L’accroissement spectaculaire du nombre d’écoles indépendantes en France ne laisse pas les média indifférents !

Dans un article paru dans “Les décodeurs” du journal Le Monde, la croissance des écoles hors contrat est regardée comme un  phénomène de société. Véritable tendance de fond, le développement des écoles hors contrat -mais pas hors cadre !- s’explique par une multitudes de facteurs différents, reflétant ainsi la grande diversité de ces écoles…

Ecoute des besoins individuels de chaque enfant, collaboration étroite avec les familles, emploi des “méthodes qui marchent” -qu’elles soient issues des pédagogies dites ‘classiques’ ou Montessori, bilinguisme… autant de facteurs attractifs pour un secteur qui se positionne désormais comme une véritable alternative au système scolaire classique.


Hors contrat : comment comprendre le succès des écoles alternatives ?

Des établissements dits « hors contrat » scolarisent 73 000 élèves dans le primaire et le secondaire. Ils verront leurs règles évoluer à la rentrée.

LE MONDE |  |Par Mathilde Damgé

La rentrée 2018 verra un renforcement inédit des conditions d’ouverture des écoles hors contrat — c’est-à-dire ni publiques ni privées sous contrat —, dans un contexte où le succès de ces établissements alternatifs se confirme depuis dix ans.

Au printemps, le Parlement a allongé le délai pour s’opposer à l’ouverture d’une école hors contrat et a étoffé la liste des motifs d’opposition : la sécurité et l’accessibilité des locaux ; l’expérience du directeur (cinq ans au moins d’encadrement ou d’enseignement)… Les sanctions sont en outre alourdies (amende jusqu’à 15 000 euros) si un établissement brave une interdiction d’ouverture.

Ce durcissement de la loi est la suite d’une intensification des inquiétudes autour des écoles musulmanes, renforcées par le long feuilleton toulousain de l’école Al-Badr. Le Conseil constitutionnel a certes validé le 1er juin l’article de loi sur lequel s’était appuyée la justice en décembre 2016 pour ordonner la fermeture de cette école pour « enseignement non conforme ». Mais cet avis n’a pas valeur d’obligation de fermeture et, en affirmant attendre des indications pour se mettre en conformité, Al-Badr prévoit de rouvrir à la rentrée.

Une situation qui a de quoi agacer les autorités : la loi du printemps vise notamment les écoles de confession musulmane et a été soutenue par le gouvernement, par la voix du premier ministre, Edouard Philippe, comme un outil contre « l’embrigadement » islamiste. Dans quelle mesure ces écoles représentent-elles un danger ? Quel est le poids du hors contrat en France ? Comment se répartissent ces établissements sur le territoire ? De quelle obédience sont-ils ? Le point sur ce secteur dans l’ombre de l’école « officielle ».

1. Le succès des « écoles indépendantes »

Les écoles hors contrat, qui scolarisent quelque 73 000 élèves dans le primaire et le secondaire sur un total de 12,5 millions, sont des établissements qui n’ont pas signé d’accord de convention avec l’Etat, contrairement aux écoles privées sous contrat et, bien sûr, à l’école publique.

Le code de l’éducation prévoit que les accords de convention soient passés par classe et non par établissement. Il existe donc des établissements privés qui comprennent à la fois des classes sous contrat et des classes hors contrat. « A la rentrée scolaire 2017, 151 étaient dans ce cas », précise le rapport sénatorial qui a précédé la loi du printemps.

Dans ces classes, l’enseignement est libre, mais elles doivent assurer la diffusion d’un « socle commun de connaissances ». Elles ne reçoivent aucune subvention de l’éducation nationale. La formation y est donc payante, de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros par an. L’inscription à certains établissements, tous niveaux confondus, peut atteindre 30 000 euros par an. Chez Ipesup-Prepasup, « boîte à bac » (et à concours) parisienne rachetée en début d’année par un investisseur boursier, la prépa HEC coûte plus de 10 000 euros l’année.

Malgré les coûts supplémentaires d’une scolarité dans le hors-contrat, le secteur connaît un succès non démenti ces dernières années : le nombre de nouvelles écoles hors contrat a été multiplié par quatre en sept ans.

