De l’avis de Ismail Fehrat et Bruno Poucet, les auteurs de l’enquête, se dessine une évolution inattendue, d’une franche hostilité à une acceptation faite de compromis et d’échanges de bons procédés, à rebours de l’image d’hostilité que l’on pourrait imaginer.
Nous décryptons cette analyse.
1957-1977 : Opposition proclamée et négociations discrètes
De 1952 à 1957, des négociations secrètes ont eu lieu avec le Vatican, en particulier sous le gouvernement de Guy Mollet, pour aboutir à un accord sur l’enseignement privé. Dans le même temps, Guy Mollet propose un projet provocateur de réformes, prévoyant une mise sous tutelle drastique de l’enseignement, et une nationalisation des établissements privés. Double jeu, donc, puisqu’il mène de front deux actions contradictoires : l’une « officielle », destinée à donner des gages idéologiques à son parti, l’autre « officieuse », qui a pour but de faire avancer le dossier sur le fond dans une direction favorable à l’entente avec les instances de l’Eglise catholique. Un arrière-plan qui a, très certainement de l’avis des deux analystes, préparé le terrain à la loi Debré votée en 1959, après l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir.
« La loi, promulguée le 31 décembre 1959, crée un financement public des établissements privés passant un contrat « simple » (plus léger en termes d’obligations réglementaires) ou « d’association » (plus contraignant). Elle est pensée par le gouvernement comme la mise en place d’un service public concédé (respect des programmes, recrutement des enseignants sous contrat d’association par le rectorat, inspection de l’État, contrôle financier). Le « caractère propre » reconnu par la loi aux écoles sous contrat concerne la non-intégration à la carte scolaire, l’internat, la vie scolaire, qui peut comprendre une dimension religieuse. »
Elle suscite une violente opposition dans les rangs de la SFIO, épris de laïcité… alors même qu’elle reprend l’esprit de projets étudiés quelques années auparavant… par d’autres membres de la SFIO.
La loi Debré est prévue pour être renouvelée en 1971. En 1977, la loi Guermeur apporte une série de changements. Elle améliore la carrière des maîtres, tout en accroissant le montant des crédits alloués et l’autonomie des établissements concernés par la loi Debré. Ces aménagements réactivent les réflexes défensifs de la part des partis de gauche, qui dans le cadre de l’élaboration du programme commun, s’engagent en faveur de la nationalisation des établissements privés d’éducation : ce parti pris entre toutefois en contradiction avec la volonté « d’ouverture » vers les chrétiens manifestée par les cadres du Parti depuis le Congrès d’Epinay de 1971.
1977-1997 Acceptation complexe au niveau local et national
1977 : une fois de plus, le Parti socialiste est aux prises avec les plus grandes contradictions sur le dossier scolaire. C’est l’année où il publie son grand programme « Libérer l’école », retour aux fondamentaux du Parti, et affirmation du « credo » de nationalisation de l’école. Mais c’est aussi une année de victoires électorales des socialistes dans le Grand ouest, dans des régions où traditionnellement l’électorat catholique est très présent, ce qui oblige le parti à « mettre de l’eau dans son vin ».
Selon nos auteurs, « cette conjonction pose le problème de l’adéquation entre ses propositions programmatiques pour l’école privée et leurs conséquences électorales. »
Les années 1981-1984 sont donc dominées par des affrontements idéologiques puissants, et des oscillations dans le discours officiel particulièrement difficiles à tenir. Le projet de loi Savary de 1984 cristallise ces tensions. Même si, selon les auteurs de l’article, ce projet visait plus à un rapprochement entre privé et public qu’à une nationalisation pure et simple. Plus fondamentalement, le Parti socialiste, soumis à des injonctions contradictoires, doit choisir où mettre le curseur dans ses choix en matière scolaire : intégration à la carte scolaire, sociologie des élèves, place de l’autonomie pédagogique, articulation avec la décentralisation, statut des maîtres.
Dans tous les cas, la bataille médiatique est gagnée par les opposants à la Loi Savary, les partisans de l’enseignement privé apparaissant comme les défenseurs des libertés, et en particulier, de la liberté scolaire, contre une gauche confiscatrice. Le projet est retiré le 12 juillet 1984. A partir de là, le Parti socialiste choisit le flou et le silence dans sa communication sur le sujet scolaire : plus rien sur le privé. Désormais, c’est une attitude de compromis qui va prévaloir. En 1992, l’éclatement de la FEN, laïque, jusque-là plus puissante organisation syndicale du système éducatif, affaiblit par cercles concentriques le Parti socialiste.
Dans ce contexte, c’est le compromis qui préside aux accords Lang-Coupet en 1993. Ces accords institutionnalisent le rôle du SGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique), mais alignent les pratiques de l’enseignement privé sous contrat sur celles de l’enseignement public (notamment en ce qui concerne la formation des professeurs et les concours).
1997-2017 Apparent silence et mutations de fond
Les deux dernières décennies sont placées sous le signe d’une dégradation des relations du milieu enseignant, pourtant un électorat traditionnel de la gauche, et le Parti socialiste. Inversement, le SGEC se montre plutôt bien disposé à l’égard des réformes lancées par la gauche, comme
Mais un nouveau fossé se creuse, entre la direction de l’enseignement privé, et une fraction toujours plus importante de parents d’élèves, scolarisant leurs enfants dans le privé, qui n’acceptent pas l’alignement sans cesse plus poussé des pratiques du privé sur celui du public. Le débat se fait moins administratif et juridique, mais plus idéologique, à la faveur des débats sur le mariage pour tous, ou le gender.
La normalisation des rapports entre la direction de l’enseignement catholique et le Parti socialiste explique le glissement des tensions sur d’autres secteurs. Le gros du problème des relations entre la gauche et le privé a été évacué du débat dans un processus progressif sur les années 1990 et 2000, pour se concentrer sur les « marges » du système éducatif, mais dont les problématiques, clivantes, sont désormais absolument déterminantes : les problèmes identitaires, et le hors-contrat.