Carte scolaire et dérogation : comment les demi-mesures renforcent les inégalités

 

Créé en 1963 pour gérer l’affectation des élèves après le baby-boom, le dispositif de la carte scolaire s’est vu attribuer par la suite la mission de garantir la mixité sociale à l’école. En 2007, fraîchement élu, Nicolas Sarkozy a promis sa suppression. Quatre ans plus tard, elle n’a pas disparu, mais aurait été « assouplie » ; les élèves sont toujours affectés à l’établissement de leur secteur, mais peuvent obtenir une dérogation, notamment s’ils sont boursiers. « Une manière de favoriser l’égalité des chances et la diversité sociale », affirme-t-on rue de Grenelle.

Des bilans sont déjà disponibles. Le premier, réalisé après la rentrée 2007 par deux inspecteurs généraux (« Les nouvelles dispositions de la carte scolaire », Jean-Pierre Obin et Christian Peyroux, octobre 2007), est clairement négatif : « C’est aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements que la mixité sociale est mise le plus rudement à l’épreuve : dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu ». Un rapport de la Cour des Comptes, publié en 2009 (« L’articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l’éducation nationale dans les quartiers sensibles », septembre 2009), relatif à la politique urbaine, indiquait que sur un total de 254 collèges « Ambition réussite », les plus populaires, 186 avaient perdu des élèves. Les parents d’origine aisée et moyenne avaient profité de l’assouplissement de la carte scolaire pour retirer leurs enfants de ces établissements. Le résultat de la plus grande liberté accordée aux familles avait donc débouché sur la prolétarisation des collèges les plus populaires. Enfin, l’enquête de 2010 du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN) (« Une enquête de ressenti sur l’assouplissement scolaire », mars 2010), menée auprès de 2 758 chefs d’établissement, a confirmé ces deux premiers rapports : 40% des établissements classés Réseaux ambition réussite sont moins fréquentés ; 10% d’entre eux ont vu partir un quart des élèves, souvent les plus favorisés.

Conçue comme une mesure de justice sociale, la libéralisation de la carte scolaire a renforcé en pratique les inégalités. Certains collèges peinent à remplir leur quota d’inscription, quand d’autres sont submergés de demandes. Faute d’obtenir l’établissement de leur choix, de plus en plus de familles se tournent vers le privé. En trois ans, les demandes ont grimpé de 9,5%, selon l’enquête du Snpden. Une tendance qui révèle l’incapacité de l’école républicaine à assurer l’égalité des chances.

On peut donc se demander si nous n’assistons pas ici aux effets qu’engendrent les demi-mesures : bien qu’elle partait d’ intentions louables (assurer la mixité sociale et renforcer le libre choix de l’école), cette réforme n’offre pas de chance réelle aux élèves les moins aidés socialement. En effet, demander une dérogation exige volonté et connaissance de l’offre scolaire, ce qui  facilite la fuite de ceux qui n’avaient pas le moyen de rejoindre le privé mais dont les parents sont conscients de l’importance de école mais qui ne change rien à la condition scolaire des autres enfants qui demeurent bloqués dans des établissements moins bons. Cette demi-mesure ne fera donc qu’accroître la ghettoïsation de la population de l’école publique des zones difficiles.

En revanche, si l’on supprimait définitivement la carte scolaire en rendant aux parents la totale liberté de choisir l’ école de leur enfant (dans la mesure des places disponibles et du respect des critères d’admission par leurs enfants), tout en valorisant le choix et en l’accompagnant avec des services d’orientation indépendants, on pourrait permettre à plus d’enfants de s’en sortir.