L’Académie française est sortie de sa réserve habituelle pour fustiger l’écriture inclusive, qui ferait courir un « péril mortel » à la langue française. Ce qui n’a pas manqué de faire hurler les féministes de tout poil, qui ont mis cela sur le compte de la sénilité des Immortels.
Et pourtant.
Le scandale est arrivé par un manuel de CE2 publié par les éditions Hatier, et intégrant les recommandations du Haut conseil pour l’égalité entre les hommes et les femmes. On y parle de « droits humains », mais cela relève déjà presque du classique, et on y apprend les aventures des « agriculteur·rice·s et artisan·e·s » à l’époque de la Gaule.
Si l’écriture éclusive en restait au stade de l’expérimentation universitaire, pour tenter de donner une « visibilité » aux femmes dans le langage, passe encore. Mais quand le phénomène vient s’attaquer à la littérature scolaire, il y a de quoi s’inquiéter.
Les années du primaire sont destinées à ce que l’on a coutume d’appeler « l’apprentissage des fondamentaux » : lire, écrire, compter. Les mécanismes de l’apprentissage sont aujourd’hui bien connus, et le ministre Blanquer déclare vouloir s’appuyer sur l’apport récent des neurosciences pour garantir les meilleurs résultats. Mais dans le cadre de l’écriture inclusive, à quels mécanismes intuitifs va-t-on faire appel ? Un enfant qui apprend à lire va apprendre à construire des mots et des phrases en cours préparatoire. Puis, un à deux ans plus tard, il découvrira, dans un manuel comme celui des éditions Hatier, une langue et sa logique qui ne sont selon toute vraisemblance pas celles qu’il a apprises. Il y a de quoi brouiller les pistes. Prenons le cas du mot « artisan·e·s » : il y a fort à parier que l’enfant, sur la lancée de sa découverte de la lecture, lira tout simplement « artisanes ». La visibilité du féminin se fait cette fois au prix de la disparition du masculin… cela n’a rien d’étonnant, au vu des principes de l’idéologie féministe la plus militante, qui au lieu d’un monde fondé sur la complémentarité des sexes, préfère imaginer un univers débarrassé de toute trace de masculinité.
Si on veut apprendre à l’élève à prononcer correctement ce mot « artisan·e·s », en vertu des règles de l’écriture inclusive, il va être amené à déconstruire un savoir fraîchement et récemment acquis, pour un autre langage, qui ne sera – pour l’instant ! – ni celui de ses parents, ni celui de ses albums illustrés, ni même celui de la télévision. Il y a de quoi briser sa confiance et son intérêt dans le savoir, si précieuse dans ces premières années décisives. Sans parler de sa confiance à l’oral. L’exercice de lecture orale, dont tous les professeurs de primaire vous diront qu’il est crucial pour fluidifier la lecture des jeunes enfants, se trouve indéniablement compliqué par la gymnastique requise par l’écriture inclusive, qui demande de marquer une pause pour faire ressortir, dans les mots au pluriel, l’accord au féminin.
Comme souvent avec les utopies, on a ici une théorie déconnectée du réel de l’enfant, qui ne s’intéresse pas aux résultats concrets, mais se nourrit elle-même de principes purement conceptuels. Le problème devient beaucoup plus grave si l’on considère que l’une des clefs de la réussite scolaire repose dans l’articulation intelligente du travail vu en classe avec la vie à la maison. Dans des milieux où la maîtrise du français oral est fragile, et celle du français écrit proche de zéro, comment une mère de famille peut-elle espérer aider son enfant à apprendre sa leçon, à la formulation morcelée ? La maîtrise de l’écriture inclusive, en définitive, est bien un privilège de riches et de lettrés, qui peuvent s’amuser à jouer avec les mots parce qu’ils leur sont déjà familiers.
Et la condition féminine dans tout cela ? Si elle régresse aujourd’hui, c’est avant tout un problème de culture et d’éducation, avant d’être un problème d’accord de l’adjectif. Le Moyen-Age n’avait pas besoin du point médian pour célébrer la femme dans la poésie courtoise, ni pour lui confier des fonctions publiques, économiques et politiques, comme l’a si bien démontré Régine Pernoud dans son essai sur La Femme au temps des cathédrales. Parce qu’il était irrigué par un idéal chrétien, pour lequel la dignité de la femme s’enracinait dans la figure mariale. Aujourd’hui cet idéal est bien loin, et il est malheureusement plus facile de prendre le problème dans l’autre sens, et de s’attaquer à la langue française, ou plutôt à ce qu’il en reste chez les écoliers, pour espérer, par un coup de baguette magique, résoudre l’inégalité salariale et les agressions dans le métro.
L’écriture inclusive ? Une bonne occasion de se demander, une fois de plus, quelle vision de la société, de l’homme et de la femme nous voulons pour nos enfants.
Anne Coffinier
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