La numérisation de l’école est nuisible aux enfants et à l’environnement

Avec le confinement, la numérisation de l’école s’intensifie. Sans débat de fond, soulignent les auteurs de cette tribune, qui rappellent qu’aucune étude n’a démontré les avantages du numérique pour les apprentissages… Ne vaudrait-il pas mieux recruter du personnel éclairé que de river les enfants à des machines ?

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12 décembre 2020 / Les associations Lève les yeux et Nous personne

Les associations Lève les yeuxNous Personne et le collectif Surexposition écran (Cose) sont engagés contre la numérisation de l’éducation. La liste de la vingtaine d’associations signataires de leur tribune se trouve en fin de texte.


Cela fait quelques années déjà que nos dirigeants politiques voient dans les écrans l’avenir de l’éducation. Les États généraux du numérique pour l’éducation, les 4 et 5 novembre derniers, ont marqué une étape supplémentaire dans l’avancée de ce projet politique en entérinant toutes les orientations prônées par la EdTech — pour « educational technology » – sans qu’aucune voix dissonante n’y soit entendue.

Après le Plan numérique pour l’école de François Hollande, le passage aux lycées 4.0 en régions Île-de-France et Grand-Est, les tablettes distribuées par les conseils départementaux et régionaux aux élèves un peu partout, l’école élémentaire 4.0 inaugurée dans le Val-d’Oise par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, en septembre dernier, la multiplication d’écrans dès la première année de maternelle… Doit-on s’attendre à voir arriver des tablettes pour bébés à la crèche ?

Pour quelles raisons, au juste, faut-il à tout prix remplacer livres et cahiers – bientôt les enseignants ? – par des écrans ? Comme l’a bien montré la journaliste et essayiste Naomi Klein, une « stratégie du choc » est à l’œuvre de la part des entreprises du numérique à l’heure de la lutte contre le Covid-19. Le confinement et l’enseignement à distance ont donné un formidable coup d’accélérateur à un projet déjà bien pensé, mais encore peu osé.

Pourtant, un nombre chaque jour croissant de parents, d’enseignants et autres personnels de l’Éducation nationale découvrent avec effroi les effets néfastes de la surexposition aux écrans et refusent que l’école républicaine ne se transforme, elle aussi, en kaléidoscope géant, après nos maisons, nos gares et nos rues. Nos associations se font ici l’écho de ce refus, exprimé à travers deux courriers adressés au gouvernement, aux présidents d’exécutifs locaux et à l’ensemble des parlementaires, restés à ce jour quasi lettres mortes [1].

Les effets délétères de la surexposition aux écrans sont pourtant prouvés

Aucune étude indépendante n’est parvenue à démontrer un effet positif du numérique sur les apprentissages, bien au contraire : l’étude Pisa, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réalisée en 2015, révèle que les pays qui ont le plus bas niveau scolaire sont ceux qui utilisent le plus les outils numériques. Ô surprise, les humains transmettent mieux le savoir que les écrans.

Les effets délétères de la surexposition aux écrans sur la jeunesse sont constatés partout.

En outre, les effets délétères de la surexposition aux écrans sur la jeunesse sont constatés partout et également documentés par plus de 1.500 études internationales : troubles de l’attention, du sommeil, des apprentissages, retard de langage, troubles cognitifs, intolérance à la frustration, baisse de l’empathie, violence, cyber-harcèlement, isolement, dépression [2]… L’école doit-elle contribuer à augmenter le temps d’écran, déjà supérieur à la moitié du temps éveillé pour une majorité de collégiens et lycéens ou au contraire offrir un havre de déconnexion ?

Aux États-Unis, dans 45 États sur 50, les enfants n’apprennent plus à écrire

Ce drame sanitaire et éducatif immédiat est aussi une aberration politique à long terme. Comment concilier les ambitions écologiques indispensables à l’heure du réchauffement climatique et l’achat massif d’objets polluants lors de leur fabrication et de leur utilisation ? Pour rappel, le numérique représente, d’après le Shift Project, groupe de réflexion sur la transition énergétique, 3,7 % du total des émissions de gaz à effets de serre. Soit davantage que le secteur aérien [3] – un chiffre en hausse constante, alimenté par la numérisation de l’éducation.

