Quand la République crache sur la méritocratie

Anne CoffinierA leur arrivée au pouvoir, les socialistes ont aboli la loi Ciotti qui sanctionnait l’absentéisme des enfants en cours par une réduction des allocations familiales perçues par leur famille. Par une circulaire de l’été 2014, ils ont aussi voulu supprimer les bourses aux mérites pour les bacheliers ayant obtenu une mention trés bien. Seule la censure du Conseil d’Etat a permis de  sauver le principe de cette bourse, même si le gouvernement a persisté dans son acharnement anti-méritocratique en divisant par deux cette prime depuis septembre 2015.Aujourd’hui, la guerre que mène le gouvernement contre la méritocratie républicaine compte à son actif un nouveau fait d’armes : Mme Najat Vallaud-Belkacem veut donner une prime de 600 à 1 000 euros par mois (excusez du peu !) aux absentéistes caractérisés pour peu qu’ils consentent à honorer de leur présence l’établissement scolaire qu’ils ne fréquentaient plus qu’épisodiquement. S’il est vrai que le coût d’un décrocheur pour la société sur toute une vie est très élevé (Le Ministère de l’Education nationale  l’estime à 230 000 euros), et que Najat Vallaud-Belkacem ne fait ici que reprendre une idée avancée en 2009 par Martin Hirsch, cette initiative n’en reste pas moins désastreuse car elle inverse les valeurs sur lesquelles il faut reconstruire l’école de toute urgence : s’instruire est un privilège qui doit pousser les élèves à manifester de la reconnaissance pour leur famille et la Nation qui le leur permet. Les élèves les plus travailleurs et les plus motivés d’une part, et ceux qui sont les plus doués d’autre part, doivent être encouragés par tous les moyens à poursuivre leurs études, car l’éducation est un bien commun dont les externalités positives profitent à l’ensemble de la société. C’est un investissement qui rejaillit positivement sur tous, qui tire l’ensemble de la société vers le haut. Chaque décrocheur gâche des talents qui pourraient lui profiter mais surtout qui seraient susceptibles d’enrichir toute la société.

Mais la polémique actuelle relative à la prime aux décrocheurs nous ramène en réalité à la question du collège unique et de la mauvaise qualité de notre enseignement professionnel et technique (en particulier celui qui se déploie dans le cadre d’établissements publics, qui ont le plus grand mal à garantir l’employabilité de ses diplômés). S’il y a tant de décrocheurs, c’est que l’école ne les intéresse pas, soit parce que les cours sont trop faciles ou trop difficiles, soit parce qu’ils sont faits pour un autre type d’apprentissage que le collège-lycée généraliste mais que notre société ne veut pas répondre à leurs besoins. Notre système est tout entier construit sur l’idée de maintenir un maximum d’élèves dans la filière générale, même au prix de la suppression du redoublement, de l’existence de classes de collèges voire de lycées terriblement hétérogènes avec des élèves qui ne sont manifestement pas à leur place et qui empêchent les autres d’étudier correctement. C’est une véritable torture à laquelle sont soumis ces jeunes qui aspirent à entrer dans la vie réelle, apprendre un métier, gagner de l’argent, commencer à avoir des responsabilités, et que les gouvernements successifs ont préféré sacrifier sur l’autel de l’égalitarisme républicain. L’Etat condamne à la désespérance une majorité de jeunes de tous milieux (et  pas seulement des milieux défavorisés, comme nos habitudes d’analyse bourdieusiennes voudraient nous le faire croire). Ce choix idéologique se traduit par des conséquences bien tragiques sur le terrain, avec ces jeunes cassés, souffrant d’une mauvaise estime d’eux-mêmes, qui deviennent inaptes tant aux études supérieures qu’à l’apprentissage d’une profession manuelle. Il est temps de regarder nos voisins allemands ou suisses et d’oser en finir de cette idéologie qui nie la diversité des dons et des aspirations des jeunes.

Anne Coffinier