[Interview] Anne Coffinier pour Valeurs Actuelles, le point sur la Loi Gatel
Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, a accordé au site internet de Valeurs Actuelles une longue interview, permettant de faire le point sur la Loi Gatel, votée ce 29 mars 2018 à l’Assemblée Nationale.
Destinée à “simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat”, cette loi comporte des avancées notoires mais aussi de nombreuses interrogations quant à son efficacité…
Interview. Au terme de discussions nombreuses et houleuses, le parlement vient d’adopter définitivement la nouvelle loi d’encadrement des écoles indépendantes. Anne Coffinier, présidente de la Fondation pour l’Ecole, revient sur cette loi réécrite au fil des revendications du hors-contrat.
Le parlement vient d’adopter définitivement l’encadrement des écoles indépendantes. Que faut-il retenir du texte qui a été voté ?
Le texte initial nous avait inquiété en raison de certains volets clairement attentatoires à la liberté scolaire. Le texte adopté est finalement un moindre mal, le pire a clairement été évité, notamment grâce au travail que nous avons fait dans le cadre des consultations. Cette loi ne créé aucun drame majeur et elle améliore même certains petits détails : la création d’un régime de guichet unique (plus simple au niveau administratif), la clarification du déclenchement du délai d’opposition ainsi que son allongement (ce qui va rassurer et rendre les maires moins frileux, lorsqu’une école se créé). Tout ça va dans le bon sens.
Mais à l’inverse, cette loi maintient et développe en retour des archaïsmes vraiment dépassés pour notre époque, et qui nuisent à la capacité d’innovation propre à ces écoles indépendantes.
Un exemple : elle réclame que les directeurs et professeurs soient nécessairement européens. Un vrai problème pour toutes les écoles internationales qui embauchent des Américains, des Canadiens ou des Chinois. Les demandes de dérogation vont être incessantes !
Autre exemple : la nécessité d’une licence pour enseigner en maternelle… Les écoles Montessori vont être particulièrement touchées. Beaucoup d’éducateurs n’ont pas de licence et sont pourtant parfaitement formés à la méthode. Mais en ce qui concerne la lutte contre la radicalisation islamiste, permettez-moi de vous dire que j’ai de gros doutes.
C’était en effet l’objectif affiché. La loi ne l’atteint pas du tout ?
Si l’objectif était effectivement celui-ci, je ne vois vraiment pas en quoi cette loi pourrait améliorer quoi que ce soit. La seule disposition utile, c’est la présence du préfet aux côtés du directeur de service de l’éducation (recteur). Cela veut dire que les recteurs pourront ainsi faire appel au ministère de l’Intérieur, à la DCRI, et donc à des gens qui sont réellement spécialistes du renseignement intérieur. C’est une amélioration, sur une idée qui était d’ailleurs la nôtre et que nous avons réussi à passer ! A part ça, rien de très convaincant.
Y’a-t-il des moyens d’y parvenir selon vous ?
Avec cette loi, non. On a surtout beaucoup de communication et une manière de s’acheter une bonne conscience à faible coût pour se persuader qu’on a agi contre l’islamisme en milieu éducatif. Il y a un vrai problème d’islamisme et il faut évidemment le traiter. Le hors-contrat est prêt à prendre ses responsabilités et à assumer une part de l’effort que tous doivent faire pour éradiquer cette menace. Mais il ne faudrait pas non plus prendre les gens pour des idiots.
Je ne nie pas le potentiel problème que peuvent poser les écoles musulmanes clandestines, comme toutes les activités périscolaires par ailleurs. Mais je tiens quand même à rappeler qu’aucun djihadiste n’est jamais sorti d’une école hors-contrat jusqu’à aujourd’hui. Et en attendant, on ne sait pas ce qui est prévu dans les écoles publiques, véritables foyers de cet islamisme selon toutes les études. Tout le monde sait pourtant très bien que les grosses écoles tenues par les frères musulmans sont surtout des écoles passées sous contrat par l’Etat. Ce sont ces écoles dans lesquelles Ramadan a pu sévir, lui comme beaucoup d’autres personnes absolument infréquentables.
