Inspections oui, pressions non : à quand des inspections académiques neutres et transparentes pour les écoles indépendantes ?

Les écoles hors contrat dénoncent des contrôles « à charge »

Par Caroline Beyer | Publié le 07/02/2019 

Ces écoles estiment que la « liberté d’enseignement » inscrite dans la loi Debré n’est pas respectée. Et demandent plus d’objectivité.

Des inspections « à charge », des recommandations pédagogiques intimant aux établissements de rentrer dans le cadre « Éducation nationale » et un texte de référence à destination des inspecteurs imprécis et subjectif… Les écoles hors contrat dénoncent « un climat de chasse aux sorcières ». À tort ou à raison ?

S’il existe en France des établissements « hors contrat », c’est au nom du principe fondamental de « liberté de l’enseignement », inscrit en 1959 dans la loi Debré. Ces établissements ne reçoivent pas de subvention de l’Éducation nationale. Ils ne sont pas tenus de suivre les programmes officiels et disposent d’une grande liberté pédagogique. Ils doivent cependant amener leurs élèves, à l’issue de la scolarité obligatoire, à un « socle commun de connaissances » défini par la Rue de Grenelle. Ils sont donc soumis à des inspections, qui veillent aussi aux dérives sectaires et religieuses.

Si l’enseignement hors contrat reste marginal (73.000 élèves dans 1 300 établissements, soit 0,5 % des élèves en France), sa croissance, elle, est « exponentielle », selon le rapport sénatorial du 7 février 2018 (les effectifs ont progressé de 23 % entre 2012 et 2017). Défiance vis-à-vis de l’Éducation nationale, engouement pour les pédagogies « nouvelles », type Montessori, volonté d’une éducation religieuse… Les raisons du choix du hors-contrat par les familles sont variées, à l’image de l’hétérogénéité des écoles qui gravitent dans cette galaxie. Parmi elles, 42 % d’établissements laïcs et 33 % de confessionnels, essentiellement catholiques (16 %), mais aussi musulmans (9%), juifs (5%) et protestants (3%). Le reste n’étant pas « identifié ».

Quelle est la position de l’exécutif à leur égard ? En 2016, dans un contexte post-attentats, l’Éducation nationale avait durci le ton, avec en toile de fond le risque de dérives islamistes de certaines écoles. Elle faisait alors le constat d’une inspection menée tous les six à sept ans seulement… Depuis 2018, la loi Gatel a durci le régime d’ouverture des écoles hors contrat. Elle prévoit aussi des inspections plus fréquentes ainsi que des contrôles « surprises ». De 188 en 2015-2016, ils sont passés à 358 en 2017-2018, parmi lesquels 10,6 % relevaient des manquements. Cette année, « plusieurs centaines seront effectués », indique l’Éducation nationale.

« On voit mal comment la nécessité de lutter contre les risques de la radicalité islamiste justifierait un tel acharnement »

La Fondation pour l’école, dans un courrier adressé cet automne à Matignon

« Certaines écoles font l’objet d’inspections à répétition, sans qu’il ne leur soit jamais expliqué sur quel fondement ni à quelle fin. Il en est ainsi de l’école du Puy du Fou et de plusieurs écoles du réseau Espérance Banlieues […]. On voit mal comment la nécessité de lutter contre les risques de la radicalité islamiste justifierait un tel acharnement », explique la Fondation pour l’école dans un courrier adressé cet automne à Matignon, resté lettre morte, dans lequel elle évoque « un climat de chasse aux sorcières ».

Cette fondation d’utilité publique, qui soutient depuis dix ans des établissements hors contrat – essentiellement catholiques, mais aussi à pédagogie innovante – décrit des inspecteurs adoptant un « comportement à charge », des injonctions à respecter le programme de l’Éducation nationale, à réduire la fréquence des activités religieuses, à pratiquer le sport ou l’enseignement de manière mixte pour des écoles ayant choisi la non-mixité, et le reproche récurrent de ne pas développer assez « l’esprit critique ». Exemple: un rapport de mars 2017 dans l’académie de Poitiers affirmant que « le développement de l’esprit critique des élèves est d’autant moins possible que les documents pédagogiques sont anciens et que les élèves n’ont pas accès à l’outil informatique »…

Volonté de faire entrer le hors-contrat dans le rang ou de pointer les manquements ? Le «vade-mecum» écrit en 2016 pour les inspecteurs témoigne de la difficulté de l’administration à instaurer un cadre rigoureux. Dans ce document de 64 pages, les inspecteurs sont invités à observer des « absences d’indices » « d’un discours antidémocratique ou antirépublicain », ou « d’un enseignement porteur de conceptions manifestement “farfelues” (terre plate par exemple) »… Alors que la Fondation pour l’école demande un cadre plus précis, l’Éducation nationale explique qu’il sera prochainement « actualisé ». L’institution a tout intérêt à être dans les clous.