En savoir plus sur l’écriture inclusive

L’un de nos lecteurs, professeur agrégé, nous propose cette analyse précise et pertinente pour bien comprendre les enjeux techniques de l’écriture inclusive.

En quoi consiste l’écriture inclusive ?

Elle consiste à accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres. Par exemple : professeure, autrice, cheffe, Madame La Maire, préfète, etc. Elle consiste à user du féminin et du masculin, par la double flexion, l’épicène ou le point milieu. Par exemple : elles et ils font, les candidat·e·s à la Présidence de la République, etc. Avant de savoir si l’écriture inclusive est recevable, il convient de rappeler quelques points grammaticaux.

Que recouvre le genre dans la langue ?

Un nom (et ses satellites, déterminants, adjectifs) est soit masculin, soit féminin : c’est le genre. Il est arbitraire : on dira une table ronde, un tableau rond. Le genre grammatical n’a donc rien à voir ici avec le sexe. D’ailleurs féminin est un adjectif masculin et masculine (la mode masculine) est un adjectif féminin !

Quand le référent est un homme/une femme, selon l’usage et les règles de dérivation, il y a une correspondance entre le genre et le sexe : un garçon/une fille ou le directeur/la directrice. On parle de genre lexical.

La valeur générique et neutre du masculin, forme non marquée.

Le neutre a quelques traces en français. Par exemple, le ce ou c’ : C’est amusant. On ne dit pas : C’est amusante. Ici, le masculin s’impose comme forme neutre, non marquée, indifférenciée. Amusant s’accorde avec « c’ » qui n’est ni masculin, ni féminin mais neutre. De même, avec le pronom neutre, rien accordé au masculin singulier : Rien n’est perdu. Autre exemple de neutre : Intelligentes, elles le sont. Ou : Veux-tu aller à la piscine ? Je le veux bien. On ne dit pas : Je la veux bien. Ici, le pronom le masculin s’impose comme forme neutre, non marquée, indifférenciée, apte à remplacer toute la phrase, Veux-tu aller à la piscine ? C’est bien dans ces cas-là que le genre est en quelque sorte « neutralisé » et que l’on peut considérer le masculin comme « genre non marqué » : Attendre est ennuyeux. (infinitif) ; Que tu sois partie sans attendre n’est pas gentil. (subordonnée en position de sujet) ; « Labirynthe » est mal écrit. (usage autonymique).

Ainsi, l’Académie française considère fautives les formulations Celles et ceux, toutes et tous, chacun et chacune, Chers Français et chères Françaises, chers concitoyens et chères concitoyennes, etc. : seule la forme neutre indifférenciée (portée par le masculin car non marquée) est utile.

Le féminin est donc :
– un genre grammatical (une table)
– un genre lexical (elle est venue)

Le masculin est donc :
– un genre grammatical (un tableau)
– un genre lexical (il est venu)
– un genre neutre, générique, indifférencié (Cela est arrivé hier : arrivé est accordé au masculin à valeur de neutre avec le sujet cela qui est de genre neutre.)

Que faire en présence de deux genres différents ?

Comment accorder grand dans : La table et le tableau sont grands ? Il faut déjà comprendre que cette difficulté n’a rien à voir avec une relation homme/femme : il s’agit du genre grammatical. Dans ce cas, on prend la forme qui n’est pas marquée, la forme par défaut : c’est-à-dire le masculin. Le féminin nécessite l’ajout d’un « e », il constitue une spécificité.

Le problème avec la phrase Hélène et Victor sont grands est identique même si les genres féminins et masculins sont lexicaux car renvoyant à des réalités sexuées. Inutile de recourir à l’écriture inclusive illisible qui veut marquer à la fois le masculin et le féminin : Hélène et Victor sont grand.e.s. La langue française a depuis bien longtemps adopté une façon plus subtile en dépassant le masculin et le féminin. Elle ne choisit ni le masculin sexué, ni le féminin sexué et adopte la forme neutre, indifférenciée (correspondant en français au masculin). Les féministes n’apprécient pas qu’on dise que le masculin l’emporte sur le féminin. On pourrait dire que le masculin à valeur de neutre l’emporte sur le masculin et le féminin. Pour rassurer les féministes, il faut souligner que la langue fait preuve de galanterie envers les filles en leur accordant une marque spécifique ce qui n’est pas le cas du masculin rangé avec le neutre.

La féminisation des noms et des titres

Selon l’usage, il peut exister une féminisation : un directeur et une directrice, un danseur et une danseuse. L’Académie française propose des mises à jour régulières en fonction de l’usage et des règles de dérivation. En effet, il ne suffit pas d’ajouter un « e » pour faire un féminin. Selon la forme latine originelle, le féminin se construit de manière particulière : on ne dit pas une directeure mais une directrice. Les formes professeure, auteure sont des barbarismes : les seuls féminins français en –eure (prieure, supérieure…) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en –or comme l’explique l’Académie française qui dans sa déclaration du 21 mars 2002 ajoute : « Seul le genre masculin, qui est le genre non marqué peut traduire la nature indifférenciée des titres, grades, dignités et fonction. ». Une langue ne se fabrique pas, elle se reçoit et se respecte. Acceptons que le français vienne du latin qui connaît le masculin, le féminin et le neutre, acceptons que le neutre survive dans le masculin français : c’est une question d’évolution de la langue et de racines linguistiques, ce qui n’a rien à voir avec le combat des femmes.

Si la forme féminine n’est pas attestée, le masculin assumera la fonction du neutre qui a disparu dans notre langue. Une femme qui se dit « écrivain » s’inscrit dans une terminologie masculine de valeur neutre qui fait abstraction du masculin ou du féminin sexués. Elle situe son travail dans une dimension qui dépasse les contingences sexuelles : l’artiste supplante la femme. En revanche, une femme qui se dit « écrivaine » s’inscrit dans une terminologie féminine. Elle situe son travail dans une dimension sexuée, le féminin n’ayant pas de valeur neutre. Elle est une femme avant d’être une artiste, elle parle d’abord en tant que femme et non en tant qu’artiste. Elle manque cruellement d’ambition.

Si l’on commence à féminiser les noms masculins liés à des référents sexués, il faudra alors dire, par exemple, que Valérie est la témoin car c’était la plantonne, la sergente, la soldate de service. Une sergente deviendra dans la marine, une seconde-maîtresse. Il serait moins absurde de masculiniser les mots féminins désignant des hommes car le féminin, ayant une marque distinctive, ne peut assumer la fonction neutre. Puisque les féministes ne veulent plus écrire Anne Hidalgo est un maire connu mais Anne Hidalgo est une maire connue, il faudrait alors aussi, pour respecter la parité, changer la phrase Johnny Hallyday est une vedette connue en Johnny Hallyday est un vedette connu ou Johnny Hallyday est un vedet connu. Mais est-ce vraiment nécessaire de dire que Johnny Hallyday est un star très connu, que Robert est un sentinel très prudent, que Victor est un recru courageux, que Michel n’est pas un crapule mais un victime, un mauviet. On parlerait de son sainteté le pape et de son majesté le roi. C’est pourtant simple, une femme est une personne et un homme est un person !

Il apparait donc que l’écriture inclusive est une aberration intellectuelle. Ce n’est pas la première tentative : Molière avait déjà brossé en son temps le portait de féministes ridicules et précieuses dénaturant le langage. Il doit bien sourire, la bêtise n’est pas morte.

Jean-Arnaud Dollié
Agrégé de Lettres