C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs ragoûts…sauf si on utilise des ingrédients douteux !

Capture d’écran 2015-04-29 à 15.46.30Quelle surprise ce soir en rentrant du travail : j’ouvre le toujours délectable magazine de l’APEL (Association des Parents de l’Enseignement Libre), Famille et Éducation, dont la maquette impeccable me rassure quant à la destination de ma cotisation annuelle, et je tombe avec stupeur sur un article intitulé “Avec la classe inversée, la pédagogie se réinvente”.

On nous y relate l’aventure exaltante d’une classe de 2nde SES du lycée Jeanne d’Arc d’Albertville, qui a la chance de voir à chaque cours son professeur d’économie se mettre au fond de la classe afin que des élèves prennent sa place. A l’heure où plus personne ne veut devenir enseignant et où tout le monde nous regarde d’un œil empli de condoléances lorsqu’on annonce notre métier, ce professeur a trouvé la solution : se faire remplacer par les élèves, qui, eux, sont bien obligés de venir à l’école. Malin ! “Les élèves reçoivent les cours au fur et à mesure pour les préparer chez eux”, puis, “en classe ils mettent leurs recherches en commun ou se consacrent aux exercices”. On m’en avait parlé il y a 15 ans, lors des séances fort drôles au cours desquelles les innénarrables pédagogistes qui sévissaient à l’IUFM de Pontoise essayaient de me convertir aux dogmes de leur secte. Mais je n’y croyais guère car…ce qu’on nous vendait comme une nouveauté renversante de modernité n’était qu’une vieille lune qui avait fait couler beaucoup d’encre au début du XIXème siècle, quand on l’avait importée d’Angleterre sous le nom d’enseignement mutuel. Autour de 1830, jusqu’à 2000 écoles avaient fonctionné en France selon ce système dans lequel les élèves s’instruisent entre eux, sous la férule lointaine et organisatrice d’un maître unique, qui peut ainsi prendre en charge plusieurs centaines d’élèves ! Mais l’Etat français avait fini par l’interdire après 1833 sous l’impulsion de François Guizot puis de Victor Cousin, convaincus par les nombreux arguments des détracteurs de ce système tentaculaire.

On nous ressort donc un débat datant de presque deux siècles en essayant de nous faire prendre ce vieux pot pour l’idée qui sauvera l’élève de l’ennui et l’école du marasme.

Nous y voyons surtout une manière sournoise de faire sortir encore un peu plus le professeur de l’école. En effet “pour mettre en place la classe inversée, pas besoin d’un équipement de pointe : les élèves peuvent utiliser leur téléphone portable ou apporter leur propre matériel”. En fait ils pourraient finalement tout aussi bien rester chez eux, et se mettre devant Google, qui en sait bien plus long que tous les professeurs…

Les élèves pourraient d’ailleurs aussi s’auto-évaluer, ce qui résoudrait le problème de la subjectivité des notes et du caractère discriminatoire et humiliant de l’évaluation. Ah ! Ils y ont pensé ! “Ils communiquent via Twitter ou des groupes Facebook pour partager des articles de presse. Ils répondent à des QCM via l’application Socrative pour s’auto-évaluer. ‘Si une question obtient un pourcentage élevé de mauvaises réponses, je peux revenir sur une partie du cours’ précisé le professeur”. Qu’il est généreux ! Moi, je m’embête à corriger toutes les questions données en devoir à mes élèves, en pensant que même si un seul d’entre eux s’est trompé, celui-là sera heureux de comprendre pourquoi. Mais je devrais faire comme ce professeur “moderne” : si moins de 30 % des élèves se trompent à une question, hop, je passe à la suivante sans la corriger. Loi de la majorité obligé ! Je gagnerais ainsi un temps incroyable. Tant pis pour les 30 % d’élèves qui n’auront pas leur réponse : ils n’ont qu’à la chercher sur Wikipedia ou demander à leurs camarades, ce qui développera leur sens de l’entraide éco-citoyenne et solidaire, et améliorera le vivre-ensemble de la classe dans un souci de partage équitable !

Une lueur d’espoir ? “Certainement, il y a de la résistance au changement”. Ouf ! On les croyait tous perdus, mais non, certains résistent au changement ! Des irréductibles n’ont pas encore été rééduqués et ont pu conserver leur bon sens.

On peut toutefois s’interroger sur la ligne doctrinale de l’APEL, qui après avoir pris position en faveur de l’inepte réforme du collège du présent gouvernement, fait maintenant l’apologie de délires pédagogiques que l’on pensait pourtant enterrés depuis plus de 150 ans, malgré les efforts de quelques sectateurs de Philippe Meirieu pour les ressusciter sporadiquement.

La question posée en tête de l’article était “Quoi de neuf dans l’Enseignement Catholique” ? Réponse : l’adoption, enfin !, de méthodes pédagogiques ayant fait leurs preuves dans le public…

Gauvin Burriss, docteur es lettres et professeur agrégé de lettres classiques