On peut quand même se demander s’il n’y a pas quelque chose à faire à leur sujet ! Faut-il leur laisser ce contrat ? Ne faudrait-il pas organiser plus d’inspections ? Je trouve un peu ridicule que les écoles hors-contrat soient ainsi mises sous les feux de la rampe dans le cadre de la lutte contre la radicalisation. Parce que si certaines sont problématiques, il suffit déjà de les inspecter et de les fermer.
Ces écoles indépendantes musulmanes, qui comportent un risque de radicalisation, sont-elles au moins inspectées plus attentivement ?
Non. Parce que c’est toujours le même problème : on ne veut pas discriminer, on refuse de désigner les endroits particulièrement problématiques et l’on inspecte donc tout le monde de la même manière. En réalité, puisqu’on a peur d’inspecter les écoles musulmanes, on inspecte même bien plus les écoles catholiques et les écoles Montessori. Selon certains responsables d’écoles musulmanes, une minorité d’entre elles ont été inspectées. Les écoles catholiques, elles, ont toutes été inspectées. Certaines l’ont même été plusieurs fois.
Alors il faut maintenant être clair. Soit on nomme le problème pour le résoudre : on met en place des inspections systématiques et régulières pour déceler les foyers islamistes. Mais dans ce cas, il faut se concentrer sur les écoles musulmanes. Soit on n’ose pas dire le problème et on reste flou dans les mots comme dans le travail. Mais dans ce cas précis, on risque d’épuiser les capacités des inspecteurs qui ne tiendront jamais plus de deux ou trois ans à ce rythme.
Il faut bien comprendre qu’un professeur du public est inspecté tous les 5 à 7 ans. En ce moment, on mobilise une quantité colossale du corps d’inspection sur les écoles hors-contrat. Ça veut dire que les professeurs du public seront moins inspectés, qu’ils tarderont à avoir leurs avancements, qu’ils auront du mal à progresser… Donc les syndicats risquent de très vite monter au créneau.
Vous voudriez moins d’inspection ?
Pas nécessairement, mais plus ciblées. Nous sommes favorables à l’inspection et ils peuvent même le faire chaque année sans problème. Tout simplement parce que nous n’avons rien à cacher.
J’irais même plus loin : si certaines écoles ne fonctionnent pas bien, c’est très bien qu’elles soient fermées rapidement plutôt que de venir polluer tout le système des écoles hors-contrat. Mais mon propos vise l’efficacité : il faudrait concentrer les inspections sur les écoles problématiques, ça me paraît évident. Il faudrait également publier les rapports d’inspection. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, les écoles n’y ont même pas accès. Certains fuitent dans la presse, et les écoles doivent commenter des commentaires sans connaître précisément le contenu du rapport. C’est absurde. Il va falloir prendre les gens un peu au sérieux. On pourrait très bien, comme en Grande-Bretagne publier ces rapports d’inspection sur les sites de chaque école. Cela permettrait en plus, si certaines choses sont fausses, de les attaquer au contentieux ou en recours hiérarchique.
Et ces inspections sont parfois même illégales. Je vais vous donner un exemple précis : des inspecteurs ont appelé une école catholique pour venir ce vendredi. L’école a répondu qu’elle était fermée à cause du Vendredi Saint, l’inspection n’a rien voulu savoir. Il ne me semble pas que ce soit exactement ce qu’on appelle le respect de la liberté d’enseignement. Une école a parfaitement le droit de gérer ses horaires et jours d’ouverture.
On a également des pressions sur pas mal d’école qui pratiquent la non-mixité, y compris dans le sport. C’est pourtant une méthode qui a largement fait ses preuves ! Ce n’est peut-être pas la solution pour tous les enfants, mais ça peut l’être. On comprend que l’idée est d’aligner les écoles hors-contrat sur le modèle de l’école publique, tout simplement. Et voilà un objectif qui ne règlera absolument pas le problème de l’islamisme.
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