Chantal Delsol : l’esprit de l’école professorale de Paris

Chantal_DelsolLa philosophe Chantal Delsol, un des professeurs fondateurs de L’école professorale de Paris, répond à Famille chrétienne et présente l’EPP, cette nouvelle grande école qui vient de naître, remettant à l’honneur la tradition des arts libéraux.

 

A l’heure de la réforme du collège la création de l’École professorale de Paris semble à contre-courant avec son ambition d’excellence. Est-ce la formation des élites par des élites ?

Nous cherchons simplement à former de bons professeurs. J’espère que personne ne nous en fera un crime. Les meilleurs cerveaux se trouvent partout, mais il faut oser les sortir du lot pour leur donner la possibilité de se développer. Il y a eu un moment où l’école républicaine savait découvrir les élites intellectuelles dans toutes les classes de la population, et les formait. Il y a encore une trentaine d’années, les premiers des grandes écoles pouvaient être aussi bien les enfants du petit commerçant de village. Aujourd’hui, nous avons sous les yeux la reproduction des élites, c’est à dire exactement le contraire du résultat escompté qui est l’égalité de tous. Comment cela est-il arrivé ? Pour donner leur chance aux meilleurs venant de partout, il faut être exigeant. Si au contraire on rabaisse toutes les prétentions du savoir, alors on supprime toute élite, y compris bien sûr celle qui venait des classes défavorisées. Finalement, seuls s’en sortent ceux qui ont reçu une éducation exigeante dans leur famille.

Les candidats à la primaire de la droite préparent déjà leurs fiches sur les enjeux de l’éducation. Les politiques vous semblent-ils à la hauteur des multiples défis d’aujourd’hui ?

Les politiques français d’aujourd’hui ne veulent que le pouvoir tout en faisant de grands discours sur les défis et les enjeux. Ils surfent sur la passion de l’égalité, passion bien française, et on ne peut pas en attendre grand chose. C’est pourquoi nous n’attendons pas la résurrection de l’Education Nationale et créons un institut privé. Cet institut veut seulement prouver que quelque chose d’autre est possible.

Vous voulez renouer avec un « type de formation classique, conforme à ce qu’a toujours été l’enseignement secondaire depuis l’Antiquité, les facultés des Arts du Moyen Âge, les collèges de Jésuites et d’autres grandes congrégations enseignantes ». Qu’est-ce à dire exactement ?

Nous ne cherchons pas par principe à retourner au Moyen-Age ! Mais notre modèle ce sont les « arts libéraux », d’origine typiquement européenne, dont la matrice est très ancienne et dont la conceptualisation s’est faite dès l’Antiquité. Il s’agit d’enseigner les grandes disciplines des lettres et des sciences, et de le faire sérieusement dès la classe de 6ème, en comptant sur l’intelligence et l’appétit de savoir des enfants et adolescents. Ce modèle d’enseignement secondaire a existé jusqu’aux années récentes en France, et il continue d’exister dans la plupart des autres grands pays européens (Pays-Bas, Suisse, Italie, Grande-Bretagne, Allemagne…). Mais il a été quasi-détruit dans notre pays depuis l’instauration du collège unique, et la situation empire avec la dernière réforme des collèges. Il faudra le restaurer un jour, si nous voulons que la France ne régresse pas intellectuellement et garde son rang parmi les grandes nations scientifiques. Dans ce type de cursus, il s’agit, non pas d’inculquer un contenu, mais d’apprendre à réfléchir et à critiquer, c’est à dire, à travers les contenus, de former des esprits à la quête de la vérité. L’École professorale de Paris formera de jeunes professeurs capables d’enseigner dans cet esprit.

Quels sont vos rapports avec l’enseignement catholique ?

Nous avons de bonnes relations, pour commencer avec Saint Jean de Passy avec qui nous avons noué un partenariat et qui nous héberge dans ses locaux. Nous ne sommes pas confessionnels. Pourtant, il faut bien reconnaître le travail considérable accompli par les écoles confessionnelles, et l’on se demande ce que deviendrait l’Education Nationale sans elles !

Avez-vous le sentiment d’œuvrer à une contre-culture ou à une œuvre de dissidence par rapport à la ligne de l’éducation nationale ?

