Ecole démocratique : la liberté d’apprendre à l’école

L’école démocratique part de l’hypothèse que l’enfant grandit et évolue principalement en nourrissant spontanément des liens avec tout ce qui l’entoure. Ce type d’école s’est développé au XXème siècle en Grande-Bretagne (Summerhill school) puis aux Etats-Unis (Sudbury Valley School). Elles n’arrivent en France qu’en 2014, avec la Croisée des Chemins de Dijon et sont représentées par l’association Eudec France (www.eudec.fr ).
« En France, six nouveaux établissements devraient ouvrir à la rentrée, portant leur nombre à 25. Une quarantaine d’autres projets seraient en gestation. » selon le recensement de Touteduc (jeudi 24 août 2017).
L’école démocratique de Paris a été créée en 2016 par Mathilde Morgenthaler, David Lerebours et Yazid Arifi. Retour sur la création d’une école au format particulier qui aide les enfants à s’épanouir.

L’équipe du blog de la liberté scolaire : Comment est née l’idée de participer à la création de cette école démocratique ?
Yazid Arifi : J’ai suivi un cursus scolaire brillant : à la suite de mon bac réussi haut la main, j’ai préparé pendant deux ans les concours des écoles de commerce puis ai intégré HEC. Mon premier travail s’est tourné vers le Conseil. Il était ennuyeux, insensé voire nocif. Il s’en est suivi une grande remise en question à propos de mon parcours professionnel. L’univers du Conseil me paraissait dur et régi par des principes de fonctionnement autoritaires à des années lumières des idéaux de liberté, de liberté et de fraternité. Mis sous pression à longueur de temps, constamment scrutés et évalués, les employés sont engagés, qu’ils le veuillent ou non, dans une course sans fin après l’approbation d’un supérieur hiérarchique ayant toute latitude dans l’évaluation de leur travail : en fonction de son avis, le consultant sera porté aux nues ou voué aux gémonies… Je me suis alors demandé comment une telle hiérarchie avait pu se mettre en place tout en étant considérée comme la norme dans ces métiers-là. J’ai très rapidement établi un lien entre la relation que je pouvais avoir entre mon supérieur hiérarchique et celle qu’un maître avait envers ses élèves. Cela me faisait penser au même rapport de force présent au sein même des classes et à l’esprit de compétition qui s’y développait. J’ai donc commencé à vouloir me battre pour faire en sorte que les enfants apprennent à penser en toute liberté et à désirer de belles relations humaines. Je me suis alors posé cette question : quel système scolaire peut permettre aux enfants de relever les défis sociologiques, économiques, commerciaux, politiques sans se conformer à un système dépendant d’une hiérarchie aliénante ? J’ai rapidement compris que la solution était de traiter les enfants comme des personnes à part entière, capables de prendre des décisions souverainement lorsqu’il s’agit de leur vie.

EBLS : Comment avez-vous réussi à faire le lien entre cette idée encore inaboutie et l’école démocratique ?
Y.A. : Je me suis renseigné sur internet et ai découvert une vidéo de Ramïn Farhangi, présentant son projet lors d’une conférence. Il venait lui même de fonder l’école dynamique dans le 13ème arrondissement. Sous le charme de ce projet, j’ai pris contact avec l’Eudec (Communauté des écoles démocratiques d’Europe) en France en mars 2016 qui m’a rapidement présenté à deux collaborateurs, David et Mathilde, que le projet d’ouvrir une école démocratique intéressait aussi. Tout s’est orchestré grâce aux réseaux sociaux. En juillet, nous avons trouvé nos locaux dans le 19ème arrondissement. À partir de là, tout a coulé de source et s’est passé comme nous l’espérions. Nous avons donc ouvert l’école démocratique de Paris le 5 septembre 2016 avec le strict minimum matériel et avec uniquement 6 enfants. Fin septembre, ils étaient déjà 15 et nous avons finalement terminé l’année à quarante.
Parce que la cohérence nous tient à cœur, nous ne pouvions nous résoudre à opposer une fin de non-recevoir à des parents pour lesquels l’école est matériellement hors de portée. Parfaitement lucides quant à l’effort financier conséquent que nous demandons aux familles, nous nous sommes donc engagés dans une démarche ambitieuse de bourses visant à rendre notre projet éducatif accessible à tous les foyers, indépendamment de leur situation économique. Grâce au soutien de quelques généreux mécènes, nous avons déjà pu ouvrir les portes de l’école à 15 boursiers, fait insolite et remarquable pour une structure aussi jeune.

EBLS : Quel est le but de cette école ?
Y.A. : La première chose à retenir est qu’elle n’a pas de pédagogie. L’étymologie même de pédagogie est : Paidos-gogia, soit « guider l’enfant ». Une école démocratique ne guide pas l’enfant, sa volonté est d’abolir les rythmes scolaires, les classes d’âge, l’évaluation, en somme tous les repères et cadres de l’école “classique”.
Nous partons du présupposé que les enfants viennent au monde déjà savants, la preuve en est que de 1 à 3 ans, ils apprennent une quantité considérable de choses (marcher, parler, grimper, exprimer ses goûts,… ) et ce sans nul besoin de maître. Ils sont donc capables d’eux-mêmes choisir leur apprentissage en fonction de leurs besoins et motivations. Le pari de cette école est de faire en sorte que l’enfant gagne confiance en lui, sache oser, en toute autonomie, sans peur de l’échec ni du jugement des autres, et soit ainsi en capacité d’identifier et développer ses motivations intrinsèques. Ceci une fois acquis, il peut librement prendre en main son destin et trouver le sens des responsabilités quant à ce dont il a besoin pour parvenir à ses fins.

EBLS : À quels enfants s’adresse cette école ? Pour quelle raison les parents inscrivent leur enfant dans cette école ?
Y.A. : De 3 à 7 ans, le choix de la scolarité est souvent pris par les parents.
Au delà de 7 ans, ce sont surtout eux qui sont à l’origine de la démarche. Pour la plupart, le système traditionnel ne leur convenait plus, avec un sentiment général d’ennui, de perte de temps… et de rejet d’une structure qui leur rend impossible de faire leurs propres choix. Ce sont des individus qui nous rejoignent dès lors par choix délibéré et aucunement par contrainte ou défaut, ce qui ne sera pas soutenable dans la durée.

EBLS : Y a-t-il une journée-type à l’école démocratique ?
Y.A. : Aucune journée ne se ressemble. Les activités des membres de l’école vont évidemment changer en fonction de la saison. Pour les plus jeunes : ils passent le plus clair de leur temps à des jeux, à des parcours d’obstacles, à peindre, chanter, raconter des histoire ou regarder des dessins-animés. Les très jeunes sont très autonomes et ils font très peu appel aux adultes. Quand ils arrivent à l’école le matin, ils vivent leur vie, retrouvent leurs copains, leurs jouets, leurs livres. Pour les plus âgés, la situation est assez différente car les personnalités sont bien plus marquées. Un grand nombre d’enfants jouent et lisent beaucoup. Cette année, une jeune fille préparait son bac L puis visait l’intégration de Sciences Po. Sachant ce qu’elle voulait faire, elle a ses bouquins et fiches de révision et elle passait sa journée dessus. Elle avait organisé son programme de travail afin de trouver du temps pour préparer le concours d’entrée de Sciences-Po. Elle était donc très autonome.
Un autre adolescent vient de passer son bac de français. L’atmosphère de l’école démocratique est propice aux révisions donc il se sentait en confiance. Ses épreuves se sont bien passées. L’environnement de liberté et de confiance proposé est favorable pour développer des idées de projet professionnel.

EBLS : Quel est donc le rôle de l’adulte dans cet école ? De quelle nature est le lien entre les adultes et les enfants ?
Y.A. : Les enfants se gèrent eux-mêmes, aucune décision n’est prise par les adultes. Le Conseil d’école est le seul organe de décision de l’école. Les membres du Conseil ont de 3,5 ans à 42 ans. Chaque membre peut s’exprimer, s’agissant du recrutement de nouvelles personnes comme du changement du règlement intérieur. Les adultes ont deux noms : ce sont des facilitateurs (pas de rôle d’enseignant mais ils ont pour but de faciliter l’apprentissage si l’enfant en exprime le besoin et s’en remettent à l’enfant pour être son propre tremplin dans sa soif d’apprendre) ou membres-staff garant de la pérennité de l’école, l’adulte à des tâches administratives attitrées). De mon côté, je gère entre autres la comptabilité et les ressources humaines de l’école, David la communication et le recrutement de nouveaux membres. Du fait de notre âge, les membres de l’école savent que nous sommes à leur disposition pour leur apporter de l’aide et que nous pourrions facilement les aider à trouver des réponses à leurs questions. Mais tout en assurant que nous ne faisons pas à leur place et que notre intention n’est pas guidée par un quelconque objectif pédagogique. Notre but est de sensibiliser les enfants à leur importance en leur conférant une liberté nécessaire à l’affirmation de leur personnalité. Il est donc conseillé aux membres du staff de ne pas rester sur cette logique de pédagogue qui serait décalée par rapport à ce qui est attendu des élèves.

EBLS : En quoi cette école apprend-elle aux enfants à vivre en société ?
Y.A. : Deux organes propres aux écoles démocratiques permettent aux enfants d’apprendre la citoyenneté en leur donnant dès le plus jeune âge un pouvoir de décision :

  • Le Conseil de Justice :
    il se réunit tous les jours à 11h. Il est constitué de quatre jurés tournants de plus de 6 ans, et de deux responsables (élus sur une période de 6 semaines et qui ont plus de 10 ans). Suite à la transgression d’un article du règlement intérieur, une victime ou un témoin dépose une plainte en remplissant un formulaire précis et en le déposant dans une corbeille destinée à recevoir les plaintes. Tout est orchestré afin de ne pas donner à l’adulte un rôle autoritaire et correctionnel. Le conseil de Justice donne lieu à une discussion apaisée et sereine sur les faits. Les quatre jurés vérifient les règles transgressées puis envisagent ensuite une sanction. Elle doit être en lien direct avec la transgression et avec le cadre du cas traité (la décision doit prendre en compte les antécédents. Cet organe est celui qui dans l’école donne lieu aux débats et discussions les plus constructives de la part des membres de l’école.
  • Le Conseil d’école :
    il se réunit une fois par semaine. Tous les membres de l’établissement y siègent et réfléchissent sur les propositions de modification du règlement intérieur écrites et déposées dans une corbeille à cette utilité. Il y a deux lectures de modifications : à majorité simple sauf en cas de demande d’exclusion ou d’admission d’un élève où les 2/3 des accords des élèves sont requis.

La spécificité de cette école repose donc sur l’autonomisation et la responsabilisation des enfants. Chaque membre de l’école, peu importe son âge, a de la valeur et parvient à trouver sa place grâce à la liberté qui lui est conférée. Chacun des membres apprend à intégrer, à accueillir l’autre dans sa différence au travers de cette micro-société. Le mouvement des écoles démocratiques sera croissant car il est un remède contre l’écart de plus en plus grand entre une société en pleine mutation et un système éducatif qui peine à se remettre en question.

Interview exclusive de Yazid Arifi par Claire Auban

Pour en savoir plus sur l’école :
La fiche de l’école dans l’annuaire : http://www.ecoles-libres.fr/listing/edp-75/
Site internet : https://ecole-democratique-paris.org/
Page facebook : https://www.facebook.com/ecole.democratique.paris/