« Françoise Candelier était institutrice depuis 1978. Lorsque, après plusieurs congés maternité et temps partiels, elle a retrouvé son poste à plein-temps, en 1996, elle a commencé à s’inquiéter à voix haute de l’état des élèves. « Le plus flagrant, se souvient-elle, c’était le résultat des méthodes de lecture et le nombre d’enfants qu’on était obligé d’envoyer chez les orthophonistes. » Entreprenante, elle a alors monté un projet avec des collègues, intitulé « Savoir lire, écrire, compter ». L’inspection de l’Education nationale lui a donné son feu vert.
« La recette était simple : utiliser une méthode alphabétique d’apprentissage de la lecture et enseigner les quatre opérations dès le cours préparatoire (CP)… Bref, revenir à une pédagogie qui avait fait largement ses preuves. Mais dans l’Education nationale, quand ça fonctionne, ça agace. « Il y a eu des tensions avec des collègues, notamment parce que les parents réclamaient que leurs enfants aillent dans les classes où l’on utilisait ces méthodes. C’était devenu trop compliqué, j’ai décidé de partir à la retraite et de monter ma propre école. » A son ouverture, en septembre 2009, celle-ci accueillait vingt-cinq élèves. En cette rentrée 2011, l’école du Blanc-Mesnil, à Wasquehal, scolarise plus d’une centaine d’enfants jusqu’au cours moyen 2e année (CM2).
Françoise Candelier n’est pas un exemple isolé. Ils sont de plus en plus nombreux, en France, à estimer qu’il est nécessaire de prendre les choses en mains. « Une vingtaine d’écoles ouvrent leurs portes chaque année pour seulement trois qui ferment », note Anne Coffinier, présidente de l’association Créer son école. Dans son annuaire 2011, elle recense ainsi 488 structures de ce type, dont 298 écoles maternelles et 292 écoles primaires. Pour les parents et les enseignants, créer un collège ou un lycée est plus compliqué. Pourtant, là encore, leur nombre ne cesse d’augmenter : 174 collèges et 115 lycées généraux indépendants existent désormais en France. Contrairement à une idée reçue, la majorité de ces établissements, soit 300 d’entre eux, sont non confessionnels, par rapport à 120 qui sont catholiques, 44 qui sont juifs, 18 qui sont protestants et 6 qui sont musulmans.
« Ces écoles récupèrent d’abord ceux qui n’entrent pas dans les cases, explique Anne Coffinier ; les précoces, les dyslexiques, les enfants de familles qui déménagent beaucoup… » Bref, tous ceux à qui l’Education nationale demande de s’adapter à un système qui n’est manifestement pas fait pour eux. Hélène, mère de famille de quatre enfants, a ainsi fini par inscrire son dernier fils dans une école indépendante : « C’était un enfant ascolaire, notamment à cause d’une dyslexie. Une école hors contrat ouvrait ses portes à Dijon, où nous habitions. C’était l’occasion ou jamais de lui permettre, en CM2, d’avoir une bonne année pour préparer l’entrée au collège. » Mais les élèves atypiques ne sont plus les seuls à rejoindre les établissements hors contrat : de plus en plus de familles cherchent des solutions alternatives pour leurs enfants.
« Xavier et son épouse Hélène n’étaient pas réellement mécontents de l’école sous contrat où était inscrit leur fils auparavant. « Mais dans l’école indépendante, nous avons trouvé une grande liberté pédagogique et des méthodes beaucoup plus structurées et progressives. Les enfants n’abordaient pas une nouvelle notion sans maîtriser la précédente », se souvient Hélène. Même constat pour Pauline, dont la petite dernière a rencontré des difficultés dès la maternelle : « J’avais entendu parler de l’école du Blanc-Mesnil, dans notre région. Je me disais que les méthodes traditionnelles qu’elle emploie ne pouvaient qu’être bonnes pour notre petite Flore. »
« Les enfants trouvent visiblement leur compte dans ces écoles indépendantes. « Notre fils a, pour la première fois, acquis au cours de son année de CM2 une écriture lisible, raconte Hélène. Il s’est passionné pour l’histoire et les sciences. Parce que tout était plus rigoureux, le travail était moins pénible pour lui. » Pauline est tout aussi satisfaite : « Alors qu’on nous assurait que Flore n’arriverait pas à apprendre à lire en CP, elle y est arrivée. » Comme la plupart des élèves de ces écoles, Xavier a poursuivi une scolarité normale au collège. A l’école Le Roseau, à Avon, près de Fontainebleau, qui accueille 55 élèves de la grande section de maternelle au CM2, la directrice, Virginie Khouni, œuvre à entretenir des bonnes relations avec les établissements voisins, mais aussi avec l’administration : «Tout se passe bien avec l’académie. Comme toute école de ce type, nous sommes régulièrement inspectés et les résultats sont très bons. »
« Pour les parents, la motivation est donc d’abord pédagogique. Même si beaucoup sont aussi heureux de pouvoir trouver dans ces structures des « valeurs » qui ne heurtent pas leurs convictions en ces temps où triomphent dans les établissements publics l’enseignement du gender et la généralisation du Pass’ contraception. L’école Le Roseau est née d’un groupement de parents qui avaient créé une petite structure familiale catholique pour leurs enfants. Virginie Khouni y a trouvé le respect qu’elle attendait pour ses convictions religieuses : « Convertie au catholicisme il y a quelques années, je suis heureuse que mes filles puissent recevoir une éducation cohérente à la maison et à l’école. » L’Enseignement catholique n’est pas sourd à cet appel : depuis quelques années, il oeuvre à réaffirmer son identité, malgré son obligation de suivre les programmes officiels. Toutefois, certains établissements sous contrat ne marquent pas encore assez leur différence au goût de parents exigeants.
« Revers de la médaille, cette liberté a un coût : à l’école Le Roseau, il faut compter 150 euros par mois pour un enfant, avec des tarifs dégressifs pour les suivants. La Fondation pour l’école, où oeuvre Anne Coffinier, vient en aide aux écoles indépendantes à hauteur de 900000 euros par an. « Il serait logique d’accorder un crédit d’impôt à ces familles, remarque-t- elle, car un enfant qui ne va pas à l’école publique fait économiser à la collectivité 5000 euros par an au primaire, 8000 euros au collège et 10000 euros au lycée. » Une conclusion que beaucoup de parents partagent. « Il est indispensable que ces écoles existent et se multiplient, conclut Hélène. Si l’Education nationale pouvait s’inspirer de cette liberté, ce serait bénéfique pour tout le monde. »
Marie Boisson, Le Spectacle du Monde, septembre 2011.