À l’école, comment mettre l’évaluation au service des apprentissages ?

Par Raphaël Pasquini, AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

Très récemment, Lorène, une enseignante avec laquelle nous collaborons dans le cadre d’une recherche, nous a invités dans sa classe pour observer comment se déroulait une évaluation de compréhension de l’écrit. Ses élèves de première année du secondaire ont commencé par se mettre par deux, et pendant vingt minutes, ils ont partagé leur compréhension des Métamorphoses d’Ovide, selon des consignes précises.

Ils ont pu confronter leur façon d’aborder différents points, répondre aux questions de leur pair, justifier leurs réponses. Ils ont aussi eu chacun l’occasion de solliciter l’aide de l’enseignante une fois, ce que la plupart ont fait. Ensuite, ils ont effectué leur travail individuellement en répondant aux questions par écrit, comme d’habitude.

Lorsque mon collègue et moi-même avons demandé à l’enseignante pourquoi elle procédait de la sorte, elle a répondu : « Je veux les amener à comprendre que, même dans une évaluation qui vaut pour une note importante pour eux, il y a de l’espace pour apprendre encore, et parfois même avec l’un de leurs camarades, cela instaure un climat de confiance entre eux et moi très bénéfique ».

Faire de l’évaluation un levier

Dans les faits, cette pratique n’est pas courante : des études issues de différents contextes montrent que les pratiques évaluatives ressemblent aujourd’hui encore furieusement à celles qu’ont connues nos grands-parents, centrées sur les notes et les moyennes.

Pourtant, ce que fait cette enseignante s’inscrit pleinement dans l’orientation en évaluation dans laquelle la grande majorité des systèmes éducatifs de l’OCDE s’inscrivent, certains depuis la fin des années 1990 et en France depuis 2014, pour juguler le taux d’échec scolaire et le décrochage des jeunes, toujours trop importants : l’évaluation-soutien d’apprentissage.

L’idée est simple en apparence : toute démarche d’évaluation fait partie de la pratique quotidienne, doit être prioritairement au service des apprentissages, et devient alors un outil puissant pour amener le plus grand nombre d’élèves à leur meilleur niveau.

Et si l’on amenait les élèves à « comprendre que, même dans une évaluation qui vaut pour une note importante pour eux, il y a de l’espace pour apprendre encore, et parfois même avec l’un de leurs camarades ».
Max Fischer/Pexels, CC BY

La réalité nuance toutefois cette idée : cette conception de l’évaluation est d’une grande complexité, notamment car elle entre en rupture avec la conception classique que nombre d’enseignants et de décideurs ont de l’évaluation scolaire, à savoir qu’évaluer se réduit à faire passer des tests.

Se pose alors l’épineuse question de déterminer comment l’évaluation-soutien d’apprentissage pourrait dépasser les prescriptions et se concrétiser dans les classes, tous degrés et disciplines confondus. Pour cela, il est intéressant de se tourner vers les systèmes qui travaillent à sa mise en œuvre depuis plusieurs années, comme en Scandinavie ou au Royaume-Uni : les analyses dont nous disposons révèlent des axes de travail intéressants.

Il n’y a pas que les notes

Si l’on considère que l’évaluation consiste à prendre des informations sur des apprentissages en cours, à interpréter ces informations au regard d’attentes claires, à prendre des décisions en cohérence avec ces interprétations et à les communiquer aux élèves, les enseignants passent un temps considérable à évaluer.

Le problème est qu’ils n’en sont pas toujours conscients, car pour un grand nombre d’entre eux, tant qu’il n’y a pas de note, l’évaluation est inexistante ou inefficace.

L’enjeu est alors d’expliciter ces pratiques existantes et de montrer que même informelles, elles peuvent servir l’apprentissage. Par exemple, observer ou interagir avec des élèves sur un obstacle qu’ils rencontrent et leur faire des retours constructifs de manière guidée pour qu’ils progressent, c’est déjà évaluer.

Nous savons toutefois aujourd’hui que, si les enseignants n’adhèrent pas aux valeurs inclusives de cette vision de l’évaluation, il n’y a pratiquement aucune chance pour que leurs pratiques en épousent un quelconque contour. Pire : lorsque les principes de l’évaluation-soutien d’apprentissage ne sont pas compris, les pratiques se réduisent à des démarches superficielles et techniques. Il est alors important de faire un travail en formation au niveau des croyances des enseignants, en partant de leurs questions et problèmes, et non de privilégier des modèles injonctifs « venant du haut », dont l’inefficacité a été démontrée depuis longtemps.

Former les enseignants

Plus globalement, c’est toute la formation à l’évaluation qui doit être intensifiée, dans les universités et dans les écoles. Au Québec par exemple, la formation prépare peu les enseignants en devenir à l’évaluation des apprentissages, la plupart des programmes ne comprenant que 3 ou 4 crédits sur un total de 120 !

Le constat vaut pour d’autres systèmes, des États-Unis à la Grande-Bretagne, en passant par la France ou la Suisse romande, où les modules traitant d’évaluation au secondaire sont même parfois facultatifs. Sans parler de la formation continue, qui reste très lacunaire dans le monde de l’enseignement.

Par ailleurs, rien ne pourra évoluer positivement sans que les responsables d’établissement ne soient également formés dans ce champ. En effet, comme dirigeants pédagogiques, ils sont des facilitateurs clés d’un possible changement, car ils peuvent donner la confiance et les moyens nécessaires à leur corps enseignant pour que cette évaluation se concrétise.

Nous savons enfin que les tests externes, dont la fréquence a augmenté partout, constituent l’une des principales menaces pour la faisabilité de l’évaluation-soutien d’apprentissage. Les pressions que ces tests exercent sur les écoles motivent les enseignants à définir en priorité le rythme de travail en fonction de la vérification du contenu du test. Ils se sentent dès lors obligés d’opter pour cette logique en raison de son lien avec les mécanismes de responsabilité et de la pression publique qui y est associée, et cela même si c’est en incohérence avec leurs valeurs. Les enseignants sont ainsi soumis à un conflit de rôles et à un sentiment de déprofessionnalisation.

Vision démocratique

Les détracteurs d’une telle approche sortent régulièrement du bois, avec leurs arguments ressassés : nivellement par le bas, deuil des savoirs, ou encore perte des valeurs de l’école comme lieu de préparation à la « vraie vie ». Et pourtant. Lorène a constaté que, malgré ses pratiques innovantes, l’échec est toujours d’actualité pour certains. Mais, maintenant, elle sait mieux sur quels contenus revenir pour faire progresser ces élèves qui, de leur côté, mis en confiance, voient qu’il est possible de progresser et s’engagent alors mieux dans l’apprentissage. Certes, c’est un travail de longue haleine, mais appréhender la complexité avec exigence demande du temps.

Les principes de l’évaluation-soutien d’apprentissage privilégient une vision plus démocratique que sélective de l’évaluation, visent à respecter l’égalité de traitement des élèves. L’enjeu est maintenant de déterminer les conditions réalistes de sa mise en œuvre, en tenant compte des différents contextes éducatifs.

Les collaborations entre chercheurs et décideurs qui ont cours actuellement dans de nombreux systèmes scolaires vont donc devoir se conjuguer avec les ressources indispensables que ces derniers pourront mettre à disposition pour que l’évaluation à l’école serve l’apprentissage avant tout. Ce n’est plus une question de choix, mais une priorité.The Conversation


Raphaël Pasquini, Professeur HEP (Haute école pédagogique du canton de Vaud) associé en évaluation certificative des apprentissages, en évaluation formative et dans les processus d’orientation scolaire, AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)


 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.