Des écoles indépendantes pour sauver rapidement notre école publique


Comment se fait-il que les Français, notoirement attachés au service public d’éducation nationale et en particulier à sa gratuité, soient de plus en plus nombreux à rallier les écoles indépendantes ? Si elles sont minoritaires en France – 49 000 élèves de la maternelle au baccalauréat dans 522 établissements hors contrat – force est de constater qu’elles connaissent une forte progression. Le mensuel Nouvelles de France a publié dans son numéro de mai ce long article d’Anne Coffinier, directrice de la Fondation pour l’école.

Au moment même où l’État et l’Église ferment classes et écoles faute de moyens budgétaires, 32 écoles indépendantes ont ouvert en 2011. Pourquoi une telle vitalité alors qu’elles ne bénéficient d’aucune aide financière publique, qu’elles sont très pauvres et qu’elles ne sont ouvertes qu’au terme d’un processus compliqué et très surveillé ?

Avant de répondre, tordons le cou à deux préjugés. L’essor des écoles indépendantes ne correspond pas à une tentation communautariste. Ce qui incite les parents et professeurs à rejoindre un établissement, ce n’est pas le désir de rester entre soi, « au chaud », c’est l’adhésion à un projet pédagogique cohérent et fédérateur, au-delà des appartenances religieuses, sociales ou autres.

L’essor de ces écoles ne résulte pas non plus d’un soutien du gouvernement qui serait déterminé à démanteler le service public pour privatiser l’offre scolaire. Pur fantasme ! Aucun financement public du libre choix n’a été mis en place par ce gouvernement. Hier comme aujourd’hui, les parents d’élèves du hors-contrat sont soumis à une double, voire une triple imposition : ils financent par leurs impôts les écoles publiques et privées sous contrat ainsi que les cours de soutien à domicile puisque ces derniers bénéficient d’un crédit d’impôt de 50 %. En revanche, ces familles ne sont pas autorisées à déduire de leurs impôts les frais de scolarité versés pour leurs enfants, alors que leur choix du hors contrat fait réaliser d’importantes économies à l’État (environ 7 000 € par enfant et par an, selon les évaluations de l’Éducation nationale). Nous sommes bien loin du financement décomplexé du libre choix qui prévaut notamment en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande. En 2012, en France, toute famille qui exerce son droit constitutionnel au libre choix de l’école est donc financièrement pénalisée par l’État.

Alors d’où vient cet essor ? Il vient des familles qui trouvent en elles la ressource morale d’agir pour dispenser coûte que coûte une solide éducation à leurs enfants. Loin des discours, elles agissent pragmatiquement en fondant ces écoles avec des professeurs d’exception venus de l’enseignement public ou sous contrat, comme d’autres secteurs (médecins, ingénieurs, orthophonistes…). Ces écoles incarnent aujourd’hui ce que Péguy appelait la « petite voie de l’Espérance ». Elles cherchent à passer la culture française malgré le contexte global hostile au principe même de transmission des connaissances.

Très variées socialement, elles réunissent des esprits libres et des tempéraments bien trempés qui n’ont pas peur de sortir des sentiers battus pour donner à leurs enfants l’éducation dont ils ont besoin. Choisir le hors-contrat n’est jamais un choix par défaut, par facilité ou par suivisme. C’est toujours le résultat d’un cheminement personnel et c’est une des richesses du milieu des écoles indépendantes. Elles réunissent des parents d’origines variées mais qui ont en commun le désir que leurs enfants deviennent les héritiers des trésors de la culture humaniste française. Notons que les familles socialement ou culturellement « déshéritées » sont les premières à souhaiter que l’école assure ce rôle de transmission, de passation de la civilisation française dans ce qu’elle a de plus haut et de plus fécond. C’est essentiellement parce que l’école de la République a cessé d’assumer ce rôle que les Français se tournent de plus en plus vers l’enseignement indépendant.

L’ampleur de la crise de l’institution scolaire publique interpelle de plus en plus les parents. Si certains osent conclure que « notre système, malgré ses défauts, fonctionne bien et assure l’éducation de nos enfants », alors que 40 % des enfants de CM2 sont en échec scolaire aujourd’hui, ceux qui rejoignent les écoles indépendantes pensent au contraire que l’on ne peut pas accepter l’existence d’un échec scolaire de masse. Ils refusent ce massacre des innocents : ils ne collaboreront pas à cette grande déculturation de la jeunesse par l’école. Souvent, rien ne les préparaient à fonder une école : ils sont commerçants, agriculteurs, ouvriers… et sont entrés en résistance poussés par la nécessité, l’amour de leurs enfants ou de leurs élèves. Ils ont alors trouvé en eux-mêmes un trésor d’énergie et de détermination. Fonder une école est en effet une aventure humaine intense qui engage toute la personne !

