Décidément, aucun compartiment de la vie en société n’échappe aux injonctions de ce Gouvernement qui veut tout contrôler et ne maîtrise rien. La ministre de l’Éducation nationale veut ouvrir un nouveau chantier du contrôle tatillon de la société : les établissements scolaires hors contrat. Constatant la « radicalisation » de certaines écoles musulmanes, la ministre estime que ces établissements, hors contrat d’association à l’État, vivent sous un régime juridique trop libéral leur permettant de développer un enseignement confessionnel trop marqué à ses yeux. Elle constate que les contrôles exercés par les autorités académiques et prévus depuis longtemps (1886 !) par la loi, sont insuffisants.
La ministre veut donc modifier la procédure d’ouverture de ces écoles, en passant d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. Là où il suffit aujourd’hui de déclarer l’ouverture d’une école, il faudrait demain obtenir une autorisation de la part de l’État. Ce serait un changement fondamental, un acte grave et une atteinte potentielle à nos libertés fondamentales. Pourquoi ?
La France est un pays de grandes libertés, faut-il le rappeler !? Parmi ces libertés, celle de l’enseignement est une liberté majeure, constitutionnelle, ardemment défendue et sensible dans la société française. Elle touche aux valeurs éducatives fondamentales, familiales, religieuses et philosophiques.
Notre enseignement est organisé en respectant ces libertés, en trois grands secteurs : un enseignement public, un enseignement « privé sous contrat », un enseignement « privé hors contrat ». La législation républicaine, construite pas à pas tant le sujet est sensible, est spécifique pour l’enseignement primaire (1886), pour l’enseignement secondaire (1850), pour l’enseignement technique (1919) et pour l’enseignement supérieur (1875).
Le Préambule de la Constitution de 1946, intégré au bloc de constitutionnalité, impose comme un « devoir de l’État l’organisation d’un enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés », ce qui justifie un enseignement primaire, secondaire et supérieur public.
L’enseignement privé, qu’il faudrait mieux appeler « libre », est organisé en deux modalités, depuis la loi du 31 décembre 1959, dite « loi Debré » (Michel, Premier ministre du général de Gaulle) : les établissements, les plus nombreux, signent un contrat avec l’État qui prend en charge certaines dépenses, les personnels en particulier, leur « caractère propre », souvent confessionnel, est reconnu mais l’établissement applique les programmes de l’Éducation nationale, tant contestés actuellement.
D’autres établissements, moins nombreux mais dont les effectifs progressent, signe d’un affaiblissement de l’Éducation nationale, sont dits « hors contrat », ne bénéficient pas d’aide de l’État et vivent sous un régime moins contrôlé. Dans ces établissements, les libertés pédagogiques, intellectuelles, religieuses et philosophiques sont fortes et revendiquées. C’est sur ces établissements que porte le projet ministériel.
Actuellement, les établissements hors contrat existent sous le régime juridique d’une simple déclaration (art. L. 441-1 Code de l’éducation) auprès du maire, du préfet, du directeur départemental de l’Éducation nationale, du procureur de la République, ces derniers pouvant « former opposition, dans l’intérêt des bonnes mœurs ou de l’hygiène » (ce texte remonte à une loi de 1886 qui fleure bon l’école républicaine !). Les conflits sont réglés par le conseil académique local et le Conseil supérieur de l’éducation au niveau national.
Cette procédure d’ouverture est simple, peu formaliste. Elle applique un principe majeur : la liberté d’enseignement. La déclaration est le signe d’une liberté non soumise à un contrôle préalable de l’État. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans une décision majeure du 23 novembre 1977 : « l’affirmation par le Préambule de 1946 de l’organisation de l’enseignement public […] ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé, non plus que l’octroi d’une aide de l’État à cet enseignement dans des conditions définies par la loi », distinguant bien entre l’existence même d’un enseignement privé et l’aide de l’État à cet enseignement. Le Conseil insiste : « le principe de la liberté d’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ». En ce sens, la liberté d’enseignement est aussi fondamentale pour la République que l’égalité ou la fraternité.
Le projet de la ministre est clair : remplacer ce régime de déclaration et de liberté d’ouverture des établissements hors contrat par un régime d’autorisation, plus contrôlé selon des critères qu’on imagine plus sévères. A cette fin, le Gouvernement a prévu un amendement à la loi « Égalité et citoyenneté » donnant une habilitation au Gouvernement de prendre par ordonnance – un texte réglementaire soumis à une ratification postérieure par le Parlement – les mesures passant de ce régime de déclaration à celui de l’autorisation préalable en fixant les conditions d’enseignement et de direction de ces établissements.
Il se murmure que cette autorisation pourrait être « implicite », c’est-à-dire que l’autorisation serait réputée donnée après un certain délai. Ceci ne change rien à l’affaire ; il s’agirait d’une modification majeure : là où la liberté d’ouverture était la règle, l’État viendrait contrôler au préalable cette ouverture
Soyons clairs : c’est une atteinte fondamentale à la liberté constitutionnelle d’enseignement. Sous couvert de contrôler la « radicalisation » d’établissements confessionnels musulmans, ce sont tous les établissements qui seraient soumis à un contrôle qu’on peut imaginer fondé largement sur le respect de la laïcité.
S’il y a « radicalisation », c’est la preuve que les contrôles existants ne sont pas efficaces, preuve supplémentaire que l’administration de l’Éducation nationale « filtre le moustique et laisse passer le chameau » selon l’expression de Jean Rivero, grand juriste défenseur des libertés.
Derrière la lutte contre la « radicalisation », le projet ministériel veut toucher un secteur de la société où la liberté de pensée peut encore s’exercer, hors du pédagogisme ambiant et où la liberté de conscience (rappelée aussi par le Conseil constitutionnel en 1977), la liberté de religion et l’autonomie personnelle sont encore une réalité. Ce sont en réalité de nombreux établissements catholiques que l’on veut atteindre. Une fois encore, l’État se trompe de cible.
Le président de la République, sollicité par l’Enseignement catholique, a répondu (v. La Croix, 6 juin 2016) que la liberté d’enseignement est bien un « principe fondamental garanti par notre Constitution ». Mais il indique aussi que « il s’agit seulement de répondre à des difficultés constatées dans certains lieux d’enseignement au détriment des enfants qui y sont scolarisés ». On voit bien que l’arbre des bons sentiments – vérifier le respect de l’obligation scolaire – cache la forêt du contrôle de l’État sur les établissements libres. Le président de la République, gardien de la Constitution (art. 5 Constitution 1958), saura-t-il faire respecter la liberté d’enseignement, liberté constitutionnelle, à laquelle sont attachés tant de Français ? Il doit les rassurer en mettant fin à ce projet attentatoire à l’une de nos libertés fondamentales.
Guillaume DRAGO
Professeur à l’Université Panthéon-Assas Paris II