Certainement, et de plusieurs façons. D’abord, l’Éducation nationale ne donne pas pour but à l’école de transmettre la connaissance du monde et de former des esprits, mais uniquement de produire de l’égalité sociale, de niveler les différences créées par la famille – cette finalité bien affichée date déjà de plusieurs décennies. C’est pourquoi elle veut le contraire de l’exigence ; nous, nous serons exigeants. L’Éducation nationale a pour but, lui aussi affiché, d’imposer un contenu de doctrine considéré comme officiel ; on ne forme pas les esprits à la quête de la vérité, on leur apporte des dogmes tout faits. Nous prendrons le contre-pied de cela. Enfin, les dispositifs mis en place depuis quelques années pour former les professeurs, jadis les IUFM, aujourd’hui les ESPE (« Écoles supérieures du professorat et de l’éducation »), mettent presque uniquement l’accent sur la formation « professionnelle » des enseignants au détriment de leur formation académique. C’est absurde. Nous voulons former des professeurs dont l’efficacité pédagogique sera surtout la conséquence naturelle de leur excellente formation dans les disciplines enseignées. Naturellement, nous ne sommes pas l’Éducation nationale. Nous n’imposons rien à personne ! Mais nous supposons qu’il existe encore en France  une grande quantité de jeunes gens passionnés par les savoirs littéraires et scientifiques, et qui n’envisagent une carrière d’enseignant que si celle-ci a pour principale vocation la transmission sérieuse des savoirs.

En quoi le catholicisme peut-il être une matrice capable d’influencer à nouveau la culture des nouvelles générations ?

La vision chrétienne est de toute façon la matrice de l’éducation intellectuelle occidentale, comme l’a montré Newman au XIX° siècle. En ce sens qu’à partir de son anthropologie de l’humain comme personne, elle met fin peu à peu à l’éducation d’initiation, qui existe naturellement dans toutes les sociétés du monde, pour développer une éducation d’initiative, qui déploie l’autonomie et la conscience personnelle de l’éduqué. Il s’agit là d’une matrice, susceptible d’être renouvelée à chaque époque, mais qui marque le pli originel à partir duquel nous nous redéployons toujours, à moins de cesser d’être nous-mêmes.

D’autre part, non seulement il n’y a aucune contradiction entre la foi chrétienne et le savoir, mais le travail des scientifiques ne consiste à rien d’autre qu’à explorer la création de Dieu. Il est, en ce sens, parfaitement légitime et même saint, comme l’avaient bien compris saint Thomas d’abord, puis les Jésuites dont toute l’œuvre scolaire d’excellence, consistant à relever au xvie siècle le défi de l’humanisme et de la science moderne, était dirigée ad majorem Dei gloriam. Dieu lui-même veut que nous fassions pleinement usage de la raison qu’il a intégrée à notre nature, la destinant à connaître le monde que nous devons améliorer. Les chrétiens n’ont donc aucune raison d’être à la traîne dans la formation des intelligences. Si l’Éducation nationale a renoncé à ce but, à nous de reprendre le flambeau.

Quel est le profil des enseignants et leur AND intellectuel ?

Ce sont des gens qui ont une expérience, en général assez longue, de l’enseignement dans le supérieur. Ils connaissent les défauts des universités actuelles. Ils veulent renouveler le modèle. Ce sont des gens passionnés, ce qu’il faut pour se lancer dans une telle aventure.

Quels élèves voulez-vous recruter pour la rentrée 2016 ?

Nous recrutons des élèves des classes préparatoires, ou des étudiants en licence, et nous les recrutons sur concours. Nous recrutons aussi des étudiants qui, même s’ils ne sont pas encore certains de vouloir devenir professeurs, souhaitent bénéficier d’une formation littéraire ou scientifique de haut niveau. Ils étudieront dans de bonnes conditions, puisque nos promotions seront peu nombreuses.

L’enseignement délivré fera-t-il une place à la « pédagogie » (et un sort au pédagogisme ?) et si oui sur quelles bases ?

Les deux : un sort au pédagogisme verbeux et arrogant ; une place à la pédagogie enracinée dans l’expérience et le sens commun. D’ailleurs, nous avons commencé, cette année, par un Séminaire portant sur la pédagogie de chaque discipline, dont plusieurs conférences sont déjà disponibles sur notre site.

http://www.epparis.org/