement. “Les fondations sous égide doivent évoluer dans le même secteur que leur fondation abritante et respecter les statuts de cette dernière. Si un mécène souhaite soutenir la création d’écoles, il pourra placer sa fondation sous l’égide de la Fondation pour l’école”, précise Me Lionel Devic. “Les fonds de la fondation abritée sont bien évidemment employés en fonction de l’objet de cette dernière et de la volonté de son donateur”, note Célia Vérot.

“On pourrait comparer le tandem fondation abritante/fondation abritée à celui d’une entreprise, qui aurait de multiples marques ou établissements dédiées à des projets spécifiques”

“La confiance est indispensable, de même que le partage de certaines valeurs. En outre, cela requiert un suivi important, par le biais des conseils exécutifs des fondations abritées ou des audits conduits par la fondation abritante”, souligne directrice générale de la Fondation du patrimoine, qui admet choisir “avec une certaine prudence” les fondations qu’elle abrite. “On pourrait comparer le tandem fondation abritante/fondation abritée à celui d’une entreprise, qui aurait de multiples marques ou établissements dédiées à des projets spécifiques”, fait remarquer Me Lionel Devic.

Le prix de l’abri

Les fondations abritantes trouvent également leur compte dans ce partenariat. Cela leur permet de lever des fonds additionnels auprès de donateurs, puisqu’elles vont prélever une partie de ceux récoltés par la structure abritée pour couvrir leurs frais de gestion. Chaque fondation abritante dispose de sa politique d’abri. “Les abritantes appliquent des frais de gestion allant de 2 à 7 % des dons. Certaines peuvent demander d’aider à financer certains de leurs projets. Cela relève du contractuel. La Fondation pour l’école demande aux fondations abritées une dotation initiale de 50 000 euros : cela a notamment pour objectif de marquer un acte fondateur”, fait valoir Me Lionel Devic.

La Fondation de France demandera de débourser 40 000 euros sur 5 ans, avant réduction fiscale (66 % ou 75 % selon le cas), puis 2 500 euros par an de forfait pour contribuer aux services dont l’abritée bénéficie. À la Fondation du patrimoine, la dotation de départ sera au minimum de 50 000 euros, et idéalement de 100 000 euros. “Cela est nécessaire pour équilibrer les projets et les frais de gestion. À cela s’ajoute ensuite une dotation de 8 000 euros par an et un prélèvement de 6 % sur la collecte de dons de la fondation abritée. L’implication dans un projet patrimonial nécessite du temps et de l’argent”, indique sa directrice générale.

“Les abritantes appliquent des frais de gestion allant de 2 à 7 % des dons. Certaines peuvent demander d’aider à financer certains de leurs projets. Cela relève du contractuel”

Des sommes qui s’expliquent aussi par le fait que seule la fondation abritante dispose de la personnalité morale. Autrement dit, si un problème se pose avec la structure abritée, seule la fondation abritante en sera responsable. Des frais qui peuvent paraître élevés, mais que les fondations abritées estiment peu coûteux. “Le statut de fondation sous égide est peu coûteux par rapport aux services apportés : nous disposons d’un interlocuteur dédié très réactif et à l’écoute de nos projets au sein de la Fondation de France”, fait valoir Cécile Jouenne-Lanne. “La fondation Caritas prélève 4 % des sommes que la fondation Ensemble Emera perçoit. Cela est très raisonnable au regard des services rendus”, juge Isabelle Bordeau.

