La réforme du collège : quand l’idéologie fait rage

Anne CoffinierÀ partir de l’analyse pertinente faite par l’APEL du collège Stanislas, nous tentons ici de résumer et d’analyser les points saillants de la réforme du collège, qui fort heureusement ne concerne pas les écoles indépendantes qui sont libres de leurs programmes et de leur organisation dès lors qu’elles respectent le « socle commun de connaissances » en fin de scolarité obligatoire.

Des enseignements complémentaires (EPI et AP) seront introduits : les enseignements pratiques interdisciplinaires et les accompagnements personnalisés. L’intention affichée va dans le bon sens (laisser 20 % du temps d’enseignement au libre choix des professeurs), mais c’est la mise en application pratique qui est insatisfaisante et confine à l’escroquerie : il est précisé que ces 20 % doivent s’effectuer « dans le respect des horaires disciplinaires » : on ne pourra donc pas augmenter le volume horaire dévolu au français ou aux mathématiques ; il faudra amputer les horaires de cours classiques pour constituer ces EPI. Au final, les horaires par matière seront donc réduits alors qu’ils auraient notoirement besoin d’être renforcés, en particulier en français. Puisque les 4 heures d’enseignements complémentaires seront prélevées sur le temps d’enseignement traditionnel, c’est la transmission systématique et ordonnée des connaissances qui est sacrifiée sous le prétexte de renforcer les capacités de travail en groupe et d’expression orale.

De plus, comment parler de respect accru de l’autonomie professionnelle des professeurs, lorsqu’on leur impose mille contraintes arbitraires dans l’usage de cette autonomie : ainsi ils devront mettre en place durant les 3 années de collège des EPI relevant de 6  sujets à choisir dans le cadre de 8 thèmes imposés. Pourquoi donner d’une main plus d’autonomie aux professeurs si c’est pour la reprendre de l’autre ?

Si l’interdisciplinarité peut avoir du sens à l’université, elle n’est pas adaptée à des collégiens qui ont encore un grand besoin d’organiser, structurer et consolider leurs connaissances. Avant de pouvoir faire des passerelles entre différentes matières, il faut déjà maîtriser solidement les fondements de chaque discipline académique. Ces travaux pluridisciplinaires conduisent mécaniquement à mépriser ce qui fait la spécificité de la méthode et de l’approche propres à chaque matière, et à faire des coupes sombres dans les connaissances de chaque champ disciplinaire. Cette vieille passion du ministère pour l’interdisciplinarité a partie liée au vieux rêve qu’il caresse pour des raisons mi-idéologiques (cette fameuse haine du savoir et de la transmission des connaissances si bien présentée par F.-X. Bellamy dans Les Deshérités) mi-budgétaires : celui du professeur polyvalent de collège, dans la pure continuité de l’instituteur du primaire. Cela ne simplifierait-il pas la gestion des effectifs dans le contexte de pénurie de vocations actuel ?

On note enfin que cette prétendue innovation des 20 % laissés au choix du professeur reprend une vieille idée déployée par Joseph Fontanet en 1973 concernant 10 % des volumes horaires, puis en 1988 par Ségolène Royal sous le nom de Parcours diversifiés, puis  par Jacques Lang en 1991 sous le nom d’Itinéraires de Découverte. Rien de nouveau sous le soleil.

On assiste indubitablement à la baisse du volume horaire consacré à l’apprentissage direct et systématique de chaque matière, puisqu’une partie des horaires de discipline devra être utilisée pour des activités de projet ou des heures d’accompagnement (de tous les élèves). C’est le chef d’établissement qui en pratique désignera les victimes : les professeurs qui devront se sacrifier. Les heures d’accompagnement personnalisé qui s’ajoutaient sont désormais prises sur les heures de cours.

L’enseignement des langues, qui méritait il est vrai des réformes, n’est pas amélioré par la réforme actuelle du collège.

Le latin et le grec ne sont plus une discipline optionnelle à part entière ; ils deviennent des modules dont la mise en œuvre facultative dépendra de la bonne volonté des différents professeurs, sachant que ces modules réduiront d’autant les heures dont ils disposeront pour leur discipline principale, par exemple le français. Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la suppression du  Capes de lettres classiques réalisée en 2013.

Les classes bilangues et euro sont supprimées, dans un grand mouvement d’égalitarisme, tandis que l’horaire consacré à la LV2 augmente de 25 % sur les trois années du collège. Ainsi les 20 % d’enfants qui apprenaient le latin ne le pourront plus, de même que les 15 % d’enfants de classes bilangues ou les 10 % de classes euro. Ces réformes anti-intellectuelles ne procèdent pas d’évaluations qui auraient montré l’inefficacité de ces classes à langues renforcées mais de la pure idéologie comme on le comprendra à la lecture de cet extrait de la circulaire d’application de la réforme : « Les élèves qui bénéficient d’un enseignement de complément doivent être répartis dans plusieurs classes, afin d’éviter la constitution de filières sur la base de ce choix. » Il s’agit de mélanger à tout prix les forts et les faibles, les motivés et les moins intéressés, l’hétérogénéité maximale au sein de la classe étant une vache sacrée toujours plus révérée ces trente dernières années, et les classes de niveau une horreur politique digne des heures les plus sombres de notre histoire…

À cette réforme du collège s’ajoute la réforme des programmes. L’idée a priori abandonnée de rendre certains aspects du programme obligatoires et d’autres facultatifs en dit long sur les objectifs de nos réformateurs. Comment justifier leur choix de rendre obligatoire l’apprentissage de l’islam tandis qu’on laissera soigneusement optionnel celui sur la chrétienté, lequel sera présenté sous un angle déjà lourd de sens : « Une société rurale encadrée par l’Église » ? À cela s’ajoute la prétention improbable de mettre en œuvre ces changements de programme dès la rentrée 2016 et ce, pour tous les niveaux à la fois ! Du jamais vu dans l’histoire pourtant riche des réformes scolaires, qui va contraindre les éditeurs à concevoir des manuels en 6 mois ! Ah ! Si le ministère avait le droit d’abolir le temps et la connaissance, quelle politique définitivement émancipatrice il pourrait conduire !

L’objectif de la réforme est en définitive de « redonner sa pertinence, 40 ans après sa création, à l’ambition républicaine du collège unique, (…) creuset du vivre ensemble. C’est pourquoi la mixité scolaire et sociale au sein des classes fait l’objet d’une attention spécifique ». Traduction : alors que le collège unique a conduit à un échec scolaire de masse et que le refus de différenciation des parcours des élèves par rapport à leurs aptitudes et aspirations y est à l’évidence pour quelque chose, le gouvernement veut aller encore plus loin dans l’indifférenciation. Non content de l’imposer depuis la loi Haby au niveau de l’institution collège, il l’impose désormais au niveau des classes qu’il souhaite identiques, quelles que soient les options choisies. Le gouvernement porte ainsi un bien mauvais coup contre une école publique à bout de souffle. Voudrait-il remplir les écoles hors contrat qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

Anne Coffinier, directeur général de la Fondation pour l’école