L’Éducation n’est pas nationale

Le titre de l’éditorial du 14 avril 2012 du Monde de l’éducation dévoile une vérité qui fait mal : « l’Éducation n’est pas nationale ».

C’en est fini du « niveau monte » et de l’antienne selon laquelle « nos-enfants-savent-tellement-de-choses-que-nous-n’avons-jamais-apprises-à-l’école ». Le roi est nu et tous le proclament enfin, à commencer par Le Monde de l’éducation : « Mesdames et messieurs les candidat(e)s à l’élection présidentielle, aucun de vous ne peut l’ignorer : les maux dont souffre notre système scolaire sont alarmants. Longtemps, nous avons voulu croire qu’il restait l’un des meilleurs au monde. Tout démontre, aujourd’hui, qu’il est devenu médiocre et, à certains égards, désespérant. »

Le Monde de l’Éducation pointe non seulement l’inefficacité académique de notre système mais encore sa faillite sur le plan de la justice. L’école publique est devenue source d’inégalités sociales. « Le nouveau (pré)rapport de la Cour des comptes dont nous avons eu connaissance rend le diagnostic plus désespérant encore. Au terme d’une longue enquête sur la répartition des moyens entre académies et établissements, les magistrats de la Rue Cambon concluent ceci : “Le système scolaire français se caractérise par l’importance et la persistance des inégalités, au rebours de l’objectif d’égalité des chances fixé par le code de l’éducation.” En clair, qu’il s’agisse de l’affectation d’enseignants expérimentés ou des taux d’encadrement, l’État favorise les écoles, collèges et lycées déjà les mieux dotés et accorde moins de moyens à ceux qui sont les plus défavorisés et réussissent moins bien », conclut sans appel Le Monde de l’éducation.

Il est quand même frappant de constater que l’école publique est devenue une source d’injustice et d’inégalités à partir du moment où elle a fait officiellement de « l’égalité des chances » son objectif principal. Tant que l’école était officiellement chargée d’instruire, de transmettre les savoirs et connaissances pour préparer les adultes de demain, elle jouait de manière perceptible le rôle l’ascenseur social et arrivait à dégager de nouvelles élites. Dès qu’elle s’est pensée comme le lieu d’une transformation politique de la société, elle s’est mise à générer de l’inégalité de manière flagrante. Exit la méritocratie, figure phare du pacte républicain.

Que Le Monde de l’éducation ait eu l’audace d’interpeller les candidats aux présidentielles sur ce paradoxe a choqué les âmes sensibles. La Cour des comptes a été sommée de retarder la publication de son rapport à après les élections et a publié sur son site internet un message destiné à relativiser les propos du Monde de l’éducation, en rappelant que l’enquête n’était pas finie et qu’il ne s’agissait que du pré-rapport.

Il est évident que cette réalité d’une école publique devenue antirépublicaine dans son mécanisme est éminemment choquante. L’école publique est supposée assurer à tous un égal accès au savoir, ce qui passe par une offre scolaire de qualité, homogène en tout point du territoire. Comment l’école serait-elle républicaine alors qu’elle est une école au rabais, une école garderie (et une garderie violente qui plus est) dans les ZEP par exemple ? Avoir confondu l’égalité de qualité et de contenu de l’enseignement dispensé, l’égalité des enfants face à l’instruction, l’égalité des chances, l’égalité des résultats des élèves quelles que soient les origines sociales… depuis des années, n’a manifestement pas rendu service à l’école publique. Cette confusion sémantique n’a pas eu des résultats heureux. Parce qu’elle n’arrivait pas à maintenir des prestations d’enseignement égales en tout point du territoire, l’Éducation nationale a accepté de regarder avec les yeux de Chimène les expérimentations de discrimination positives. On prend quelques élèves de zones scolaires délaissées, arbitrairement choisis, et on leur offre un parachutage dans une école publique dite d’élite. N’est-ce pas choquant que l’État détermine ainsi, de manière régalienne ou démiurgique, qui aura le droit d’accéder à un enseignement de qualité ? On a ironisé sur le curé de paroisse qui dispensait sous l’Ancien Régime des bourses aux bons sujets – charité paternaliste supposée dégradante pour celui qui en bénéficiait – mais que fait-on d’autre aujourd’hui ? On est passé des curés (des milliers à travers la France qui connaissaient bien les enfants, et qui finançaient sur leurs deniers propres les études de leurs protégés) à (feu) Richard Descoings pour sélectionner les élèves qui auront le droit d’accéder à une éducation d’élite… Y voyez-vous un progrès moral ? En quoi cette discrimination positive échappe-t-elle à l’arbitraire, alors qu’elle est centralisée, qu’elle n’est pas même fondée sur une sélection anonyme par concours ? De telles initiatives sont en tout cas la preuve criante de ce que l’Éducation nationale ne croit plus à la possibilité d’une méritocratie par l’école publique.

Nous pensons pour notre part qu’il y a une autre manière de sauver la méritocratie dans le respect de la justice, une façon qui ne brade ni l’égalité, ni la liberté. Mais elle requiert un peu d’audace…