Baccalauréat de français : une épreuve problématique

La session 2017 de l’épreuve anticipée de français du baccalauréat ne va pas sans poser problème. C’est malheureusement la coutume depuis quelques années. La composition même de l’épreuve pourrait prêter à discussion, tant elle est difficile en soi :
les élèves doivent en effet lire un corpus assez long, traiter une question de synthèse sur ce corpus, à la formulation généralement ambiguë, et s’atteler ensuite au travail de rédaction – dissertation, commentaire composé ou écriture d’invention – qui formait à lui seul l’épreuve d’examen jusqu’à une époque assez récente.

Alors que les générations antérieures avaient 4 heures pour construire une dissertation ou un commentaire, nos élèves doivent le faire en moins de 2h30, le reste du temps étant consacré à l’assimilation du corpus et à la rédaction de la fameuse « question sur corpus » qui ne rapporte au mieux que 4 points. On ne peut donc attendre des miracles. Mais le problème de cette année est ailleurs.

Il tient au choix des textes et surtout aux questions posées.

La formulation de la question de corpus a laissé les correcteurs perplexes : ” Les personnages de ces romans sont-ils touchés de la même manière par l’univers fictif qu’ils découvrent ? “ Il s’agissait de la lanterne magique dans la chambre du jeune narrateur de Du Côté de Chez Swann de Marcel Proust, et d’une séance de cinéma vécue par Suzanne dans Barrage contre le Pacifique de Duras et par le jeune Jacques Cormery dans Le Premier Homme d’Albert Camus. Une agrégation et un doctorat en poche, après 15 ans d’enseignement dans le supérieur et le secondaire, je reste muet devant cette question, et ne vois pas comment y apporter une réponse intelligente et construite, autre chose qu’un simple relevé des émotions – d’ailleurs vagues – ressenties par les personnages et évoquées dans les textes. Cela n’a en soi aucun intérêt et n’est qu’une façon de faire perdre du temps aux candidats, à qui l’on pourrait par bien d’autres moyens demander de prouver leurs compétences réflexives et leur culture. Ce simple relevé des émotions est toutefois la seule chose qui soit, selon le corrigé national, « à la portée des candidats ». Il propose cependant de valoriser ceux qui auront vu qu’ « on oscille à des degrés variables entre immersion dans l’illusion romanesque et distance voire dérision à l’égard de son aspect attendu et convenu. Le jeune narrateur du roman de Proust est sensible au caractère sombre du personnage de Golo (…) mais c’est sans doute sa propre tristesse qu’il projette sur le chevalier et il continue de percevoir parfaitement la machinerie qui préside à la représentation. Il voit bien la robe du cheval se bomber des plis du rideau. Il joue enfin de cette frontière poreuse entre le réel et la fiction en feignant de croire que le personnage médiéval interprète sagement son propre rôle. »
Autant dire que je n’ai rien trouvé de tel dans mes copies – loin s’en faut ! – pourtant de série générale (ES).
Pourquoi poser une telle question si le seul élément de réponse un tant soit peu intéressant n’est pas « à la portée des candidats » ?

Pour le commentaire composé, le texte proposé est un extrait de Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. Le corpus dans son ensemble est composé de textes du XXème siècle, ce qui ne correspond pas à l’esprit de l’épreuve qui devrait permettre aux élèves d’utiliser les connaissances culturelles acquises au cours de leur scolarité. Face à des textes récents, les élèves sont généralement déstabilisés, comme ce fut le cas en 2015 avec le texte de Laurent Gaudé (né en 1972), et ne peuvent guère monnayer leur travail d’enrichissement culturel. Le choix même de Marguerite Duras, dont les œuvres sont assez controversées sur le plan littéraire, est une difficulté supplémentaire, l’extrait choisi étant assez délicat à commenter. Il suffit de lire le corrigé officiel fourni aux correcteurs par le Ministère pour voir à quel point le texte a glissé entre les doigts des commentateurs et leur a demandé de belles contorsions pour monter quelque chose d’un peu intéressant. Autant dire que peu nombreux sont les élèves qui ont réussi à composer un commentaire digne de ce nom sur un texte ne comportant aucune dimension morale, politique ni philosophique, et dont les enjeux esthétiques sont difficiles à cerner et à dégager.

Proposer cela à des élèves de Première, c’est les mettre sciemment en difficulté.
Les moyennes n’en révèleront rien, certainement, car elles seront relevées pour maintenir la paix des familles et ne pas affoler APB : cela ne remplira pas le vide sidéral des copies.

