Débat : Entre excellence scolaire et précocité, savoir faire la différence

Enfants surdoués, intellectuellement précoces (EIP) ou à haut potentiel (EHP) : ces dénominations sont de plus en plus fréquentes dans les discussions sur l’éducation. Cela va du constat d’un nombre non négligeable d’élèves concernés en France, aux critères de détection et d’accompagnement de ce profil à besoin particulier.

Ce sujet s’invite à l’école : dans la salle des maîtres où un enseignant, en difficulté face à un élève, se demande si celui-ci est surdoué ; lors des échanges entre professeurs et parents où les seconds parlent de la précocité de leur enfant pour justifier les problèmes soulevés par l’école.

Or, ce profil d’élèves n’est pas le seul à avoir des besoins éducatifs particuliers. Le risque d’une surmédiatisation d’un profil est de faire tomber les autres dans l’oubli. Ce risque est particulièrement élevé pour les élèves excellents scolairement mais qui ne sont pas à haut potentiel.

Besoin de reconnaissance

Les termes employés pour désigner des personnes manifestant des aptitudes intellectuelles exceptionnelles sont nombreux : en France on parle de surdoués, précoces, génies ou très récemment de zèbres ; aux États-Unis, c’est « gifted » (doué), « dotato » en Italie et « high ability » en Europe. Ces adjectifs sont utilisés pour qualifier

« un enfant qui manifeste la capacité de réaliser, dans un certain nombre d’activités, des performances que ne parviennent pas à accomplir la plupart des enfants de son âge »,

et ayant tendance à apprendre « sans effort et à un rythme particulièrement rapide, faisant preuve d’une curiosité insatiable et d’une excellente mémoire ».

La comparaison aux autres enfants de leur âge crée le premier point d’accroche quand on s’intéresse à ce profil d’élève à l’école. Mais le second se situe dans le fait qu’un certain nombre de ces élèves rencontrent des difficultés scolaires, entravant parfois leur avancée dans leur parcours.

Il y a donc un besoin de reconnaissance par l’éducation nationale de l’existence des enfants à haut potentiel et de leur besoin d’adaptations pédagogiques. La présence de cet intitulé dans le code de l’éducation montre qu’ils sont reconnus officiellement et institutionnellement.

Excellence et précocité

Dans toute la France, les enseignants sont susceptibles d’accueillir des élèves intellectuellement précoces, et donc de devoir les accompagner durant leur scolarité. Quelle différence font-ils entre l’excellence et le haut potentiel dans les particularités respectives de leurs besoins ?

Dans le cadre d’une enquête nationale à destination des enseignants de primaire en éducation prioritaire recueillant plus de 1500 réponses, nous les avons interrogés sur leur perception de l’excellence. Sur notre échantillon, ils sont très peu à considérer l’excellence scolaire comme synonyme de la précocité (de l’ordre du 1 %). Voici les termes qu’ils utilisent :

« J’ai considéré dans ce questionnaire les enfants en très grande réussite scolaire, dit “surdoués”, et non pas ceux qui bossent beaucoup à la maison. »

« Pour moi, pour faire court, le sujet de ce questionnaire sur l’excellence, c’est sur la précocité en fait. »

La très grande majorité fait donc la différence entre les deux. Ils identifient pour eux des réponses pédagogiques différentes en fonction du profil avec une orientation spécifique vers des structures spécialisées quand il s’agit de hauts potentiels.

« Bien entendu, je ne parle que d’enfants excellents et non pas d’enfants surdoués où là, la structure d’une classe banale ne convient pas. »

C’est à travers ces comparaisons que les enseignants définissent ce qu’est pour eux un élève excellent.

La très grande réussite scolaire résulte d’une grande adaptabilité de l’enfant qui doit connaître les codes, les contraintes et attentes de l’institution et des enseignants.

« L’élève en réussite n’est ni un fayot, ni un surdoué, ni un génie : juste un enfant qui évolue plus vite que le reste de la classe. »

Il y a donc des profils différents d’élèves précoces et d’élèves excellents : un élève précoce n’est pas forcément excellent et inversement.

Les oubliés du système

Une médiatisation trop importante de la notion de précocité, comme toutes les étiquettes que l’on pose, peut occulter certains profils, comme celui de l’élève excellent.

En effet, les enseignants, particulièrement ceux exerçant en éducation prioritaire (cible de notre enquête), font face à de nombreuses recommandations autour de leur rôle indispensable pour la vie future des élèves. Il leur est demandé de lutter contre le décrochage scolaire, de parer l’échec, combler les difficultés, mais également de prendre en compte ceux « souffrant de handicaps, de difficultés d’apprentissage et d’inégalités sociales ».

À cela s’ajoute l’idéal de l’enseignant qui peut changer des vies. Cela crée une pression importante pouvant aller jusqu’à un réel mal-être professionnel.

Les enseignants se retrouvent contraints de faire des choix d’élèves à privilégier, quand la répartition équitable du temps entre chacun n’est pas envisageable. Ces étiquettes vont avec ces prescriptions qu’elles induisent et amènent ceux qui n’en ont pas à être laissés de côté en les privant de l’attention qu’ils méritent.

C’est la conclusion de notre ouvrage autour de l’excellence en éducation prioritaire, avec le risque décrit par les professionnels de faire des élèves excellents (non étiquetés donc) les oubliés des enseignants et de l’enseignement.

Gouvernance par les nombres

Aujourd’hui, c’est toujours le test du WISC (test de Wechsler adapté aux enfants, cinquième version depuis 2016) qui est la référence pour mesurer l’intelligence des élèves dans le contexte scolaire. On retrouve ici le débat récurrent autour de la pertinence des tests comparatifs, comme il y en a pour les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis).

En effet, le fait qu’il existe un nombre d’élèves avec un score élevé à ce test qui sont en échec scolaire et d’autres élèves excellents avec un score dans la norme est une information importante. On ne prend donc pas beaucoup de risques en affirmant que le test du WISC n’est pas infaillible.

Attention, le propos ici n’est pas de nier l’existence et surtout la nécessité d’une prise en compte et d’une adaptation spécifique des pratiques pédagogiques au profil particulier des hauts potentiels, ni même de diaboliser le test. Le Wisc est nécessaire pour repérer les EIP car il permet de détecter ceux en échec scolaire qui ont un haut potentiel. Mais il ne l’est pas dans le cadre de l’excellence parce qu’il ne l’identifie pas.

On arrive ici à l’idée, défendue par Alain Supiot dans son ouvrage sur la gouvernance par les nombres, du danger d’une surestimation du rôle et du statut de ces nombres. Si la société et, par là même, les enseignants, donnent trop de valeurs au résultat de ce test, ils risquent de se focaliser prioritairement voire exclusivement sur les EIP, au détriment des autres, dont ceux excellents qui seraient identifiés comme non-EIP. Ces derniers, s’ils ne sont pas précoces, risquent de souffrir d’un manque de prise en charge, pourtant indispensable pour permettre à leur potentialité de s’exprimer.The Conversation


Caroline Hache, Maître de conférences, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.