La réforme de l’orthographe annoncée… en 1990 va entrer en vigueur dans les manuels scolaires de la rentrée de septembre 2016, et elle concernera environ 2400 mots…Mais s’agit-il vraiment d’une simplification ou d’une rationalisation de la langue française ?
On la pensait oubliée, perdue dans un des nombreux tiroirs sans fond du ministère, on avait oublié jusqu’au souvenir de sa potentialité, mais là voici ressurgie, terrible, fière et immédiate : la réforme de l’orthographe. Elle n’en demandait pas tant, notre brave langue française. L’orthographe n’était plus à proprement parler un sport national, et les jeunes, accompagnés en cela par des kyrielles de jeunes enseignants fraîchement diplômés et aussi mal formés qu’eux, s’étaient depuis quelque temps déjà affranchis de tout dogmatisme orthographique, et laissaient parler leur énergie créatrice.
Mais comme il n’y avait vraiment aucun autre dossier prioritaire, vu que tous les problèmes de l’école étaient réglés et que tous, parents, élèves et enseignants, communiaient dans une harmonieuse béatitude, “ils” ont ressorti leur vieille copie et ont décidé de “simplifier l’orthographe”.
Alors évidemment, on s’interroge. D’abord il est étonnant que la réforme n’impose pas une norme, mais se contente de recommandations. L’orthographe serait donc affaire de sensibilité, d’humeur, et sujette à négociations ? La devise du “c’est mon choix” empêchera de trancher entre un partisan de l’ “île” et un sectateur de la nouvelle “ile”. Mais ce dernier pourra-t-il alors comprendre qu’un Islandais est un habitant d’une île, ancienne “isle” gardant par le circonflexe une trace de son évolution, de ce “s” perdu qui est resté dans l’anglais “Island”, l’espagnol “isla” ou l’italien “isola” ? Comment faire le lien aussi entre le nouveau “cout” de la vie, ayant perdu la trace circonflexe de son “s” ancien, et son cousin anglais “cost”, ou son cousin allemand “kosten” qui étaient pourtant ses exacts équivalents phonétiques ?
On invite aussi les “auteurs de dictionnaires” à “privilégier la graphie soudée” pour un certain nombre de mots faisant anciennement apparaître un trait d’union. Un des exemples donnés est “porte-monnaie”, qui deviendrait “portemonnaie”. Mais alors pourquoi ne pas appliquer cela à tous les mots utilisant un verbe initial, comme “cure-dent” ou “pense-bête”, ou “monte-charge” ? Ces mots-là, soumis à la réforme de leur pluriel, semblent garder leur trait d’union.
Une réforme qui ne s’applique pas à tous les mots de la même structure complexifie ce qu’elle prétend simplifier. Toutefois, comme cette fois encore la réforme n’est qu’indicative et conseillée, chaque dictionnaire pourra finalement choisir l’orthographe qui lui sied, et chacun trouvera peut-être chaussure à son pied : il suffira de changer de dictionnaire !
On reste aussi perplexe devant certaines raisons invoquées.
La plupart des changements opérés auraient pour motif l’élimination d’irrégularités et d'”anomalies”.
On identifie comme une “anomalie” le double l de “corolle” qu’on veut maintenant écrire comme “bestiole”. Mais le Corolla latin porte un double l alors que le “bestiola” qu’on lui oppose fait apparaître un suffixe diminutif “olus” qui ne prend effectivement, toujours, qu’un seul l. En empêchant le recours à l’étymologie pour trouver l’orthographe d’un mot en se référant à son histoire, on réduit chacun à tout apprendre par cœur, par le simple usage.
De même on nous demande de conjuguer “asseoir” et “surseoir” comme “voir”. Mais que faire alors des “séances” ? Du nom et de l’adjectif “séant” ? En gommant le lien qui unit “asseoir” et son étymon “sedere”, va-t-on aider les enfants à comprendre ce que sont des “sessions”, ou même un “siège” ? Ou pourquoi “assoir” garderait-il comme participe “asseyant” ? L’alignera-t-on sur “voyant”, puisqu’on argue de l’ancien “veoir” disparu pour passer de “asseoir” à “assoir” ?
On s’appuie aussi sur la rareté de la graphie cz en français pour transformer “eczéma” en “exéma”, sur le modèle d’ “examen”. C’est faire semblant d’ignorer qu’ “eczéma” est un mot grec dans lequel on rencontre la racine zema, venant de zein, bouillonner, auquel s’ajoute le préfixe ek, et non un mot utilisant le préfixe ex, qu’il soit grec comme dans “exégèse” ou latin comme dans “examen” ou… “exagérer”.
Là encore la réforme associe ce qui est différent, tout en isolant les mots de leurs racines, entravant ainsi la compréhension profonde de la langue.
Nous avions l’habitude des réformes dormantes, qui sommeillaient longtemps avant d’être englouties sous la poussière de l’oubli. On s’en plaignait parfois. On avait peut-être tort. Ou tord ? Ou tore ?…
Le texte : http://www.orthographe-recommandee.info/enseignement/regles.pdf
http://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf
Gauvin Burriss, agrégé et docteur ès lettres classiques