Quel est, selon vous, le grand défi qui se pose à l’école rurale, à l’heure où l’État cherche à faire des économies et tend à appliquer une logique comptable de rationalisation du réseau scolaire?
Louis Giscard d’Estaing : Le défi est de trouver un moyen de proposer aux parents une école qui offre une proximité maximale par rapport à leur domicile tout en étant suffisamment à la pointe qualitativement. Certes, les enfants des campagnes ont droit à une école proche d’eux, mais ils ont droit aussi à une école excellente par son enseignement. Dans ce contexte, par exemple, les propositions autour de l’«école numérique rurale» sont intéressantes.*
Le maintien d’une école par village (dans la mesure où il y a au moins une quinzaine d’enfants à scolariser) est-elle pour vous un objectif légitime au regard des objectifs d’égalité d’accès à l’éducation et d’aménagement du territoire ?
L.G.d’E. : Oui, c’est légitime, mais, au regard de mon expérience de député du Puy-de-Dôme, je crois aussi aux bienfaits des RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux). Ainsi, j’ai sur ma circonscription trois communes qui ont formé un RPI: l’une scolarise les maternelles et CP, l’autre les CE1-CE2 et la troisième les CM1-CM2. Cela fonctionne bien. Il faut aussi se dire qu’en zone rurale ou montagneuse, la question des transports scolaires se pose toujours, qu’il y ait regroupement scolaire ou pas, car il est rare que l’habitation soit très près de l’école. Les regroupements pédagogiques intercommunaux sont une piste qui doit donc continuer à être explorée. Cela s’apprécie localement, au cas par cas, pour trouver quel est le bon ratio entre effectif, proximité et qualité. Au niveau du collège en particulier, il faut un minimum d’effectif pour que l’émulation et l’ouverture aux autres puissent être garanties dans l’établissement. J’ai pu le constater là encore dans mon expérience d’élu, le Puy-de -Dôme étant l’un des départements dotés du plus grand nombre de petits collèges (moins de 50 élèves). Pour que ces politiques génèrent des économies budgétaires importantes, force est néanmoins de constater qu’il faudra que l’intercommunalité évolue puissamment. On a additionné les dépenses communales et les dépenses intercommunales, ce qui est contreproductif budgétairement ! Il faudrait auditer l’application de la loi Chevènement sur l’intercommunalité. Autre problème, que dénonce d’ailleurs le sénateur du Territoire de Belfort, l’intercommunalité a été trop souvent polluée par la politisation.
Pensez-vous que les collectivités locales pourraient jouer un rôle nouveau pour assurer la continuité du service éducatif aux familles en cas de fermeture de l’école existante, comme cela a été le cas à Puy-Saint- Vincent et Saint-André-en-Vivarais ?
L.G.d’E. : Oui, dans certains cas, il est légitime que les communes aillent au-delà du simple financement des bâtiments de l’école primaire. Lorsqu’il y a des problématiques de zone de montagne ou de difficulté d’accès par exemple. L’intervention de la commune est bonne et légitime lorsqu’elle intervient à titre supplétif, en cas de défaillance ou d’insuffisance avérée de l’école publique ou diocésaine ou de problème transitoire, comme une baisse temporaire d’effectifs.
Que pensez-vous de la gestion des ressources humaines par l’Éducation nationale?
L.G.d’E. : Ce qui me semble tout à fait souhaitable, c’est que la gestion des effectifs de l’Éducation nationale se rapproche d’une gestion décentralisée. Trop de jeunes d’Auvergne, par exemple, se retrouvent catapultés contre leur gré à Créteil ou en banlieue parisienne en début de carrière. Ce déracinement institutionnalisé est regrettable.
S’il y avait un consensus local (parents, professeurs, entrepreneurs) pour reprendre une école que l’État ou l’enseignement catholique ne pourrait plus maintenir dans un village, y apporteriez-vous votre soutien financier ?
L.G.d’E. : Oui, indéniablement, s’il y a un consensus local.Je vois déjà deux cas notamment où cela se justifierait: le premier cas correspond à une baisse d’effectifs scolaires jugée provisoire et réversible, mais qui conduirait l’Éducation nationale ou la direction diocésaine à fermer la classe ou l’école concernée. Il serait logique que la mairie fasse la jointure et permette la continuité du service. Le deuxième cas correspondrait à l’émergence d’un projet à l’identité forte et conçu dans la durée. En revanche, pour un projet d’école qui serait le fait d’une poignée de parents dont tout porte à croire qu’ils se désinvestiront du projet dès que leurs propres enfants ne seront plus concernés, il est inenvisageable d’investir de l’argent communal. Mais, s’il y a un véritable projet local, porté fortement par des acteurs locaux et dans la durée, autour d’une vision pédagogique forte et cohérente, ce serait tout à fait différent.
Interview réalisée par Anne Coffinier le 19 décembre.
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* NLDR: Le ministère de l’Éducation nationale a initié un programme d’équipement numérique des écoles rurales qui représentait, en 2009, un budget de 50 millions d’euros. Ces subventions publiques ont permis d’équiper 7000 écoles situées dans les communes de moins de 2000 habitants.Elles s’élèvent à 1000 euros pour l’achat par l’école de ressources numériques pédagogiques et jusqu’à 9000 euros pour l’achat des équipements numériques prescrits par le ministère, incluant un tableau blanc interactif (TBI) et des ordinateurs. Les communes s’engagent en contrepartie à financer la mise en réseau des équipements, l’abonnement Internet haut débit de l’école et sa sécurisation.