Dans le corrigé national, les correcteurs s’écoutent écrire avec une auto-satisfaction narcissique qui frôle le ridicule, tant ce qu’ils proposent est loin de l’univers d’un élève de première, même honnête. Ils attendaient que les élèves trouvent ce genre de choses : « Après la déclaration réciproque énoncée avec fluidité et plusieurs contretemps rendus sensibles par la longueur de la phrase, c’est l’épiphanie du bonheur comme le révèlent les métaphores du « ciel de l’attente » et de la « foudre du baiser ». Les hyperboles finales achèvent ce basculement en apothéose. (…) Les hommes-quilles nous plongent dans une fantasmagorie surréaliste chorégraphiée. (…) L’expression triviale ‘ces choses-là’, faussement pudique, contraste avec le style héroï-comique du ‘tel orage’. (…) L’artifice est perçu, certes, mais appréhendé avec délectation. Les spectateurs recherchent une expérience profonde et authentique dans ce rapport à la fiction qui s’affirme comme fiction. Expérience fortuite et non contingente, choisie, libératrice et purificatrice. »

Sans rire ! Avec un tel corrigé-modèle, il faut nous autoriser à utiliser une notation négative, allant de – 40 à – 10, car il y a autant de lien entre les copies des élèves et ce genre de texte qu’entre un macaron Ladurée et un Big-Mac de contrefaçon…

Venons-en à l’épreuve de prédilection des élèves en difficulté : l’écriture d’invention. Refuge de ceux auxquels le commentaire et la dissertation ont résisté, l’écriture d’invention prend généralement la forme d’une argumentation soumise à certaines contraintes d’écriture. Le travail est intéressant en soi, même s’il est finalement difficile à évaluer, et ressemble à ce que l’on proposait aux élèves du XIXème siècle lorsqu’on leur demandait de faire dialoguer Achille et Hector aux enfers. En moins ambitieux, bien sûr, mais cela peut permettre à certains élèves de révéler quelques qualités, tant sur le plan de la recherche d’idées et de l’argumentation, que par leur style.
Le sujet 2017 ? Digne d’une rédaction de 4ème pondue à la va-vite pour occuper une classe sur une heure de permanence : « Vous imaginerez le récit que pourrait faire un spectateur / une spectatrice d’une séance de cinéma qui l’aurait particulièrement marqué(e). Votre texte, d’une cinquantaine de lignes, comportera les références au film, la description des émotions ressenties et des réflexions diverses suscitées par la représentation ». Cela fait froid dans le dos. Comment replacer Rabelais, Montesquieu ou Pascal avec un tel sujet ? Et l’on sait bien qu’un élève normal de 17 ans va plus vraisemblablement voir le dernier Fast and Furious au cinéma que le dernier Woody Allen. Je vous laisse donc imaginer le niveau de ces travaux, qui nous racontent – heureusement de manière fort brève, vu qu’on leur demandait 50 lignes, ce qui est plus court que la rédaction du brevet des collèges – la dernière séance de Gravity, Batman vs Superman ou des Tuche… car « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » … et surtout on manque souvent cruellement de discernement.
Je vous livre un extrait d’une copie, pour que soit perçu justement ce décalage entre le réel et la fiction sur lequel les candidats étaient censés réfléchir mais que le Ministère semble nier en ce qui concerne le niveau des élèves. Je vous laisse déceler l’habileté de ce candidat, qui joue sur la mauvaise conscience de son correcteur, et qui fait passer, avec une belle insistance, un message assez culpabilisant. C’est un(e) candidat(e) de filière générale économique et sociale (bac ES), donc un élève qui pourra l’an prochain postuler pour entrer à Sciences Po ou en classe préparatoire pour une école de commerce, ou encore en faculté de droit. Je respecte l’orthographe (le film évoqué dans la copie n’est jamais identifié précisément ; il semble qu’il s’agisse d’un documentaire sur la Seconde Guerre Mondiale et les camps de concentration, vu avec un professeur d’histoire) : « Il me fait pleurer… oh ! vous aussi répondit-il. Que pensez-vous du film ? Très bon film, et vous ? C’est un film très émouvant, avec ces élèves pas si nul qu’on pouvait penser.
Oui, c’est pas si facile pour cette professeur d’histoire, elle en voit de toutes les couleurs… mais très belle initiative de sa part pour se projet, ça m’a touché, dit-elle.
Elle croit en ces élèves, même si ce n’est pas la classe avec d’excellente note, surtout elle n’a pas des élèves faciles.
C’est une très belle initiative, travailler sur les camps de consentration avec une classe qui ne s’interèse pas à la moindre idée que dit le profeseur, ça parait impossible à vrai dire. C’est un triste sujet mais qui reflète la réalité, lorsqu’elle la annoncé, ils se sont tout tais, répond elle. (…)
C’est sur c’est une belle preuve qu’elle leur à fait, dit-il.
Plusieurs professeurs peuvent faire cela, les élèves ressortent toujours grandits d’une telle expérience peut importe leur niveau.
Ca peut leur être que bénéfique dit-il. Ca me touche toujours de voir des professeurs croirent en leur élèves malgrés leur difficultés, rajoute-t-il. Lorsqu’on à vue qu’ils avaient remportés le concours, auquelle elle les avaits inscrits, ils étaient les plus heureux, alors qu’ils n’y croyait pas ! dit-elle »
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Tout va très bien, Madame la Marquise… Le niveau monte, le Ministère est en phase avec le réel, et nous marchons joyeux vers des lendemains qui chantent.

Par Gauvin Buriss, professeur de lettres en région parisienne (docteur, agrégé)