Le blog de la Liberté scolaire : L’illettrisme progresse en France, quelles en sont les causes ?
Jean-Baptiste Noé : Selon les données obtenues grâce aux tests passés cette année durant la Journée Défense et Citoyenneté, il y a 30% d’illettrés en France, avec des degrés divers dans l’illettrisme. Je vois quatre causes à cet échec : la généralisation de la méthode globale (ou apparentée) qui a sacrifié une génération, la baisse continue des exigences scolaires, l’instauration du collège unique, qui empêche d’aider convenablement les élèves faibles et de stimuler davantage les élèves forts, l’arrivée massive de migrants non francophones, que l’on n’arrive pas à intégrer et à instruire.
Selon vous, quelles sont les solutions à cette crise ?
La première solution est d’abandonner l’idéologie, qui est le moteur constant de l’éducation publique en France depuis Jules Ferry. Les politiques éducatives ne cherchent pas à établir le meilleur système scolaire possible, elles ne cherchent pas à instruire, à transmettre, à former des hommes, elles cherchent à suivre une ligne idéologique. Sous la IIIe République, c’était la défense de la République laïque. Aujourd’hui, c’est la défense de la citoyenneté, de ce qui est appelé le « vivre ensemble » et le relativisme culturel. C’est pourquoi je ne crois pas que l’école républicaine ait échoué où qu’elle connaisse une crise, car le but de l’école, tel qu’il a été défini par Ferry et ses successeurs, n’a jamais été d’instruire et d’éduquer, mais de créer des républicains et de forger des hommes fidèles au régime. En cela, elle a très bien réussi. Le mécontentement sur l’école vient de ce malentendu : les parents pensent que l’école publique a été créée pour instruire leurs enfants, alors que ce n’est pas le cas. Quand Jules Ferry devient ministre, l’illettrisme est pratiquement vaincu, il y a des écoles dans tous les villages, et plus de la moitié des enfants vont à l’école gratuitement. C’est le succès des politiques éducatives menées depuis le début du XIXe siècle.
Faut-il plus d’argent pour l’école ? D’après le rapport Repères et références statistiques sur les enseignements, l’information et la recherche, publié par l’Éducation Nationale en 2011, un collégien coûtait à l’État 5530 € en 1985 et 8020 € en 2009, un lycéen coutait 7310 € en 1985 et 11 400 € en 2009, le tout en euro constant. L’école a donc plus de moyens financiers aujourd’hui qu’il y a 25 ans, et pourtant les résultats chutent. Ce qui manque à l’école, ce n’est pas de l’argent, mais de la liberté. Mais pour introduire la liberté à l’école, il faut abattre l’idéologie, et le combat est rude.
Pour vous, aujourd’hui, où se trouve la part de liberté du système éducatif français ?
Il y a la liberté financière et la liberté pédagogique. On ne peut avoir une bonne école sans les deux libertés. Les écoles sous contrat ont la liberté financière (en ce sens que leur sont donnés les moyens financiers d’exister), mais une liberté pédagogique et managériale restreinte. Les écoles hors contrat ont une grande liberté de pédagogie et de gestion, mais manquent d’argent pour se développer, s’agrandir, ou tout simplement se créer.
Mais le système repose aussi sur les professeurs, qui doivent batailler pour leur liberté professionnelle. Quand des instituteurs refusent d’appliquer la méthode globale, et apprennent la lecture à leurs élèves avec des méthodes qui fonctionnent, le tout en cachette, ils font preuve de grande liberté. Quand des professeurs de français ou d’histoire rétablissent la chronologie, font étudier les grandes œuvres ou les grands textes à leurs élèves, ils montrent aussi qu’ils sont des êtres libres. La liberté est exigeante, mais elle repose d’abord sur les personnes. Fait-on ce métier pour appliquer des normes administratives ou pour faire grandir des hommes ? Bien sûr qu’il y a de grandes contraintes, mais en définitive c’est l’homme qui gagne sa liberté ou qui accepte de se soumettre au système.
Quelles solutions concrètes préconiseriez-vous pour améliorer le système éducatif français ?
Il faut refonder le système sur le triple principe de la liberté financière, scolaire et pédagogique.
Liberté financière : par l’intermédiaire du chèque scolaire ou d’un nouveau type de contrat entre l’État et l’école, donner la pleine gestion de leur budget aux établissements. À eux de rémunérer les professeurs et le personnel éducatif, de gérer leurs locaux et leurs activités annexes.
Liberté scolaire : que l’établissement puisse recruter et licencier librement les personnels intervenants chez lui, dans le respect des lois du Code du travail, en fonction de l’adhésion de ces personnes au projet pédagogique de l’établissement. N’est-ce pas ce qui se fait pour n’importe quelle entreprise ? N’est-ce pas ce qui se fait dans la plupart des autres pays ?
Liberté pédagogique : Liberté donnée aux professeurs de choisir leur programme et leurs méthodes pédagogiques. Une commission nationale pourrait donner des indications sur un programme minimal à suivre par année, et qui pourrait concerner la moitié du temps scolaire, afin qu’il y ait une harmonisation nationale. Ensuite, les professeurs pourraient passer plus de temps sur ce programme, ou faire des choses en plus, selon le niveau et les attentes des élèves.
On peut imaginer que le chèque scolaire serait retiré à l’établissement en cas de mauvais résultats au bac ou au brevet. De toute façon, les parents choisiront les établissements qui conviennent le mieux à leurs enfants, et les mauvais disparaîtront d’eux-mêmes, comme dans n’importe quel système concurrentiel.
À qui profiterait l’instauration d’un tel système ?
Le système actuel est inadapté à l’ensemble des élèves. Il ne permet pas de s’occuper convenablement des élèves faibles, il ne permet pas non plus de répondre à la soif de savoir des élèves intellectuellement développés. Non seulement la France a de plus en plus d’illettrés, mais elle n’est pas non plus capable de former une élite intellectuelle suffisante.
Avec la liberté éducative, il y aurait enfin la possibilité de créer des établissements réellement adaptés aux élèves, avec des professeurs qui choisiraient leur méthode pédagogique en fonction de leur public. L’idée selon laquelle ce système établirait des inégalités est inepte, car les inégalités entre les établissements existent déjà. D’autre part, on pense toujours que les inégalités sont injustes, mais ce n’est pas le cas. Les élèves sont bien inégaux entre eux, dans leurs goûts, leurs motivations, leurs compétences. C’est justement aux écoles à tenir compte de ces inégalités, pour établir une justice scolaire. La liberté scolaire est le seul remède contre l’échec scolaire.
Comment un tel financement de l’éducation se justifierait-il philosophiquement et constitutionnellement ?
Si l’on reste dans une vision idéologique de l’éducation, la liberté est impossible. Pour l’établir, il faut vouloir le pragmatisme et la réalité du succès scolaire.
L’éducation n’est pas du ressort premier de l’État, ce n’est pas un domaine régalien. Pendant des siècles, la France a connu un système d’éducation privée qui fonctionnait très bien, avec un accès à l’école aussi pour les plus pauvres et les plus défavorisés.
En Europe, l’Angleterre vient de mettre en œuvre les free schools, qui fonctionnent sur le modèle du bon scolaire. Les parents en sont très contents, et de nouvelles écoles ont ouvert en 2012. D’autres pays connaissent aussi cela. À la France d’oser sortir de ses ornières, et de faire le pari de la liberté.