D’un côté s’affirment des intuitions fleurant bon les vieilles idées pédagogistes qui ont précipité la chute de l’école française (disqualification du cours magistral, contestation de l’importance de transmettre des connaissances, survalorisation de l’apprendre-à-apprendre…). D’un autre côté, les approches pédagogiques qui se profilent semblent capables de nous libérer de cet égalitarisme et de ce collectivisme stériles en prônant une plus grande personnalisation des apprentissages, et notamment la « pédagogie inversée » (où l’élève découvre et apprend les leçons à domicile et ne rejoint le professeur et la classe que pour appliquer et discuter ses nouvelles connaissances). Les frontières entre scolarisation et « école à la maison » se brouillent. Les 645 experts interrogés en juin dernier par WISE prédisent que l’école de demain sera marquée par l’individualisation
des parcours de formation, la perte d’importance des diplômes publics au profit de certifications d’entreprise, la reconnaissance croissante de compétences et connaissances acquises par soi-même en divers lieux (à l’instar des processus de VAE), l’importance de l’apprentissage tout au long de la vie… Si l’on ajoute à cela les découvertes relatives au fonctionnement du cerveau ainsi que les modifications mentales induites par la pratique assidue et précoce du numérique, on ne peut que prédire une révolution des méthodes d’apprentissage de grande ampleur.
Mais ce n’est pas en équipant les enfants en tablettes tactiles que l’on répondra aux défis
que nous pose l’ère du numérique. Il faut repenser l’acte d’apprentissage en lui-même. Les probables aggiornamentos ne doivent pas nous conduire à délaisser les finalités classiques de l’éducation au nom de la sacro-sainte nécessité de « s’adapter » à la modernité… et au marché. Les mutations accélérées de la technologie doivent au contraire nous pousser à renforcer encore notre compréhension des finalités de l’éducation. À l’heure de l’affirmation de « l’homme artificiel » et des pouvoirs quasi démiurgiques de l’homme sur l’homme, nous ne pouvons absolument pas nous dispenser de déployer une pensée métaphysique et anthropologique vivante à laquelle ordonner les moyens éducatifs, si révolutionnaires soient-ils.
Anne Coffinier, directeur général de la Fondation pour l’école.