Multiplier les écoles indépendantes : une réponse crédible à la cacophonie ambiante

UNE TRIBUNE LIBRE DE PIERRE BARTHE

Force est de constater que les prises de position, les réactions aux événements, les points de vue qui touchent à l’éducation nationale sont toujours polémiques et passionnés, et si contradictoires qu’ils sont totalement inopérants dans les solutions proposées. L’impression générale est celle d’une vaste cacophonie de discours, de convictions, d’arguments, d’altercations plus ou moins vaines, la preuve même qu’il est impossible d’envisager des réformes d’ensemble applicables à l’énorme machine de nos institutions éducatives françaises. Pour Pierre Barthe, professeur agrégé, ancien attaché de coopération, bon connaisseur de nombreux systèmes étrangers, dont des établissements internationaux, multiplier les écoles indépendantes peut être une réponse crédible à la cacophonie ambiante.

Dans cette situation, la multiplication actuelle des écoles indépendantes apparaît comme une planche de salut. Loin des feux de la rampe et des effets de manche, leurs fondateurs agissent de manière concrète et pragmatique pour proposer aux enfants une instruction de qualité, en dépit du délitement général des institutions éducatives. Le développement tranquille mais résolu des écoles hors contrat suscite un espoir de plus en plus largement partagé. Bien sûr, ce renouveau suscite des levées de boucliers des partisans de l’étatisme éducatif : ces écoles seraient un défi à l’unité républicaine, un repère des communautarismes de tous bords. Personne n’évaluerait leur qualité ; leur personnel enseignant ne présenterait pas des garanties de qualification ; elles seraient élitistes car accessibles seulement à ceux qui peuvent payer les scolarités ; celles qui ne sont pas laïques signeraient un retour pur et simple à l’obscurantisme d’avant Jules Ferry… la liste serait longue des anathèmes lancés contre ce type d’établissements. Notamment parce qu’ils sont mal connus et que leur succès ne peut que déranger les partisans du statu quo éducatif en dépit de la profondeur de la crise éducative dans laquelle la France s’abîme.

Pourtant, le développement d’un réseau d’écoles indépendantes apporterait un oxygène et une issue salutaires à toutes les impasses dans lesquelles se débattent les responsables éducatifs.

Arrêtons-nous un instant sur le concept de ce type d’école : Que cherche-t-on à faire en promouvant les écoles indépendantes ? A créer, partout où le besoin s’en fait ressentir, de petites unités éducatives fonctionnant en toute autonomie selon des critères d’instruction et de vie scolaire choisis et mis en œuvre par l’équipe éducative qui les animera en relation étroite avec les familles.

Hâtons-nous de dire qu’il ne s’agit pas de faire n’importe quoi : le recrutement des responsables administratifs et pédagogiques est assuré par un conseil d’école constitué de représentants et de personnel qualifiés. Notre pays possède un vivier de maîtres et d’éducateurs de qualité qui ne demandent qu’à exercer leurs compétences, leur conscience professionnelle et leur créativité au service des enfants. Il est temps de s’appuyer enfin sur eux pour relever l’école, et de ne plus accepter que leurs talents et leur dévouement ne soient plus longtemps gaspillés.

Une charte scolaire établit les objectifs fondamentaux de l’école de telle sorte que parents et élèves connaissent précisément ce qu’ils sont en droit d’attendre de celle-ci ; elle établit aussi les devoirs auxquels ils s’engagent en rejoignant ce type d’institution.

Le programme est élaboré collégialement avec la direction, le conseil d’école et les spécialistes des différentes matières. Les orientations de ce programme sont libres et puisent dans les modèles français ou étrangers développés par des institutions éducatives réputées. Ils peuvent soit partir, en les enrichissant, des programmes définis par l’Éducation nationale, soit suivre des programmes fondamentalement différents, tant qu’ils respectent la loi sur l’obligation scolaire et le socle commun de connaissances.

