Envoyé spécial : vous avez dit crise du recrutement ?

5782861lpw-5782911-article-najat-vallaudbelkacem-jpg_3844567Ce jeudi 3 novembre, Najat Vallaud-Belkacem participait à l’émission Envoyé Spécial, sur France 2, dans le cadre du reportage « Prof à la gomme », pointant du doigt des modalités de recrutement des professeurs de l’Education nationale pour le moins hétérodoxes : des contractuels qui ne connaissent rien ou pas grand-chose, se retrouvent parachutés dans des classes du jour au lendemain, avec la bénédiction des inspecteurs, et encouragés par les directeurs d’établissements. Incapables de faire cours, ils sont soutenus par une hiérarchie nourrissant le secret espoir qu’ils resteront le plus longtemps possible à meubler l’espace vide entre le bureau du prof et le tableau noir…

Quelques jours auparavant, le ministère de l’Education Nationale ordonnait la publication, avec prise d’effet immédiate, d’un décret menaçant la liberté d’enseignement et plus particulièrement la liberté de programmes et de progression des établissements hors contrat et réorganisant les modalités de l’inspection de l’instruction en famille”.

C’est bien l’urgence, en effet, quand un journaliste, muni d’un diplôme bidon photoshopé, et étant incapable de multiplier 3 par 8, se retrouve à enseigner la bonne parole mathématique devant trente pauvres marmots qui n’ont pas demandé grand-chose, mais qui devront se contenter de ce qu’on leur donne – car ils n’ont pas le choix.

Mais tout va bien, car la ministre se dit « contente » qu’un tel reportage soit diffusé.
Nul doute que les parents qui découvrent le pot aux roses – pour ceux qui se feraient encore des illusions sur un niveau d’enseignement en chute libre depuis plusieurs années, dont Mme Vallaud-Belkacem n’est à l’évidence pas la seule responsable – apprécieront au plus haut point cet intense niveau de satisfaction.

Les inspecteurs ont donc bien mieux à faire que de s’offusquer des candidatures fantaisistes de chômeurs, étudiants et autres bonnes volontés, ne distinguant pas Pythagore de Thalès, et un COD d’un COI.
C’est vrai : ils pourchassent «l’indigence pédagogique » des écoles hors contrat, où il y aurait, paraît-il, fort à faire.

Pourtant, si l’on acceptait de regarder ces écoles hors contrat avec un regard neuf, voici ce que l’on y trouverait.
Au lieu de postes non pourvus, des afflux de candidatures de professeurs désireux de pouvoir enseigner dans des conditions favorables, au sein d’établissements où la transmission du savoir est remise au cœur, comme en témoignent les requêtes d’enseignants enthousiastes à l’idée de participer à l’ouverture des écoles hors contrat portées par la Fondation Espérance Banlieues : plus de 250 candidatures reçues depuis le printemps 2016, alors qu’il ne s’agit que d’une poignée d’écoles concernées, et provenant souvent de profils diplômés, voire très diplômés (HEC, X).
On y rencontre, bien souvent, des professeurs heureux d’enseigner, qui aiment leur travail et se réjouissent chaque matin d’aller retrouver leurs élèves – malgré les difficultés inhérentes au « plus beau métier du monde ».

Les écoles indépendantes sont pointées du doigt par le ministère ; elles sont accusées d’entretenir la misère intellectuelle des enfants et même, de les refermer sur eux-mêmes. On en pointe les excès, jamais les succès. Pourtant, ces écoles indépendantes obéissent à un souci permanent d’améliorer leur résultat et de porter plus loin leur ambition d’excellence. Elles se sont même dotées d’un label Qualité – aux critères duquel on se demande bien combien d’établissements portés par l’Education nationale pourraient satisfaire. D’ailleurs, ce souci de soumettre son offre pédagogique à une constante évaluation objectivée y existe-t-il vraiment ?

En fait « d’indigence académique », on y trouve bien souvent une réelle exigence de maîtrise des savoirs quand celle-ci, dans le système public, tend malheureusement de plus en plus à se réfugier dans quelques établissements privilégiés. L’Institut Libre de Formation des Maîtres, pour les enseignants du primaire, et l’Ecole Professorale de Paris, émanations de la Fondation pour l’école, sont la preuve de l’attachement fondamental des artisans des écoles hors contrat à être à la hauteur des enfants qu’ils veulent servir et de leur avenir.

Les silences et la gêne de la ministre devant les questions d’Elise Lucet qui met sous ses yeux l’existence d’une génération sacrifiée sont bien difficiles à noyer. Quel contraste avec l’énergie déployée par ailleurs à attaquer ce qui fonctionne, dans un système qui aspire à se déployer en bonne intelligence avec les structures soutenues par l’Etat, comme cela se fait partout ailleurs en Europe et dans le monde.

A la médiocrité des recrutements on répond par les chiffres de création de postes. Les postes sont là, ce n’est pas la question. Le problème est que personne ne veut les occuper, et que les seuls candidats prêts à s’y coller ne sont pas à la hauteur. Et chaque année, il y en a moins que l’année d’avant.
Le fait est que le hors-contrat ne souffre pas d’un manque de professeurs. Et la motivation de ceux qui y travaillent n’est pas celle d’un salaire mirobolant – le fameux « plus de moyens » pour l’Education nationale : souvent, ils ne réclament pas tant l’assurance d’une feuille de paie bien garnie que la certitude de pouvoir exercer dans des structures et au sein d’équipes qui respecteront ce qu’ils ont à donner.

Lundi 7 novembre, par un de ces hasards de calendrier qui sont plus que de coïncidences, Le Monde relaie un rapport volumineux du Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire) sur l’attractivité du métier d’enseignant (à consulter ici)
On y apprend “qu’il n’y a pas de crise structurelle du recrutement”. Mais on y lit, dans le même temps, que la situation n’est pas nouvelle et dure depuis les années 1990. Du conjoncturel qui dure, pourrait-on dire. Une chose est sûre : la succession des ministres de l’Education nationale des deux bords n’a pour l’instant pas permis d’enrayer la mécanique infernale.

En attendant, laissons donc vivre et croître ces écoles qui permettent à de nombreux professeurs, enfants et parents de croire encore qu’il n’y a pas de plus beau geste dans une société que de transmettre et recevoir un savoir que l’on aime.

Pour revoir l’émission d’Envoyé spécial, cliquer ici.