Intervention d’Anne Coffinier à l’Ecole Professorale de Paris

Logo EPPLe samedi 4 mars dernier se sont tenues les Portes ouvertes de l’Ecole Professorale de Paris. L’occasion pour Anne Coffinier de rappeler la dignité de la vocation d’enseignant, et le beau projet derrière cette institution qui prépare sa deuxième rentrée, et s’apprête à accueillir une chaire de Mathématiques, une chaire d’Economie et une de Physique-Chimie.

Chers amis,

Je prononce cette brève allocution en tant que directeur général de la Fondation pour l’école, afin de rendre compte des raisons pour lesquelles la Fondation pour l’école a eu à cœur de favoriser la naissance de l’Ecole Professorale de Paris, en hébergeant en son sein la Fondation Lettres et sciences, qui a tracé les contours de l’EPP et qui la finance.

La Fondation pour l’école a pour but de favoriser les initiatives éducatives de la société civile, pour améliorer notre système éducatif français. Une des missions essentielles de la FPE est la formation des professeurs. Dans le cadre de l’ILFM (Institut libre de formation des maîtres, www.ilfm-formation.com), qui fête ses 10 ans cette année, la Fondation pour l’école forme les maîtres du primaire ainsi que les éducateurs non enseignants. Or, il se trouve qu’on nous demande sans cesse, depuis 10 ans, de créer aussi une deuxième faculté libre pour former les professeurs et les préparer à leur métier.

C’est pour cela que nous avons accueilli la naissance de l’EPP – qui se consacre spécifiquement aux professeurs du collège, du lycée et des classes préparatoires – avec beaucoup de bonheur et de gratitude envers la Providence.

L’EPP est jeune et modeste en taille, mais elle est promise à un grand avenir parce qu’elle ose répondre à un besoin immense : celui de former des professeurs de qualité dans le contexte actuel de la terrible crise des vocations enseignantes.

Permettez-moi de vous préciser que ce défaut plus que préoccupant de vocations enseignantes découle, à mon sens, de la dénaturation totale du métier de professeur à laquelle il nous a été donné d’assister. Avant d’être un « fonctionnaire obéissant », soucieux de respecter avec zèle les directives données par la rue de Grenelle, il est un être qui s’engage et se donne dans son enseignement, un artisan, un artiste, un aristocrate éminemment libre et responsable. Que l’on nie ces dimensions du métier de professeur, et l’on réduit drastiquement l’attractivité de la carrière professorale.

L’autre raison pour laquelle je suis confiante en l’avenir de l’EPP et que cette jeune institution rassemble des personnes de très grande qualité, appartenant à différentes générations, et extraordinairement motivées à l’idée de relever le défi et de préparer pour la France de demain une génération de professeurs d’exception, de leur passer le relais.

Seul l’engagement de ces professeurs-là permettra d’assurer un avenir à notre civilisation. Cela peut sembler grandiloquent mais pourtant, il importe de bien saisir que l’enjeu du relèvement de la qualité du corps professoral est proprement civilisationnel puisque l’école d’aujourd’hui prépare ce que sera la France de demain (et tout bon révolutionnaire le sait pertinemment !). Les professeurs sont le seul actif véritable des écoles. Ce sont des trésors sans prix, des pépites. L’avenir de l’école se joue donc on ne peut plus certainement dans la qualité des professeurs qui se préparent à servir. Cela reste vrai même à l’époque du numérique parce que l’homme est un être relationnel, un être incarné et que rien ne pourra remplacer la centralité de la relation personnelle entre le maître et son élève.

Mais qu’est-ce au juste qu’un professeur d’exception ? C’est bien sûr un professeur qui domine parfaitement la matière qu’il a à enseigner et qui est doté d’une vaste culture personnelle. Mais aujourd’hui, je veux souligner un autre aspect : un professeur véritable est à mon sens un être qui est ce qu’il est en surabondance, de telle sorte qu’il peut faire bénéficier ses élèves de cette surabondance. On enseigne comme on est, de sorte que le premier devoir du professeur est d’être pleinement homme, d’être éminemment vivant et notamment d’être fécond intellectuellement. J’ai pris conscience de cette réalité en Russie, en rencontrant des professeurs de l’enseignement public, notamment au Lycée classique de Saint-Pétersbourg, qui avaient une vraie vie de l’esprit et qui se montraient capables de créativité intellectuelle et artistique, par exemple comme dramaturge ou chercheur en sus de leur métier d’enseignant. Ils n’hésitaient d’ailleurs pas à associer leurs élèves à leurs travaux : traduction et adaptation du grec vers le russe, édition, adaptation dramaturgique…

Si l’ « enseignant » – comme on le nomme tristement aujourd’hui – est sec, morne et dépourvu d’enthousiasme, quelle flamme pourra-t-il allumer dans l’esprit de ses élèves ?

S’il est inculte et stérile comme une terre laissée en jachère, comment persuadera-t-il ses élèves d’entrer dans la joie de la vie de l’esprit ?

S’il est matérialiste et étriqué, comment pourra-t-il donner à ses élèves le goût de la vie de l’intelligence, de l’insatiable curiosité, et de la générosité intellectuelle ?

C’est pour cela que l’EPP, sans être confessionnelle, est profondément spirituelle : elle est résolument ancrée dans le patrimoine du christianisme.

C’est pour cela que l’EPP, sans être inféodée à quelque allégeance politique, est profondément pétrie de sa mission conservatrice, au sens arendtien du terme (« L’école est conservatrice ou elle n’est pas »).

C’est pour cela encore que l’EPP, sans être créée sous la forme d’une entreprise, est fondamentalement « entrepreneuriale » dans sa nature. Il s’y cultive le goût de l’initiative, de la prise de responsabilité, et de l’audace. L’ouverture – non programmée à l’origine – d’un département d’économie l’illustre parfaitement. La liberté de la vie de l’esprit que cultive joyeusement l’EPP se prolonge naturellement par la libre entreprise. Peut-être que ces professeurs, non contents d’enseigner, en viendront à fonder des écoles libres, des collèges, des lycées, des établissements supérieurs qui seront ancrés dans la culture classique européenne tout en étant résolument modernes dans leurs modalités.

Pour toutes ces raisons, je souhaite longue vie à l’Ecole professorale de Paris et redis ma joie d’avoir pu y apporter ma modeste contribution.

A Saint-Jean-de-Passy, le 4 mars 2017

Le site de l’Ecole Professorale de Paris

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