Évaluer, oui, mais comment ?

Que penser d’un professeur de CP qui refuserait de voir vérifier que ses élèves savent effectivement lire en juin ? Ce maître jouit de la liberté d’enseigner pour autant qu’il accepte d’être tenu pour responsable, devant la société, des résultats de ses élèves. Néanmoins, concevoir et mener des évaluations justes et utiles n’est pas chose aisée.

Se pose en effet la question des critères et des processus à mettre en place. L’un des premiers indicateurs de la qualité de l’enseignement doit être le degré de satisfaction des familles. Autre critère fort efficace : les résultats aux examens et concours – lorsqu’ils ne sont pas dénaturés comme le sont le brevet et le baccalauréat aujourd’hui. Il est aussi intéressant de chercher des indicateurs de long terme car l’instruction doit être durable. « Vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève », écrivait Albert Camus, lauréat du Nobel, à son vieux maître. Quelle meilleure preuve de la qualité de l’enseignement reçu dans une modeste école communale ?

Aujourd’hui, la France ne dispose d’aucune évaluation systématique du niveau des élèves par classe ou même par établissement. Les évaluations, lorsqu’elles existent, portent sur des échantillons ; elles reposent sur des exercices et questionnaires imprégnés d’un pédagogisme obsolète ; enfin, elles ne renseignent pas sur les établissements scolaires, qui sont pourtant à la base de tout système éducatif, ce dont s’étonne régulièrement l’OCDE. Ces évaluations ne s’adressent manifestement pas aux premiers intéressés : élèves, professeurs et parents. De surcroît, la France souffre du fait que le ministère de l’Éducation a le monopole de l’établissement et de la diffusion des statistiques et des indicateurs en matière d’école.

Certes, les professeurs sont inspectés par l’Inspection académique. Mais une fois tous les dix ans peut-être… Les inspections ne portent ni sur la capacité du professeur à enseigner ni sur les résultats mais sur les moyens et les méthodes du professeur inspecté. Bref, il s’agit davantage d’un contrôle de conformité pédagogique, pour ne pas dire idéologique. De plus, aucun résultat n’est jamais publié.

Cet asservissement des maîtres par l’Etat, leur employeur, n’a rien d’inévitable dans une République. Condorcet, par exemple, soutenait en 1791 que le maître devait être libre de ses choix pédagogiques, en veillant simplement à s’interdire un certain nombre de facilités déplorables, comme le fait d’exercer une séduction sur les enfants au lieu de faire appel à leur raison, ou encore de faire passer pour des vérités ce qui n’était que des opinions – à notre époque de Gender obligatoire, cela devrait donner à réfléchir…

Autre sujet de contestation : l’évaluation des pratiques pédagogiques est menée en notre République par un corps qui est juge et partie, à savoir l’Inspection de l’Éducation nationale. Et ce problème est encore aggravé lorsque cette Inspection contrôle l’enseignement privé. Quel objet poursuit-elle alors puisque l’école privée est libre, selon le Code de l’éducation, de ses méthodes, et également, dans les cas des écoles indépendantes, de ses programmes ? Quel peut être l’objet d’une telle évaluation alors qu’il est précisé par la loi que l’inspection ne saurait porter sur les éléments relevant du caractère propre (dimension éducative, enseignement religieux) ?

Reconnaissons que, pour l’heure, les enquêtes menées par le ministère de l’Éducation sont trop souvent scientifiquement peu rigoureuses et instrumentalisées par le gouvernement pour justifier sa propre politique éducative. Ce constat a conduit récemment le Haut Conseil à l’Éducation à préconiser la création d’une Autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation des écoles.

Un organe d’évaluation, voire de certification, qui serait au dessus de la mêlée et distinct de l’État aurait plus de légitimité. En juin 2010, 65 % des personnes interrogées par l’Ifop à la demande de la Fondation pour l’école se sont déclarées favorables à ce que l’ensemble des établissements scolaires publics et privés soit évalué par une agence indépendante incluant les différents acteurs de l’éducation, pour que les parents disposent d’une meilleure information.

 NB : le caractère gravement insuffisant des évaluations de la qualité de l’instruction publique faites par le ministère de l’Education nationale a été fermement dénoncé par le Haut Conseil à l’Education dans un rapport publié en septembre 2011. Le voici: