Il est un principe juridique fondamental en démocratie et qui tient une place particulière dans le droit de l’Eglise, c’est celui du principe de subsidiarité. Les nouveaux statuts de l’Enseignement catholique tout juste adoptés semblent mettre ce principe à l’honneur. Mais qu’en est-il au juste ? Joël Hautebert, professeur d’histoire du droit à la faculté d’Angers, nous livre ici son analyse dans une note très claire.
La subsidiarité
Le principe de subsidiarité, exposé implicitement par Léon XIII dans Rerum novarum en 1890, a été ensuite défini par Pie XI dans l’encyclique Quadragesimo anno (§. 48) en 1931 : « De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir d’eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber ».
Depuis, de multiples textes pontificaux ont fait allusion à la subsidiarité, aussi bien contre les effets néfastes du libéralisme que de l’étatisme. En effet, ce principe affirme d’une part la légitime autorité des familles et des corps intermédiaires face aux ingérences étatiques (et plus généralement des pouvoirs supérieurs) et d’autre part le bien-fondé des interventions des corps supérieurs en vue du bien commun (contre le libéralisme). En fonction des circonstances du temps, les textes magistériels mettent l’accent sur l’un ou l’autre aspect de ce principe, qui ramasse en une formule brève la régulation de l’intervention des diverses autorités et le sain équilibre entre les diverses structures qui composent la société, jusqu’à l’autorité supérieure qu’est l’Etat. La mesure de détermination de l’intervention d’un corps supérieur est toujours le bien commun. Le principe de subsidiarité et le bien commun sont si intimement liés, qu’une mauvaise définition du second altère nécessairement le premier.
Les déviances du principe
On peut observer deux déviances possibles du principe de subsidiarité, dont l’amalgame donne naissance à un mode de fonctionnement institutionnel répandu aujourd’hui et peu conforme au sens véritable de la subsidiarité.
- La première déviance consiste à confondre subsidiarité et délégation. Cette confusion produit une inversion du principe.
L’article 3B du traité de Maastricht nous fournit un très bon exemple d’interprétation erroné du principe :« Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire”.
- La seconde déviance consiste à envisager le principe de subsidiarité sans le Bien commun. Il devient alors un instrument de décomposition sociale, un moyen de défense d’un bien particulier au sein d’un ensemble pluraliste et composite, fonctionnant comme un contre-pouvoir.
- L’amalgame des deux déviances précitées s’appuie principalement sur la substitution du bien commun par la pratique du consensus. Cette substitution se matérialise de deux manières : premièrement par la multiplication des échelons « décisionnels » qui sont autant de petites assemblées délibérantes niant au bout du compte l’autorité des corps inférieurs. Le danger bureaucratique est alors flagrant. L’article 187 du Copendium juge bon de préciser que « l’expérience atteste que la négation de la subsidiarité ou sa limitation au nom d’une prétendue démocratisation ou égalité de tous dans la société, limite et parfois même annule l’esprit de liberté et d’initiative ». Deuxièmement, l’exposé de la finalité est très flou, noyée dans un jargon lexical consensuel laissant la porte ouverte à toutes les interprétations.
Conclusion
A lecture du projet de statut de l’enseignement catholique, on est en droit de se demander si cette dernière forme de déviance du principe de subsidiarité n’est pas ici en œuvre. Etant donné que les autorités sont réduites au statut d’animateurs ou de pilotes respectant les procédures en vue de réaliser le consensus sur les « visées éducatives partagées » par tous les acteurs de la communauté, on se demande comment concrètement pourront cohabiter la « participation différenciée » des acteurs du « projet commun » et la poursuite du bien commun d’une institution qui prétend s’appuyer sur la parole du Christ et de son Eglise, surtout quand le contenu de la mission éducative de l’école demeure dans le flou le plus total.