TRIBUNE LIBRE
Le blog de la Liberté scolaire : Jean-François Chemain, vous avez un parcours professionnel tout à fait étonnant. Vous auriez pu jouir toute votre vie de votre statut de cadre dynamique allant de cabinet de conseil en groupe industriel. Mais un jour, vous stoppez tout, reprenez des études d’histoire et demandez à être nommé dans un collège sensible. Était-ce un simple coup de folie ?
Jean-François Chemain : Certainement pas, ce fut un acte mûrement réfléchi, porté dans la prière et, franchement, il eût été bien plus fou de ma part de continuer à faire ce que je faisais avant : j’avais alors vraiment l’impression que ça n’avait aucun sens, et je finissais par déprimer complètement !
Vous ne faites pas mystère de la part qu’a jouée votre conversion dans votre décision de devenir professeur. Bien sûr, vous ne faites pas de prosélytisme, vous ne faites pas état de vos convictions religieuses, car vous n’êtes pas en droit de le faire dans un établissement public. Mais, en classe, la discussion revient très souvent sur ce sujet-là. Le fait religieux ne peut donc pas être occulté de l’Histoire de France ni des débats avec les élèves ?
Le catholicisme suinte à travers tous les pores de notre Histoire nationale. On en connaît certes les grands témoins, depuis les martyrs de Lyon, en passant par Clovis, Charlemagne, saint Louis et Jeanne d’Arc, nos rois « très chrétiens »… Mais encore, comment expliquer le caractère universel de notre déclaration des Droits de l’Homme, sans avoir compris le rôle de fille aînée de l’Église catholique (donc « universelle ») de la France ? Comment ne pas faire le parallèle entre le (parfois sinistre) « messianisme » des soldats de l’An II et le fait que les deux tiers des missionnaires aient été originaires de France ? Comment comprendre notre conception intransigeante de la laïcité si on ne sait pas que, pendant plus de mille ans, le combat de la France fut celui de l’indépendance de l’Église contre la prétention des pouvoirs politiques à l’instrumentaliser ? Quant à mes élèves, pour la plupart musulmans, ces sujets les intéressent, ce qui ne pas le cas de mes quelques « souchiens » (1), chez qui deux siècles d’athéisme d’État ont réussi à extirper tout sentiment religieux.
Votre optimisme est admirable. Pour vous, des élèves imbibés de préjugés ne sont pas insensibles au rétablissement d’une histoire enseignée « en vérité ». Pouvez-vous nous citer quelques exemples.
J’ai réussi à faire connaître à une classe de 3ème le sort des chrétiens d’Orient, dont ils n’avaient jamais entendu parler, persuadés qu’ils étaient que la seule injustice sur terre est celle qu’on fait aux Palestiniens. « Pourquoi ne nous parle-t-on jamais de ça ? », m’ont-ils demandé. J’ai pu leur faire admettre que l’esclavage ne s’est pas limité à la traite des noirs par les chrétiens, mais qu’il y a eu aussi une traite effectuée par les arabo-musulmans, celle-ci portant tant sur les noirs que sur les Européens, et aussi leur faire comprendre, contre leur sentiment premier, que les trafics humains de leurs ancêtres ne sont pas plus glorieux que ceux des nôtres. J’ai pu conduire une classe à reconnaître que si le sort des immigrés était chez nous aussi épouvantable que le prétendent certains, on ne s’y précipiterait pas en masse, souvent au péril de sa vie… Je donne ces trois exemples, mais chaque heure donne lieu à un débat, sur les sujets les plus imprévus. C’est vraiment, à l’échelle d’une classe, le « choc des civilisations » : les élèves sont imprégnés d’un discours simpliste et manichéen, qu’il faut déconstruire patiemment, sans s’énerver…
Pour le modèle pédagogique unique prôné par l’Éducation nationale, tous les collégiens de 6e devraient ouvrir leur livre d’histoire à la même page chaque lundi à 8 heures. Dans la « vraie vie », la majorité des enseignants savent bien que c’est impossible, mais ils n’osent guère le dire. Comment un enseignant d’histoire, géographie et instruction civique peut-il faire son métier, c’est-à-dire transmettre des savoirs, donner des repères et former des hommes libres ?
Le combat semble perdu bien en amont de mon intervention, par l’incapacité de la plupart de ces jeunes de raisonner, de sortir de discours affectifs. L’école primaire ne semble leur avoir donné aucune base logique, rien qui construise leur intelligence : beaucoup ne connaissent pas les règles de calcul les plus simples, calant par exemple (je m’en aperçois à l’aide aux devoirs !) devant la première soustraction venue, la règle de trois leur est rigoureusement inconnue. Ils ne maîtrisent pas les principes les plus élémentaires de la grammaire… Ils sont perdus dans la chronologie… Alors au stade où j’interviens, j’ai l’impression de bricoler, de rafistoler… Pourtant je m’accroche, car je crois fermement aux miracles. Je n’ai pas la prétention, car je n’en ai pas la compétence, de donner à ces gamins les bases qu’ils n’ont pas reçues. Mais le sens de la mission que je me suis donnée est de leur donner l’amour de la France, de son Histoire, de sa culture, de son peuple. De les aider à s’intégrer, en un mot. Cela passe par la relation affective forte que je parviens à nouer avec eux qui, pour beaucoup de raisons, sont extrêmement sensibles à ce registre. Ils m’aiment, donc ils me respectent, donc ils m’écoutent.
Voyez-vous une utilité à ce qu’une fondation puisse aider à la création d’établissements libres en banlieue, bâtis sur des projets éducatifs cohérents ?
Je crois que c’est non seulement utile, mais nécessaire. Beaucoup de parents de ces élèves sont très soucieux que leurs enfants sortent du ghetto social et intellectuel dans lequel ils sont enfermés. J’ai la certitude que des établissements de banlieue, fondés sur des projets éducatifs forts (enseignement et morale), avec des résultats probants à la clef, attireraient énormément d’élèves, même, d’ailleurs, si un enseignement religieux catholique y était obligatoire. La banlieue s’islamise très rapidement, je le vois tous les jours, mais les musulmans sont souvent les premières victimes de cette situation, coincés entre les pressions islamistes incessantes, et le désintérêt religieux des autorités, à commencer par l’école. L’enjeu sera moins d’y attirer des élèves que des enseignants de qualité, car il en faut de toutes particulières pour enseigner à ce public très difficile !
(1) Le terme de « souchien » est un néologisme qui serait utilisé dans les banlieues à forte immigration pour désigner les Français de souche. Construit sur le sinistre jeu de mots « sous-chiens », cette expression a fait l’objet d’une vive polémique et la porte-parole des Indigènes de la République, qui l’a utilisée et reprise à son compte publiquement à la télévision, est attaquée devant la justice pour « racisme anti-blanc ». Il va de soi que l’auteur de cette tribune utilise ici ce vocabulaire sans le reprendre à son compte.
Les tribunes libres donnent la parole à différentes personnalités sur le thème de la liberté scolaire. Les opinions exprimées n’engagent que leurs auteurs.