A l’EHESS, MM. Gauchet, Meirieu et Dubet s’affolent de ce qu’est devenue l’école

Lundi 9 janvier s’est tenu un “Rendez-vous de crise” organisé par les cercles de formation de l’EHESS intitulé “Mais que fait l’école ?”. MM. Gauchet, Meirieu et Dubet y font une peinture bien noire de la situation de l’école publique. Voici quelques extraits significatifs de leur constat, issus d’une dépêche de l’AEF  (dépeche n°160685 du 10 janvier 2012).
 

Toute réforme se heurte au fait qu’on n’aurait pas de données fiables sur l’école aujourd’hui.

« On voit bien que le système d’enseignement en France devient une boîte noire. On sait de moins en moins ce qu’il s’y passe, d’où la multiplication des délits d’initiés », explique Marcel Gauchet, philosophe et historien, directeur de recherches à l’EHESS. « La clé est d’inverser la tendance de cette société qui ne veut pas savoir et des responsables qui ont peur de faire connaître ce qu’il s’y passe », analyse-t-il. Ainsi, « la vraie donnée top secrète de l’Éducation nationale, c’est le taux de démission des enseignants. Il est impossible de savoir combien d’entre eux quittent le métier chaque année », illustre-t-il.

« C’est là dessus qu’il faut inverser la tendance. La dédramatisation de la question [scolaire] passe par la mise des données [de l’Éducation nationale] sur la table la plus large possible ». Marcel Gauchet préconise donc « d’aller vers une connaissance publique » de ces données.

Le politique se montrerait impuissant face à la crise de l’institution scolaire.

Enfin, François Dubet analyse une « crise de la capacité politique de prendre en charge les problèmes éducatifs. Depuis une trentaine d’années, des réformes s’accumulent, se contredisent, épuisent les enseignants. Le monde scolaire est comme gelé. D’un côté, il est fébrile – on veut toujours le transformer – et en même temps, c’est comme si l’on n’avait jamais accepté de le transformer de manière à ce qu’il soit conforme au modèle qu’on a voulu installer. » Or, selon François Dubet, « si l’on n’a pas la capacité politique de contrôler le système scolaire, il évoluera en fonction des lois naturelles de l’offre et de la demande : de la capacité sélective des uns et de la faiblesse des autres ».

L’école serait aujourd’hui une « institution qui s’avachit ».

Quant à Philippe Meirieu, sa vision de l’école est celle d’une « institution qui s’avachit », « qui ne tient plus véritablement debout et ne fait pas tenir ensemble les gens qui la fréquentent. » Elle ne « connaît plus les principes fondateurs de la socialisation et de la civilité, la politesse, etc. » « L’institution n’a pas abandonné les rituels anciens mais les laisse s’effriter sans inventer des rituels nouveaux capables de donner sens à un collectif ».

L’école souffrirait aussi de son élitisme structurel.

De son côté, François Dubet « diagnostique deux ou trois grands problèmes » : l’école produit trop d’inégalités » car « l’école française a un tropisme élitiste », et enfin, « notre école n’est pas trop accueillante, les élèves français ne se sentent pas très bien à l’école. Avec leurs enseignants ils ont peur, sont stressés, ils ont le sentiment qu’ils échouent, qu’ils ne sont jamais à la hauteur. Et les enseignants non plus ne vont pas bien. »

L’école serait revenue essentiellement une machine à classer et à exclure.

L’école est passée d’un temps « d’oscillation entre classes homogènes et hétérogènes » à « un système de détection dérivation », « la classe devenant le lieu de l’évaluation, permettant de voir si certains élèves ne seraient pas mieux ailleurs. Cela fait éclater la notion de classe, et pousse vers la notion d’individualisation, vers un système centrifuge » dans lequel le centre « tourne de plus en plus vite » et où l’on trouve « en périphérie » des éléments tels que le soutien scolaire. 

L’école demeure une institution surinvestie d’attentes. Elle ne peut que décevoir.

Pour Marcel Gauchet, les problèmes que rencontre l’institution école proviennent en partie de l’évolution de la demande et de « l’attitude des familles ». « Elles demandent à l’école de réunir les conditions de réussite de leurs enfants, mais quelque chose de nouveau s’est introduit : elles demandent à l’école de faire ce qu’elles n’ont pas envie de faire : la socialisation fondamentale. Et en même temps ; elles récusent l’institution comme une véritable institution, qui fonctionne avec des règles qui s’appliquent à tous. »

M. Gauchet  indique ainsi que « l’école est probablement de toutes les institutions démocratiques celle qui est investie de plus d’attentes. » « Elle est le seul instrument qu’il nous reste pour transformer la société », elle vise à « l’épanouissement des individus, puisque c’est par l’école que l’on devient individu » et « fait également l’objet d’une demande d’égalité, de citoyenneté et d’éducation à la citoyenneté ». L’école est donc une institution « surinvestie d’attentes, au regard desquelles ses réalisations sont toujours très inférieures. C’est sur ce fond qu’il faut situer tout diagnostic de l’école. Il existe un malaise incurable. Jamais une société ne sera satisfaite de son école. »

La taille de l’institution scolaire (12 millions d’élèves) et son fonctionnement technocratique empêcheraient de s’intéresser réellement aux élèves en tant que personnes.

Marcel Gauchet : « Regarder chaque élève pour lui même dans ce qu’il a de singulier, cela ne peut être traité dans une institution dont l’impersonnalité est la règle. »