L’argent public dépensé dans des tablettes – près de 2,3 milliards d’euros depuis 2013 [4] –, obsolètes tous les trois ans, ne serait-il pas plus utile, par exemple, dans le recrutement de personnel ou la réparation des écoles vétustes ?

L’argent public dépensé dans des tablettes ne serait-il pas plus utile dans le recrutement de personnel ou la réparation des écoles vétustes ?

Toutes ces raisons poussent de plus en plus de parents d’élèves à retirer leurs enfants de l’enseignement public pour les inscrire dans des établissements privés sans écrans, accentuant ainsi les inégalités sociales. Un phénomène déjà bien ancré aux États-Unis, où les parents de la Silicon Valley paient l’éducation Waldorf sans écran tandis que, dans le public, on n’apprend même plus à écrire dans 45 États sur 50. C’est pourquoi certains territoires français, à l’instar du Loiret, font marche arrière et retirent l’équipement numérique destiné aux enfants.

Une farce démocratique, dans le déni du principe de précaution

Comme pour la 5G, imposée en France en dépit des dangers de l’exposition aux ondes et du coût écologique, qui rendent une majorité de Français sceptiques, c’est la stratégie du bulldozer qui est adoptée. Dans la « voie unique vers le progrès » justement dénoncée par Bruno Latour, l’opposition au « numérique éducatif » est niée. Elle n’a pas été conviée à des États généraux qui rassemblaient avant tout la EdTech et ses promoteurs publics, et dont on se demande bien ce qu’ils avaient de « généraux ».

Comme pour la 5G, le gouvernement confond « révolution » et « putsch », en imposant par le haut des décisions arbitraires au seul profit de secteurs industriels, et dans le déni complet de l’élémentaire principe de précaution et de souci du bien commun.

Nos associations veulent encore croire en l’école publique, gratuite et de qualité, qui ouvre les esprits au lieu de les formater, en la lecture approfondie de textes et en l’écriture manuscrite, alliées de la mémoire, de la réflexion et de l’intelligence. Elles veulent encore croire en une école au sein de laquelle le savoir est transmis non par des machines et des algorithmes, mais par des humains, libres et éclairés.

Liste des associations signataires :

  • Lève les yeux !
  • CoSE (Collectif Surexposition Écrans)
  • Collectif Nous Personne
  • TECHNOlogos
  • Edupax
  • Adikphonia (Journées mondiales sans portable)
  • Halte à l’obsolescence programmée (HOP)
  • Alerte Écrans
  • Sciences critiques
  • Green IT
  • Collectif Parents unis contre les smartphones avant 15 ans
  • AFCIA (Association française contre l’intelligence artificielle)
  • Priartem (pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électro-magnétiques)
  • Enfance-Télé : danger ?
  • Etikya (pour un web plus éthique)
  • Attention D.É.F.I.(Attention Dangers Écrans Formons Informons)
  • LACUNE (L’Association Contre l’Utilitarisme et le Numérique Éducatifs)
  • Chevaliers du web
  • Collectif du Vallon (Aveyron) d’information sur les objets connectés et champs électromagnétiques artificiels
  • Collectif Défense 38 Éducation
  • Collectif Écran total – pour un usage raisonné et responsable du
    numérique dans l’éducation (de Nancy, 54)

Pour les associations désirant signer la pétition Et si l’avenir de l’éducation ne passait pas par les écrans ?, c’est ici.


[1Seul le cabinet du ministre de l’Éducation nationale a daigné nous répondre et nous attendons une date de rendez-vous.

[2Ces études sont accessibles sur le site du collectif Cose ou dans l’ouvrage La Fabrique du crétin digital, de Michel Desmurget (Seuil, 2019).

[3Elle serait de 2,5 % aujourd’hui, selon le Réseau action climat.

[4Selon le rapport de la Cour des comptes de 2019, « Le service public numérique pour l’éducation » (dépenses de 2013 à 2017).