La 6e journée des « Dys » se tiendra samedi 6 octobre. A cette occasion, le blog de la liberté scolaire s’est intéressé aux cas de fausses « dys », ces troubles créés par des méthodes scolaires d’apprentissage inappropriées, et aux manières d’y remédier. A noter que les écoles indépendantes détiennent une vraie compétence dans le traitement de ces troubles par des pédagogies curatives. Auteur de l’ouvrage « Dyslexie, dyscalculie, dysorthographie : Préventions et remèdes », Elisabeth Nuyts aborde ici le problème des dysfonctionnements des apprentissages de base sous un angle pratique. Elle explique très simplement comment bien démarrer ces apprentissages et comment les reprendre lorsqu’ils sont défectueux et sources de handicaps plus ou moins lourds.
Le blog de la liberté scolaire : Vous faites le constat dans votre ouvrage de la croissance exponentielle des troubles d’apprentissage chez les élèves nuisant à l’acquisition des fondamentaux (lire, écrire, compter). Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Elisabeth Nuyts : Depuis 1947, date de la mise en place du plan Langevin-Wallon, notre pédagogie officielle n’a cessé de se transformer par petites touches successives pour aboutir progressivement à la pédagogie totalement intuitive que nous avons actuellement et qui crée tant de ravages. On parle beaucoup de la lecture globale, mais ce sont tous les apprentissages qui sont devenus intuitifs. Ils ne respectent plus le cheminement naturel de la pensée rationnelle. En effet nous avons eu :
- à partir de 1947, l’apprentissage de la lecture selon une méthode globale,
- au début des années 1950, des méthodes semi-globales à départ global qui, sur le plan neurologique, restent identiques à la globale,
- au début des années 1960, la nouvelle grammaire issue de la grammaire « générative» ou «transformationnelle» de Noam Chomsky,
- à la fin des années 1960, les nouvelles mathématiques qu’on a remodelées sans cesse par la suite mais sans jamais revenir aux manipulations de base et aux démonstrations, pourtant indispensables,
- dans les années 1980, l’imposition de l’écriture silencieuse dès la maternelle, puis de la lecture silencieuse et rapide dès le CE1, parfois même plus tôt. Puisque le raisonnement conscient est quatre fois plus lent que l’intuition, imposer la lecture rapide dès les premiers apprentissages revient à construire une lecture intuitive très rapide certes mais très superficielle, quand ce n’est pas erronée.
Le résultat de tout cela, c’est que nous avons maintenant une pédagogie entièrement intuitive qui ne permet pas la réflexion et donc ne construit pas la mémoire à long terme. En effet, entre 40 et 50 ans, de nombreuses élites ainsi formées se retrouvent tout à coup sans mémoire, comme un ordinateur dont la mémoire est saturée.
Quelles sont les conditions nécessaires à un bon réapprentissage lorsque les enfants ont démarré sur de mauvaises bases ? Jusqu’à quel âge est-ce possible ?
C’est plutôt une question de méthode que d’âge. Tout apprentissage consiste à mettre en place dans notre cerveau de nouveaux circuits neuronaux. Maintenant qu’une partie de ma famille m’a rejointe et me seconde dans mes recherches, nous avons pu constater sur plus de 1300 cas qu’un dysfonctionnement résulte généralement d’un mauvais apprentissage de base.
On n’a pas respecté le cheminement naturel du cerveau conscient qui part du plus simple pour aller vers le plus complexe. Il faut donc remettre en place toutes les étapes nécessaires au raisonnement conscient, depuis la prise de conscience des informations sensorielles, leur analyse et leur compréhension fine, jusqu’à leur mémorisation à long terme. Si l’on veut remédier à l’un de ces dysfonctionnements, il faut donc repartir des perceptions et mettre la parole et l’analyse, c’est-à-dire le questionnement précis et méthodique, au centre de tous les apprentissages. Au lieu d’apprendre à nos enfants à visualiser des informations insuffisamment comprises.
De manière plus générale, apprend-on à tous les enfants de la même manière ? Les enfants ont-ils des besoins cognitifs différents, et faut-il les prendre en compte pour mieux les instruire ?
