La place du silence et du temps long dans notre enseignement

Enseigner, c’est transmettre, certes. Et pour cela, la parole est primordiale.

Mais, c’est bien connu, les professeurs aiment parler et expliquer, voire même parfois s’écoutent parler et expliquer ! Alors osons nous poser la question : quelle place laissons-nous au silence ? A ce silence qui permet d’intérioriser, de verbaliser, de se remémorer, à ce silence qui laisse le temps au processus de réflexion de s’accomplir, qui donne à l’élève la possibilité de comprendre et retenir au sens étymologique des termes (cum-prehendere : prendre avec soi, saisir par la pensée, re-tenere : tenir avec intensité, garder) ?

 

Le silence peut faire peur :

Quelle place suis-je capable de laisser au silence dans ma propre vie ? Ce n’est qu’après avoir répondu à cette question que je pourrai l’utiliser comme un outil pédagogique. Si le silence me fait peur, comme un vide qui me renvoie peut-être à des questions existentielles, j’aurai forcément tendance à le meubler : paroles, consignes multiples, déplacements permanents, tout sera alors utile pour combler mon propre vide, sans réaliser que cela peut gêner les élèves.

Le bon et le mauvais silence

Il existe plusieurs types de silence, tout comme il existe plusieurs types de chuchotement. Nous avons tous expérimenté dans nos classes la différence entre les murmures dus à l’excitation et le « chuchotement de travail », qu’il ne faut surtout pas interrompre.

De la même manière, nous pouvons distinguer le silence qui naît de la crainte (peur de la punition ou de la mauvaise note), silence stressé qui, même s’il peut être une étape, ne permet pas vraiment de réfléchir, et le silence habité. Ce dernier sera bénéfique car détendu, il permettra donc un réel cheminement de la pensée : de l’intuitif au conscient, de l’émotionnel au rationnel.

Le silence meilleur que l’immédiateté et l’efficacité

Du point de vue de l’efficacité, donner la réponse soi-même ou laisser l’élève le plus rapide répondre immédiatement permet d’avancer. Pour les autres élèves, c’est alors la mémoire qui va être sollicitée en premier lieu dans l’apprentissage, et nous espérons que de cette mémorisation naîtra peu à peu une compréhension profonde de la notion. Ce chemin peut être valable, mais ce n’est pas forcément le plus efficace à long terme. Alors comment laisser le temps à tous et oser prendre quelques secondes de silence après avoir posé une question ?

En classe, apprendre à l’enfant à habiter et nourrir le silence

En expliquant à nos élèves les processus d’apprentissage et leur temporalité, nous leur apprenons à les respecter. Nous pouvons donc exposer quelques notions de neurosciences et guider ensuite la réflexion des élèves, au départ à voix haute, puis peu à peu en diminuant le volume sonore ou en passant aux gestes, et enfin en les laissant réfléchir en autonomie.

« Dans l’apprentissage, le seul luxe peut-être que l’on puisse offrir à un élève, c’est du temps, donc du silence. Celui-ci permet à l’élève de prendre la parole pour soi. » Philippe Rousseau (lien vers l’article complet en bas de page)

« Nous nous apercevons peu à peu que l’enseignant, qui est avant tout maître de la langue, en devient l’esclave s’il n’est pas en même temps maître du silence. Alors que nous attribuions aux élèves le devoir de se taire, nous découvrons le rôle (l’impact) du silence au cœur de l’action de l’enseignant en train de faire cours. Les silences de l’enseignement, venant au secours de la parole de l’enseignant, seraient-ils les moments les plus féconds de l’apprentissage ? Irons-nous jusqu’à dire qu’il faut enseigner dans et par le silence ? mais alors que fait un enseignant quand il ne parle pas ? » (La fonction du silence en pédagogie, par Philippe Rousseau, paragraphe 11)

En aidant les élèves à développer leur vie intérieure (à la fois intellectuelle et spirituelle), nous leur rendons un immense service. Ils apprivoiseront ce silence dans lequel naissent les plus grandes œuvres. Osons nous taire !

Pour aller plus loin :

La fonction du silence en pédagogie : une dimension performative, par Philippe Rousseau, comédien, clown et bibliste spécialisé dans la prière des psaumes, qui a enseigné 30 ans à l’Université de Lorraine (IUFM – formateur théâtre en formation initiale et formation continue, 1er et 2nd degrés)

https://journals.openedition.org/rechercheseducations/211#tocto1n5