Jean-Philippe Delsol est avocat et président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (think-tank libéral). Il a notamment publié Éloge de l’inégalité (Manitoba, 2019).
Le baccalauréat n’en finit plus d’être réformé ou bricolé. Déjà Jean-Michel Blanquer annonce une consolidation du contrôle continu qui risque d’abaisser encore le niveau de cet examen et de le rendre discriminant pour les élèves issus des lycées les meilleurs et les plus exigeants. Le baccalauréat, accordé à 95 % des candidats l’an dernier, est en réalité sous l’emprise d’un égalitarisme forcené annoncé depuis la mise en place du collège unique suivie plus tard de l’idée du bac pour tous. Il ne s’agit plus que d’un diplôme fait pour attester la fin du secondaire plutôt que pour justifier d’un niveau d’étude naufragé.
Il s’ensuit que de nombreux jeunes gens s’engouffrent dans des cycles universitaires qui ne sont pas faits pour eux. Ils y perdent leur temps et s’y aigrissent de leurs déboires. Comme toutefois les universités publiques se croient elles-mêmes obligées à une certaine bienveillance dans leur sélection de fin d’année, leur niveau d’étude se dégrade à son tour. À la fin, et sauf exception, ce sont des classes d’âge entières qui souffrent d’un enseignement affaibli. Et c’est d’ailleurs aussi ce qui conduit à former des enseignants moins armés intellectuellement pour affronter des élèves plus difficiles, au détriment des uns et des autres.
Les exemples étrangers démontrent que les enfants sont les gagnants de la liberté scolaire parce que les écoles, en compétition, et leurs enseignants y sont plus motivés.
Jean-Philippe Delsol
La généralisation d’examens d’entrée dans les universités pourrait être une solution. Mais elle ne serait qu’un palliatif. Pour relever la qualité de l’enseignement, une réponse de fond consisterait à établir la liberté scolaire à l’encontre de la centralisation napoléonienne qui pèse encore sur l’école et l’université françaises.
Diversifier l’école
L’instruction publique, qui n’a plus la rigueur des hussards noirs de la République, a désormais démontré son incapacité à délivrer les bases du savoir à tous et à promouvoir les élèves les plus prometteurs. Paradoxalement, l’école devient plus inégalitaire que jamais en se soumettant à un nivellement par le bas dont ne réussissent à s’extraire que ceux qui trouvent à la maison ce que l’école ne leur offre plus. Une plus grande liberté de créer et gérer des établissements scolaires, sous le contrôle de l’État chargé d’y éviter les dérives, permettrait d’offrir des formations diversifiées et adaptées aux talents et capacités de chacun.
D’ailleurs, l’État n’a ni obligation ni même vocation naturelle à construire des écoles et embaucher des enseignants, mais seulement à s’assurer que tous les enfants reçoivent une instruction correcte et à favoriser leur éducation. Pour que tous les enfants soient scolarisés dans l’école du choix de leurs parents, l’État pourrait les prendre en charge en remettant aux familles un bon ou chèque scolaire valant paiement de la scolarité (comme en Suède par exemple) ou par un subventionnement objectif des écoles indépendantes (comme avec les Free schools ou les académies en Angleterre, ou les Charter schools aux USA, ou encore comme aux Pays-Bas). Les exemples étrangers démontrent que les enfants sont les gagnants de la liberté scolaire parce que les écoles, en compétition, et leurs enseignants y sont plus motivés.
Des universités privées
De même le monopole de la collation des grades sclérose l’université publique dans un modèle qui forme à l’échec: 56 % de recalés en première année de licence (2018), 30 % seulement des étudiants décrochent leur licence en trois ans… Bien entendu, ces résultats désastreux sont dus pour partie au niveau des élèves qui arrivent à l’université, mais aussi à la centralisation que celle-ci subit, au statut de fonctionnaire des enseignants, à l’insuffisance de compétition. Il ressort d’une étude menée par l’IREF que les pays ayant les meilleures universités, excepté l’Allemagne où l’apprentissage prend le pas sur l’enseignement supérieur, sont ceux où la part du privé dans les dépenses consacrées à l’enseignement supérieur est la plus importante. Et plus la part des universités privées est élevée dans l’enseignement supérieur du pays, plus le taux de diplômés l’est aussi.
La puissance des États-Unis est sans doute due en partie à leur système universitaire malgré leurs écoles primaires et secondaires probablement aussi médiocres que les nôtres.
Jean-Philippe Delsol
Certes, des universités privées sont aussi payantes. Il n’est pas injuste de demander de supporter le coût de ses études à l’étudiant, majeur, qui grâce à elles va pouvoir gagner plus que celui qui sera rentré tout de suite dans le monde du travail. Ça n’écarte pas pour autant les plus démunis que, par exemple, les universités américaines accueillent en grand nombre en leur offrant des bourses, des emplois étudiants, des emprunts, des partenariats avec des entreprises… C’est un moyen de responsabiliser les étudiants et les inciter à réussir. La puissance des États-Unis est sans doute due en partie à leur système universitaire malgré leurs écoles primaires et secondaires probablement aussi médiocres que les nôtres.
Le pluralisme scolaire et universitaire cultive les différences dont les élèves s’enrichissent, et l’autonomie des établissements d’enseignement est propice à l’apprentissage de l’autonomie des élèves nécessaire à chacun d’eux. Il faut instruire les élèves, mais peut-être plus encore leur permettre, selon le mot de Pindare, de devenir ce qu’ils sont, s’ouvrir à une culture d’interrogation sur la profondeur de leur ignorance, gérer l’incertitude et le questionnement permanent de l’existence, accepter des réponses possibles là où nous aimerions tant des réponses certaines. À ce titre, la liberté scolaire est souhaitable presque de manière anthropologique pour éduquer à la responsabilité de soi-même, préalable à une meilleure intelligence du savoir. Ce serait aussi le moyen de transformer progressivement l’Éducation nationale qui n’est sans doute plus à même de guérir d’elle-même de ses maux idéologiques, syndicaux et statutaires, mais en reviendrait peut-être sous la pression de la compétition. Plus qu’une question d’enseignement, c’est sans doute une question de civilisation.