Système d’éducation tout à fait novateur, les Maisons familiales rurales ont réinvité l’alternance. Patrick GUES, responsable de la communication des Maisons familiales rurales (MFR) a répondu aux questions de Liberté Scolaire.
Pouvez-vous définir ce que sont les Maisons familiales rurales et leur originalités par rapport au reste du système éducatif français public ou privé ?
Pour comprendre les caractéristiques du mouvement des Maisons familiales rurales, il est nécessaire de revenir aux origines.
Les fondateurs de la première Maison familiale (des parents agriculteurs et un curé) conçoivent d’abord une formation singulière qui permet de rattacher les études à une expérience professionnelle vécue et le savoir à l’intelligence en suscitant l’intérêt et la motivation. Cette formation dans la vie et par la vie fait appel évidemment à la responsabilité éducative des familles. A cette époque, les parents, à travers l’exploitation agricole et ses activités, participent activement à la formation de leurs enfants.
Ainsi, les pionniers inventent un modèle d’une grande modernité : un enseignement qui « rapproche » les adolescents de leurs parents, qui évite les déchirures et les coupures avec le milieu de vie, qui associe les jeunes et les adultes qui les entourent dans un même processus éducatif et, tout à la fois, un enseignement qui « éloigne » de la cellule familiale grâce à des séjours en internat, qui permet l’analyse des pratiques, la rupture dans les habitudes, la nécessaire distanciation face aux choses et l’ouverture à d’autres idées. Ils font le pari que l’alternance entre la vie, en entreprise, et la réflexion, à l’école, forge une démarche de pensée et d’action et agit directement sur l’évolution du milieu.
Mais le mouvement ne nait pas par hasard. Il est l’aboutissement d’un courant de pensée progressiste de la fin du XIXè siècle qui invite les citoyens à s’organiser en associations professionnelles et en syndicats. Dans le milieu agricole, des groupements de base reprennent ses idées. Des militants issus de ce courant de pensées furent parmi les premiers à porter le concept d’une Maison familiale avec ses valeurs de responsabilité collective, d’entraide, de solidarité, d’éducation populaire… avec l’idée centrale qu’un homme, une femme, une communauté, un milieu ne se développe pas sans s’engager lui-même dans son propre développement.
Ainsi, les fondateurs de l’époque (qui sont tous syndicalistes) trouvent rapidement (en 1942) dans la loi sur les associations du 1er juillet 1901 une solution respectant et organisant leur liberté et leurs valeurs familiales et éducatives.
Ce choix d’une structure militante prépondérante va influencer la position du mouvement vis-à-vis des différents pouvoirs. En avril 1945, le Président national de l’époque fait un discours fondateur : « Dans notre mouvement, il a fallu résister à deux tentations : d’une part, nous avions besoin de l’Etat, et, d’autre part, nous ne devions pas devenir un mouvement étatique. Les Maisons familiales ne doivent pas être sous le contrôle absolu de l’Etat, être simplement un rouage administratif. Mais il faut cependant obtenir son aide et son contrôle. Par ailleurs, comme le mouvement est d’essence familiale, et bien que la plupart des familles soient actuellement catholiques, il est clair que le mouvement ne doit pas devenir un mouvement sous contrôle de l’Eglise. »
Cette obsession de l’autonomie a commencé lorsque les agriculteurs de la première Maison familiale décident d’acheter un bâtiment en leur nom pour y implanter leur école et l’enlever du presbytère de l’abbé. Ce principe n’est pas simplement dogmatique. Il part du constat que sans le respect des initiatives locales et sans engagement de ses membres, l’association ne remplit plus correctement son rôle.
De fait, une Maison familiale est pleinement responsable des formations qu’elle propose, de son budget, de son organisation, de son personnel. Elle n’entend pas déléguer son pouvoir à d’autres. Mais en parallèle, le mouvement s’organise et se structure : statut commun, convention collective pour les salariés, formation pédagogique obligatoire, fédérations départementales, régionales et nationale.
Puis, quelques décennies plus tard, les Maisons familiales intègrent les mutations profondes qui touchent leur territoire. Elles passent d’une prédominance de l’agriculture dans les formations proposées à la prise en compte d’un espace rural qui a de nouveaux besoins : enseignement ménager puis services à la personne, tourisme, mécanique, bâtiment, artisanat, restauration…
Aujourd’hui, 430 associations MFR en France forment 90 000 élèves, apprentis ou stagiaires et plus de 600 Maisons familiales dans 30 autres pays contribuent à l’éducation des populations de leur pays.
En dépit de ces évolutions, elles conservent des particularités fortes, dans leur fonctionnement quotidien, dont les principales sont :
– Une place de choix pour les familles qui sont engagées dans l’animation de l’association et dans l’éducation de leurs enfants.
– Des formations basées sur l’alternance ou les stages, temps du faire et de l’action, et séjours à la Maison familiale, temps de la réflexion et du sens, qui réconcilient l’école et l’entreprise.
