Interdiction du redoublement. L’Enseignement catholique laissera-t-il rogner ainsi ses libertés constitutives ?

Par un décret du 18 novembre 2014 (dit du « redoublement exceptionnel ») relatif au suivi et à l’accompagnement pédagogique des élèves, l’État a interdit le redoublement (sauf circonstances très exceptionnelles et très encadrées). L’objet de ce présent billet n’est pas de se prononcer sur l’opportunité d’une telle interdiction, ni sur la légitimité de l’État à s’ingérer dans les pratiques pédagogiques des écoles et des professeurs de l’Éducation nationale. Il est de noter que le Ministère prétend appliquer cette interdiction aussi aux établissements d’enseignement privé sous contrat sans que l’Enseignement catholique ne s’en soit officiellement offusqué, à ce stade du moins.Rappelons que le prix du financement public de l’enseignement privé par la loi Debré de 1959 fut un alignement sur les programmes scolaires fixés par l’État et l’acceptation du respect de la liberté des consciences des élèves dans le respect du « caractère propre ». Il n’a jamais été question de réduire la liberté pédagogique (hormis celle du contenu des programmes scolaires à suivre, des diplômes à préparer, le volume horaire par matière, et de la formation des professeurs que l’on embauche – ce qui correspond déjà à des concessions considérables). Les méthodes et la manière de concevoir la scolarité des élèves restaient libres. En principe, les professeurs du privé sous contrat étaient tenus par le programme mais libres des méthodes pédagogiques à employer. En pratique, si certains professeurs exerçaient ces libertés, la plupart suivaient à la lettre – et même parfois avec un zèle quelque peu étonnant – les prescriptions pédagogiques émanant des décrets et circulaires du Ministère, véhiculées par les inspecteurs et les formateurs des IUFM. Ainsi, un fin analyste de la nature de la crise éducative française, le mathématicien Laurent Lafforgue, a-t-il pu dénoncer le fait que plus d’une fois les idéologies et pratiques de terrain les plus dangereusement pédagogistes étaient le fait de chrétiens de gauche, actifs au sein de l’Enseignement catholique ou plébiscités par ce dernier. C’est ainsi par exemple que le père du pédagogisme, Philippe Meirieu, fut longtemps en odeur de sainteté – si ce n’est pas encore le cas – au sein de l’Enseignement catholique.

Récemment, lorsque Najat Vallaud-Belkacem annonça son programme de réforme du collège, l’Enseignement catholique – par la voix de son secrétaire général Pascal Balmand – soutint la réforme, au motif que, malgré les inepties qu’elle contenait, elle allait tout de même vers plus d’autonomie pour les établissements, ce qui avait toujours été souhaité par les écoles catholiques. Les instances de l’Enseignement catholique ont pour la plupart une lecture technique des textes émanant du Ministère et ne trouvent une réforme publiquement critiquable que si elle entraîne des pertes d’heures pour l’Enseignement catholique ; la vision économique semble primer sur la défense des moyens d’assurer la qualité de l’enseignement. Cet appui apporté par l’Enseignement catholique – et par l’APEL nationale – à cette réforme particulièrement décriée du collège ne fut généralement pas apprécié des parties concernées par cette réforme et au-delà par la population française. On notera seulement ici qu’elle conduisait, entre autres, à une forme d’abdication par les écoles catholiques sous contrat d’éléments constitutifs de leur liberté pédagogique…

Avec le décret du 18 novembre du redoublement exceptionnel, c’est une nouvelle étape qui est franchie en matière d’abandon par l’Enseignement catholique de sa propre liberté pédagogique. Savoir si un élève doit redoubler ou pas relève de la décision de l’établissement, voire des familles. Cela doit se voir cas par cas, de manière pragmatique. On ne peut définir une position idéologique en faveur ou contre le redoublement d’autant que cette question ne prend sens que par rapport à un tout, un continuum pédagogique développé au niveau de l’établissement dans lequel il fait ou ne fait pas sens. En prétendant inclure les écoles privées catholiques sous contrat dans cette approche dogmatique du redoublement qu’il impose aux écoles publiques, l’État aurait dû selon nous provoquer une forte vague de protestation contre sa politique, face à cette ingérence étatique caractérisée dans les libertés pédagogiques des établissements privés.

Anne Coffinier, directeur général de la Fondation pour l’école