Liberté Scolaire reproduit ici la lettre adressée par M. Roux, président de la FNEP, Fédération nationale de l’enseignement privé, au directeur adjoint de cabinet de Mme le ministre de l’Education nationale, Olivier Noblecourt.
Monsieur Olivier Noblecourt
Directeur adjoint du cabinet de Madame la Ministre de
l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur
olivier.noblecourt@education.gouv.fr
LE PRESIDENT
Le 30 mai 2016
Monsieur le Directeur de cabinet,
Nous avons bien reçu votre courriel en date du 26 mai relatif au projet du Ministère de modifier l’article D.131 – 12 du Code de l’éducation et nous vous en remercions.
L’examen de ce projet appelle des réflexions fondamentales concernant les graves conséquences dont il apparaît, à l’analyse, qu’elles seraient inévitables quant à l’exercice d’une liberté des plus importantes : la Liberté de l’enseignement.
Cette liberté est l’une de celles que garantit la Constitution depuis une décision du Conseil Constitutionnel intervenue en 1977.
L’acte d’enseigner consiste en la transmission de savoirs, connaissances ou compétences selon une méthode particulière permettant d’atteindre des objectifs préalablement déterminés.
Le choix du rythme de la progression des apprentissages est réalisé en fonction des publics accueillis au regard des connaissances et raisonnements objets de l’enseignement dispensé.
Le séquençage des cours selon un ordre structuré et cohérent est un élément essentiel constitutif d’une méthode pédagogique.
Parce que l’enfant ne se réduit pas à un assemblage moléculaire uniforme, diverses méthodes ont été élaborées par de nombreux pédagogues aux fins de répondre aux besoins spécifiques de publics différents.
Les méthodes choisies par l’Education nationale ont montré, au fil des décennies, qu’elles ne pouvaient répondre de manière entièrement satisfaisante à la totalité des attentes de publics par nature divers, dont les capacités ou les attentes peuvent nécessiter des pédagogies alternatives.
L’enseignement privé, libre du choix de ses méthodes a quant à lui démontré qu’il pouvait souvent être en mesure d’apporter une réponse différenciée et pertinente, capable de satisfaire les besoins de certains de ces publics.
Son offre pédagogique particulière est complémentaire de celle du service public.
Cette complémentarité est elle-même démontrée de manière aussi évidente qu’objective par la fréquentation grandissante des établissements d’enseignement privé indépendant, dit “hors contrat”, malgré l’absence de toute aide financière en destination des familles qui acceptent de consentir l’effort pécuniaire résultant du choix qu’elles ont librement effectué dans l’intérêt de leur enfant et la construction de son avenir.
En imposant une “segmentation” des apprentissages pour contraindre à l’acquisition de niveaux intermédiaires qui seraient évalués à l’issue de chacun des cycles choisis par l’Education nationale, la liberté de choix d’une méthode pédagogique alternative s’en trouverait gravement remise en cause, voire purement et simplement rendue parfaitement impossible.
A fortiori, le projet de nouvel article D. 131 – 11, en ce qu’il renvoie à l’article D. 122 – 2 qui prévoit en outre “des repères annuels prioritaires”, apportera de nouvelles contraintes qui rendront impossible l’organisation des enseignements selon une progression différente permettant de répondre à des besoins particuliers.
Toute progression pluriannuelle des apprentissages s’en trouvera des plus difficile, voire irréalisable.
A l’évidence, cette remise en cause serait la négation de la liberté de l’enseignement qui ne peut être réelle que si elle peut être organisée selon une méthode librement choisie.
Il n’est pas inintéressant de rappeler qu’il est constaté chaque année, à l’occasion des tests réalisés lors de la Journée Défense et Citoyenneté, que les méthodes choisies par l’Education nationale conduisent à ne permettre qu’à 70 % d’une génération d’atteindre le niveau de “lecteur efficace”, 30 % de celle-ci étant ainsi, hélas, dans l’incapacité de maîtriser les savoirs fondamentaux qui permettent aux jeunes adultes d’espérer pouvoir exercer leur citoyenneté ou de s’engager dans la vie active ou dans l’enseignement supérieur dans des conditions permettant de garantir leur épanouissement, tant personnel que professionnel.
Cet important pourcentage de jeunes en difficulté de lecture peut d’ailleurs être corrélé avec les 120.000 à 140.000 jeunes qui quittent chaque année l’école, en très large majorité publique, sans diplôme ni qualification.
Vouloir imposer à tous des choix méthodologiques dont l’examen des faits et des statistiques démontre qu’ils ne peuvent répondre à la diversité des attentes et des capacités de tous les enfants nous apparaît comme une erreur gravement préjudiciable à l’avenir des générations futures.
Elle serait en outre une violation manifeste de la liberté de l’enseignement dont on peine à percevoir en quoi elle pourrait dès lors consister, dans un cadre aussi étroit imposé par le texte envisagé, tant il est peu discutable qu’il ne saurait y avoir de réelle liberté de l’enseignement sans la liberté du choix de la méthode pédagogique qui, seule, peut la garantir.
Pour ces raisons, nous ne pouvons que manifester notre ferme opposition au projet que vous avez bien voulu soumettre à notre réflexion, dont nous demandons qu’il ne soit pas mis en œuvre.
Seule une évaluation en fin d’études peut permettre de s’assurer de la qualité globale de l’enseignement assuré selon une progression pédagogique choisie par l’équipe éducative, dans le respect du libre choix des familles, tout en garantissant le respect d’une liberté de l’enseignement affirmée par la loi et protégée par notre Constitution.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Directeur de Cabinet, l’assurance de notre parfaite considération.
Patrick ROUX
Copie à : Monsieur le défenseur des droits
Monsieur le Président de la CGPME
Monsieur le Président de l’UNAPL
Monsieur le Président de la Fondation pour l’école