Créer une fondation ne demande pas seulement un effort financier, mais aussi humain. “Créer une fondation abritée nécessite un investissement de départ conséquent pour qu’elle puisse bien fonctionner. Il faut un engagement personnel fort et beaucoup d’énergie”, note Célia Vérot. Pour ceux qui ont un projet en tête, mais ne disposent ni des fonds, ni du temps nécessaires pour créer une fondation abritée, d’autres options existent. Frédéric Théret propose de “contribuer à un projet ou un programme de la Fondation de France”. Pour sa part, Célia Vérot indique qu’un mécène peut participer à une collecte de dons en faveur d’un projet soutenu par la Fondation du patrimoine “ou se rapprocher du siège de la fondation ou d’une de ses délégations locales pour identifier ensemble projets ou programme d’actions.” Avis aux philanthropes…

Sophie Sebirot

Les différents types de fondations

Il existe plusieurs catégories de fondations en France. Outre les fondations abritées, deux autres catégories sont privilégiées par les mécènes français : les fonds de dotation et les fondations d’entreprise. Le fonds de dotation est une personne morale de droit privé à but non lucratif qui reçoit et gère, en les capitalisant, des biens et droits de toute nature qui lui sont apportés à titre gratuit et irrévocable. Il utilise les revenus de la capitalisation en vue de la réalisation d’une œuvre ou d’une mission d’intérêt général, ou les redistribue pour assister une personne morale à but non lucratif dans l’accomplissement de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général.

“Un philanthrope, qu’il soit une personne physique ou morale, qui souhaite disposer d’un outil souple, pratique et rapide à constituer, a la possibilité de créer une fondation sous égide ou un fonds de dotation, qui est très semblable à la première possibilité, mais qui ne nécessite qu’une simple déclaration en préfecture et un conseil d’administration de trois personnes, contrairement à une fondation abritée”, souligne Me Lionel Devic, président de la Fondation pour l’école et avocat spécialisé dans le droit des organisations non lucratives.

Le fonds de dotation ne requiert qu’un engagement initial de 15 000 euros. Cependant, le mécène doit en assumer la création, la gestion administrative et fiscale, et il en est responsable juridiquement. Les dons à un fonds de dotation ne donnent pas droit à une réduction fiscale dans le cadre de l’IFI. Les fondations d’entreprise sont créées après autorisation préfectorale pour au moins 5 ans renouvelables, et doivent être dotées d’au moins 150 000 euros sur cette période. La collecte est limitée aux dons de l’entreprise, des membres de sa gouvernance et de ses employés. Elles ne bénéficient pas des réductions fiscales sur l’IFI, ni d’incitations fiscales sur les legs.

Les fondations actionnaires

Existant depuis des décennies au Danemark, en Allemagne ou en Suisse, et gérant des entreprises aussi célèbres que Carlsberg ou encore Rolex, les fondations actionnaires ont fait leur apparition en France en 2005 à l’occasion d’un amendement parlementaire à la loi Jacob-Dutreil. Ces entités détiennent majoritairement et sans limitation de seuil ou de droits de vote les parts ou actions d’une entreprise, à condition expresse que le principe de spécialité de la fondation soit respecté.

Les fondations actionnaires ont une double mission : philanthropique en soutenant les projets d’intérêt général, notamment grâce aux dividendes qu’elles perçoivent, et économique en tant qu’actionnaire d’une entreprise. Leur intérêt : elles protègent le capital qui leur a été transmis de manière irrévocable. Une fondation n’appartenant à personne ne peut être rachetée. Cela évite ainsi les rachats hostiles.

En outre, en tant qu’actionnaire stable, la fondation actionnaire inscrit l’entreprise dans le long terme. L’absence d’héritiers peut motiver la création d’une fondation actionnaire, comme ce fut le cas pour la fondation Pierre Fabre, qui détient 87 % du capital des laboratoires éponymes. La fondation actionnaire n’est pas une catégorie juridique à part entière : elle peut prendre le statut d’une fondation reconnue d’utilité publique (FRUP) ou d’un fonds de dotation, ou encore d’un fonds de pérennité, créé en 2019 par la loi Pacte. Pour éviter tout problème de gestion de l’entreprise, il est souvent créé une société entre la fondation actionnaire et l’entreprise. La fondation intervient ainsi en tant qu’actionnaire d’une holding sans gérer directement l’entreprise. Les fondations actionnaires sont peu nombreuses en France : les fondations Pierre Fabre, Avril ou le groupe de presse La Montagne en sont quelques exemples.