Dans cette optique, l’éducation n’est pas coupée du monde, comme on le craint souvent – et comme c’est de fait le cas depuis des décennies dans les programmes appliqués de façon figée ou répétitive, quand ils ne sont pas aberrants, par les corps des inspecteurs académiques. Elle procède d’adaptation permanente au terrain, en fonction des besoins des élèves et des évaluations. Mais en revanche, ce type d’éducation fait courageusement de vrais choix : il ordonne le réel, se fixe des priorités au lieu de livrer les élèves, sous prétexte de les « ouvrir au monde » au foisonnement d’informations, de techniques, de sollicitations, de modes ou de tendances colportées de façon chaotique par la société environnante, et en particulier par les médias. Le mode d’instruction, obéissant à des choix indépendants et volontaristes, se fixe comme priorité de contribuer à la formation et à l’épanouissement personnel de l’enfant. Dans ce contexte, le programme n’est qu’un moyen, pas une fin en soi. Il est adapté et travaillé in situ au regard des besoins constatés des élèves. La finalité de l’éducation reste, quant à elle, la recherche du vrai, du beau et du bien. Mais les styles et modalités pédagogiques sont librement déterminés par la communauté éducative de l’école. De sorte qu’un véritable pluralisme éducatif est assuré, répondant heureusement au pluralisme de la société et à la variété des formes d’intelligence et des aspirations des élèves et de leur famille. Cette conception fait de l’école, pour chaque enfant, une expérience individuelle et collective à la fois, mais solidement structurée, où instruction, formation et éducation vont de pair. Peu importe si le milieu où travaille l’élève présente la diversité sociale, culturelle ou ethnique qui est devenue la réalité de notre société. C’est le projet éducatif qui est, lui, ressenti comme un tout cohérent, ordonné autour de principes, de priorités et de valeurs choisies et admises par toute la communauté scolaire, véritable communauté de destin au sein de laquelle se partage et s’échange l’aventure éducative qui est proposée à chacun. Cette expérience de la communauté scolaire est sans doute, avec l’expérience de la vie familiale quand elle existe, une des meilleures préparations aux responsabilités de citoyen.

Mais qu’en est-il du nerf de la guerre : le financement ? Dans l’état actuel des choses, le financement est assuré par les parents, soutenus par les associations favorables au concept d’école indépendante. Toutefois, il serait temps que soit envisagé un chèque scolaire ou une contribution d’État versée aux parents qui soulagent le service public de la charge de cette population d’élèves. Une alternative serait une déduction fiscale attribuée aux parents qui ne se servent pas du système scolaire public, auquel ils sont tout de même tenus de contribuer solidairement par le biais de l’impôt.

On s’apercevrait peut-être que le budget global d’une école est beaucoup moins élevé que celui d’un établissement géré par l’État, ce qui en dirait long sur le système de gestion et d’allocation des ressources tel qu’il est pratiqué dans l’Éducation nationale. Le prétendu manque de moyens ne serait-il pas dès lors un simple défaut de structure et de gestion éducative, pour ne rien dire du poids budgétaire que font peser la lassitude bien compréhensible et le manque de motivation des enseignants ?

La grande diversité de ces établissements ferait enfin éclater la tendance à juger le système scolaire dans son ensemble à partir de situations, de cas ou d’événements locaux qui le stigmatisent. Ce qui arrive dans telle école deviendrait le problème de cet établissement en particulier et non celui des centaines d’autres écoles qui n’y seraient pas liées. On passerait d’une vision sociologique et froide de l’éducation à une perception diverse et infiniment plus positive et humaine. La décentralisation de fait de ces écoles serait leur protection et leur garantie face au regard que parents et observateurs porteraient sur chacune d’entre elles en particulier. Partout où ils se produiraient, les gains concrets de la liberté scolaire viendraient progressivement contrer le tapage médiatique et les poses idéologiques des prétendus représentants de l’éducation.

Que les partisans de la structure actuelle de l’école publique se rassurent. Il n’est pas question ici d’entreprendre un quelconque démantèlement de l’Éducation nationale. Si certains ne sont pas loin de penser qu’il est en cours, cela n’est en aucun cas de notre propos, surtout pour les établissements qui font encore notre fierté. Il s’agit seulement de créer des pôles de recherche et d’expérience pédagogiques et scolaires pouvant servir de référence ou de modèle aux établissements existants. Si autonomie et liberté d’enseignement peuvent susciter la motivation des élèves et l’efficacité de leur formation, quel mal cela pourrait-il avoir dans le contexte actuel ? Si les écoles indépendantes poussent les écoles publiques à s’améliorer et se rependre en main, comme ce fut le cas par exemple en Nouvelle-Zélande, qui osera incriminer cette renaissance tranquille de l’école que tant de parents, d’enseignants et d’élèves appellent de tous leurs vœux ?