Les fondateurs d’écoles libres, qu’ils soient de gauche ou de droite, humanistes, croyants ou agnostiques, tous, dans leur diversité, sont tous des résistants qui ont cherché à répondre aux défis éducatifs auxquels leur vie les confrontait. Jour après jour, ils sont rejoints par des directeurs, des professeurs du public comme du sous-contrat qui cherchent à agir en accord avec leur conscience, sans avoir à se battre constamment contre l’administration de l’établissement et du ministère auquel ils appartiennent.

Ce faisant, ces fondateurs déploient intuitivement une stratégie de refondation de l’école au niveau de l’établissement, localement. Par un effet de contamination positive, un mouvement de réforme se développe de bas en haut (bottum up), tirant ainsi les conséquences politiques de trente ans d’échec des réformes centralisées des ministres de l’Éducation nationale. Citons pour mémoire seulementla réforme Robien dela lecture. En décembre 2005, ce ministre était réellement déterminé à rétablir la méthode de lecture syllabique et avait l’opinion publique avec lui, mais il fut désavoué par son administration, à commencer par son propre cabinet. En pratique, aujourd’hui, la méthode mixte continue à sévir dans la majorité des établissements aux dépens de centaines de milliers d’enfants. Allègre, Ferry, Darcos, Bayrou… Tous ont témoigné leur impuissance à se faire obéir de leur propre administration.

Pour amplifier ce mouvement de réforme de bas en haut, il faut à présent mettre en place un financement public du libre choix de l’école pour tous, ou au moins pour tous ceux qui sont exposés à des défaillances caractérisées de l’offre scolaire gratuite. Je pense aux enfants des ZEP, des zones rurales peu peuplées de plus en plus privés d’école de proximité, aux primo-arrivants, aux enfants qui sont précoces ou qui souffrent de troubles de l’apprentissage ? Le chèque-éducation permettrait à la République de remplir enfin sa mission constitutionnelle qui est d’assurer un égal accès de tous à l’éducation Comment pourrait-elle prétendre assurer l’égalité des chances alors qu’elle envoie de nombreux enfants dans des écoles dont le niveau et la discipline sont notoirement défaillants ?

Si l’on mettait en place un financement par élève qui se substituerait au financement par établissement, cela donnerait ainsi à chacun le pouvoir financier d’accéder à l’école de son choix. Nul doute que les écoles transmettant une culture humaniste ambitieuse pour les enfants seraient plébiscitées par les parents, puis recopiées rapidement par d’autres écoles.

Ce système de chèque-éducation permettrait aussi de développer des modèles éducatifs variés pour les enfants qui n’entrent pas dans le moule unique imposé aujourd’hui par l’Éducation nationale.

Cette réforme répondrait aux attentes des Français qui sont plus de 40 % à avoir utilisé l’enseignement privé pour au moins un de leurs enfants et qui sont 60 % à affirmer vouloir choisir l’enseignement libre si ce dernier était financièrement accessible. L’introduction du chèque-éducation ferait sauter le carcan des 20 % qui, depuis 1985, rationne en toute illégalité les places dans les écoles sous contrat. Nous sortirions de ce système de pénurie organisée tant par la gauche que parla droite. Cequota illicite est un outil de reproduction des privilèges et de discrimination le plus injuste qui soit. En démocratie, la légitimité de l’allocation des fonds publics aux différentes écoles ne peut découler que de la demande effective des citoyens. Aujourd’hui, choisir son école est un privilège que l’Etat ne consent qu’à la minorité de ceux qui peuvent payer, qui suivent leurs enfants et qui connaissent les bonnes écoles.

C’est en mettant en place le chèque-éducation, en assurant une information gratuite et abondante sur la qualité des établissements publics et privés, en donnant aux parents le pouvoir d’orienter ces fonds vers les écoles qui correspondent à leur choix, dès lors que ces écoles respectent le cadre fixé par le législateur, que nous rendrons à la France une école à la hauteur de sa longue tradition d’excellence éducative.