– Des lieux de vie à taille humaine où règne un climat éducatif familial, où chacun est connu dans la proximité et apprend la prise de responsabilité, l’autonomie, la solidarité.
– Des associations ouvertes sur l’extérieur, lieux de rencontres et parties prenantes du développement local.
– Une conception particulière des formateurs qui sont à la fois animateurs d’un groupe et accompagnateurs de projets, travaillant au sein d’une équipe éducative.
Quelles leçons ou pistes de réforme pourraient-elles nous inspirer pour améliorer l’organisation du système scolaire français ?
Ces caractéristiques, assez inédites dans le paysage éducatif français, se déclinent autour de trois axes. Sont-ils transférables à l’ensemble du système éducatif ?
C’est une autre histoire…
1. Une MFR c’est d’abord une association qui n’est pas seulement un organisme gestionnaire d’une école mais qui porte haut l’ambition de toute famille : permettre à chacun de ses enfants de construire sa vie, d’homme, de femme, dans toutes ses dimensions. Les familles, loin d’être de simples usagers, sont plus que des partenaires. Elles sont les premières responsables de la Maison familiale : celles par qui et pour qui elle existe. La vie associative reste une référence centrale des Maisons familiales rurales qui témoignent, à leur manière, chaque jour, de la capacité des familles, et plus globalement des hommes et des femmes réunis dans un groupe solidaire, à agir localement, à s’organiser pour prendre en main leur destin, à se faire entendre des pouvoirs publics et des différentes instances pour faire reconnaître leurs légitimes revendications.
2. La MFR est ensuite un lieu de rencontre et de dialogue entre générations, source de développement personnel et de progrès économique et social. Ce sont bien des liens d’associés que veulent tisser les Maisons familiales entre les parents, les maîtres de stage ou d’apprentissage et les moniteurs. Ces liens reconnaissent que chacun prend part à la formation des jeunes et que c’est ensemble que cet objectif est poursuivi. Hier, ces liens étaient peut-être plus faciles à faire vivre en raison d’une grande proximité entre les différents partenaires. Aujourd’hui, il nous faut inventer de nouveaux moyens pour les renforcer et les faire exister mais l’association reste un irremplaçable lieu de brassage social et culturel, un lieu d’écoute et de débat où chacun peut se faire entendre et apporter sa contribution. À une époque où les cloisonnements se multiplient, la vie associative est un véritable espace de démocratie et d’action collective.
3. La MFR est encore un pôle de développement. La Maison familiale n’est pas seulement une coopérative d’usagers, encore moins un club d’anciens élèves ou une structure gérée par des professionnels. La Maison familiale est d’abord un groupe humain, rassemblant des individus venant de tous les horizons, un groupe de parents avec leurs enfants et leurs formateurs qui vivent, ensemble, des réalités sociales et qui réfléchissent, ensemble, à ces réalités. Elle se transforme ensuite en un centre d’éducation, de formation professionnelle pour les jeunes et les adultes, d’animation sociale et culturelle pour tout un territoire. Cette association assure tout naturellement des missions d’intérêt général et de service public.
4. La MFR porte enfin une utopie éducative qui tend à unifier l’univers de l’école et les espaces familiaux, professionnels et culturels. Modèle alternatif à l’institution scolaire traditionnelle, les Maisons familiales rurales essayent en effet de concevoir un système de formation qui réunit l’univers de l’école et les espaces familiaux, professionnels et culturels, aux frontières des définitions de l’enseignement formel (l’école), non formel (l’expérience du métier) et informel (l’expérience sociale), à des années lumières de la culture scolaire française et de son organisation administrative. Les Maisons familiales rurales ont vite compris encore que l’éducation, pour être complètement efficiente, ne pouvait se résumer à l’acquisition de savoirs livresques ou de techniques, fussent-elles des plus performantes. À leurs yeux, l’éducation ne peut être que globale, prenant en compte une personne dans toute ses dimensions au sein d’un système complexe afin que demain soit plus humain et que chacun puisse accéder à sa dignité de femme et d’homme. De leurs pratiques quotidiennes, les Maisons familiales témoignent que les processus cognitifs sont décuplés si ces derniers sont enrichis par un contexte favorisant qui vient en synergie des apprentissages de base. Elles ont donc institué, après la gestion de l’alternance, un deuxième ensemble de procédures : la vie en internat, les activités de groupes, la participation des jeunes à l’entretien de l’établissement, la mobilité internationale et l’ouverture aux autres, la mise en œuvre d’activités à caractère éducatif et socio-culturel durant les temps hors cours, un bilan de semaine…
Tout cela constitue ainsi une armature méthodologique forte sans laquelle l’alternance, aussi ambitieuse et généreuse fut-elle, serait restée lettre morte ou tout moins un système de formation au rabais.
Pour en savoir plus : http://www.mfr.asso.fr/pages/accueil.aspx