Les enfants ont des entrées sensorielles différentes, des repères et des modes de fonctionnement variés. Il faut les connaître pour pouvoir les respecter, sans pour autant que cela nécessite des enseignements différenciés. En effet qu’ils soient auditifs, visuels ou kinesthésiques, ils ont tous besoin de :
- parole: « b – a – ba » à voix haute, épellation à l’endroit, syllabation à l’endroit, lecture de la phrase à voix haute, reformulation, écriture à voix haute ou chuchotée effectuée au rythme de la parole…
- analyse: questions intelligentes qui font appel au raisonnement et non à la simple reconnaissance. Ex: Papa a pris sa pipe. Question de reconnaissance: «Qui a pris la pipe? » ou encore « Qu’est-ce que papa a pris? » (cela ne sollicite pas la réflexion puisque la réponse est dans le texte). Question de réflexion: « Que va-t-il faire maintenant? » Seule, cette dernière fait appel à des liens logiques :
- liens logiques: cause, conséquence, but, opposition, comparaison, condition …
- temps, pour se situer et établir logique et chronologie entre les différentes informations
- et le plus important : la perception de soi comme acteur responsable agissant dans le temps et l’espace, seul ou en lien avec les autres (cf. la Grammaire Structurante).
Il suffit que les leçons soient expliquées à partir du sens, et non de simples moyens mnémotechniques, que les règles soient toujours démontrées et assorties d’exemples, pour que chacun y trouve son compte. Il faut également que des exercices écrits sollicitant la réflexion et non l’automatisme permettent ensuite d’intégrer durablement les nouvelles connaissances.
Que conseilleriez-vous à des parents dont les enfants ont été diagnostiqués « dys » ?*
Il y a actuellement une forte tendance à étiqueter les enfants qui trébuchent ou se bloquent en classe. Et plutôt que de revoir les contenus enseignés on impute la cause de ces blocages à des carences familiales ou intellectuelles des enfants. Même ceux dont l’intelligence est la plus évidente sont «diagnostiqués» surdoués ou précoces. Aussi beaucoup de parents, mal informés, prennent les excellentes aptitudes de leurs enfants pour une calamité.
Il convient donc de rassurer les parents quant aux dys… de leurs enfants. Il ne s’agit pas d’une maladie incurable mais plutôt d’une indigestion d’apprentissages intuitifs, automatisés avant d’avoir été bien compris, donc hors sens. C’est cette indigestion qui est perturbante et dont il faut guérir l’enfant. Bien souvent quand nos enfants « s’ennuient» en classe, ce n’est pas parce que le niveau est trop faible pour eux, c’est parce que ces enfants-là ont besoin de comprendre le pourquoi du comment de la matière enseignée. Il faut donc impérativement le leur donner au lieu de leur faire sauter des classes.
Des pédagogies pour l’apprentissage des fondamentaux qui se sont pourtant avérées mauvaises sont toujours en vigueur. Quelle en est selon vous la cause ?
Il nous semble qu’il y a plusieurs causes.
Dans les familles, nous en sommes souvent déjà à la troisième génération touchée par ces changements. Plus le temps avance, moins les gens sont aptes à les percevoir et à y remédier, puisqu’eux-mêmes les ont subis au moins partiellement.
Les notes scolaires, ainsi bien sûr que les réussites aux examens, ne reflètent plus le véritable niveau de l’élève. Elles sont outrageusement majorées, et reflètent beaucoup plus l’acceptation du moule proposé, c’est-à-dire la mécanisation, que le niveau de réflexion et de connaissances.
Trop souvent le mode de recrutement des professeurs privilégie l’obéissance à la règle, la réponse intuitive à des QCM (questions à choix multiples) et exclut les esprits critiques.
Les formations des maîtres utilisent des méthodes contraignantes qui sans en avoir l’air ne respectent pas toujours l’intégrité de la personne.
Les inspections académiques limitent généralement l’évaluation des enseignants à la stricte application des directives de la rue de Grenelle, ce qui infléchit presque automatiquement leur façon de faire.