Hors contrat : le nombre de nouveaux établissements multiplié par quatre en 7 ans

Selon la Fondation pour l’école, qui promeut ce modèle, on compte 887 groupes scolaires sans contrat regroupant 1 305 écoles (maternelle, élémentaire, collège, lycée) en activité.

2. De plus en plus d’écoles par rapport aux collèges et aux lycées

Le hors-contrat concerne majoritairement l’enseignement primaire (57 % des effectifs d’élèves) ; le reste des élèves se répartit entre le second degré scolaire (34 %) et post-baccalauréat (9 %), détaille le rapport sénatorial.

La dernière rentrée illustre bien l’attrait du hors-contrat dans les classes des plus jeunes : les écoles publiques, dans le primaire, ont perdu 30 000 élèves en 2017 par rapport à la rentrée 2016. Les écoles privées en ont quant à elles gagné 7 000, dont 5 000 dans le privé hors contrat. En maternelle, ce dernier a gagné 300 enfants de plus, quand le privé sous contrat en perdait 1 300 et le public 2 600.

Hors contrat : le primaire a augmenté de 75 % en 6 ans

Au total, ce sont plus de 39 300 élèves qui ont été accueillis en septembre 2017 dans les établissements hors contrat du premier degré, répartis dans 725 écoles, soit 15 % de hausse par rapport à l’année précédente.

3. Une répartition inégale sur le territoire

Les académies d’Ile-de-France regroupent 34,6 % des élèves hors contrat, dont 16,5 % dans la seule académie de Versailles, établit le rapport sénatorial.

La Fondation pour l’école, qui promeut le modèle des écoles libres, recense l’ensemble de ces quelque 900 groupes scolaires. La carte ci-dessous (des informations apparaissent au survol pour chaque école) montre en effet leur concentration dans la région parisienne et dans les grandes zones urbaines : Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Grenoble et Bordeaux…

« Dans les académies de Nice et de Versailles, plus d’un élève sur dix dans le privé est scolarisé dans un établissement hors contrat », ajoute le ministère dans son document « Répères et références statistiques pour 2017 ».

Mais on constate aussi que plusieurs de ces écoles sont dans des zones plus isolées : « La création d’écoles indépendantes permet d’assurer la continuité du service public d’éducation dans les zones les plus mises à mal, comme en milieu rural », explique Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, citant l’exemple de maires « convertis au hors-contrat » dans l’Ariège ou le Puy-de-Dôme. On en trouve aussi un nombre important, rapporté à la population, dans les DOM-COM.

4. Des écoles musulmanes très visibles… mais minoritaires

Même si la trentaine d’écoles musulmanes hors contrat qui existent en France focalisent l’attention, en réalité l’offre du hors-contrat est surtout laïque. Contacté, le ministère refuse de confier des données confessionnelles ; ces statistiques sont pourtant présentes dans le rapport sénatorial, qui confirme la prédominance d’un enseignement laïque dans le hors-contrat.

L’enseignement laïque majoritaire dans le hors contrat

Les chiffres présentés ci-dessous sur la répartition des élèves dans les différents réseaux ou catégories d’établissements doivent être pris avec prudence, en ce qu’ils résultent d’une enquête annuelle à visée budgétaire menée depuis peu par le ministère de l’éducation nationale, précise le rapport sénatorial.

Les élèves de confession musulmane ne représentent que 8,8 % du hors-contrat et 0,05 % du total des élèves scolarisés en France. « Le vrai problème, c’est l’école clandestine, à la maison… ou à la mosquée. La communauté s’organise pour aider les jeunes filles déscolarisées à cause du port du voile ; mais personne ne contrôle ces écoles parallèles », selon la Fondation pour l’école.

Ces écoles musulmanes « cachées » sont aussi l’effet collatéral d’oppositions au sein de l’islam en France, qui peine à s’organiser. « La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman ne publie pas la liste des écoles adhérentes. Sans doute parce que cela montrerait qu’une majorité des écoles musulmanes s’abstient de faire allégeance à cette structure », juge Anne Coffinier. Contactée, la FNEM ne nous a pas répondu.

Côté catholique, des courants extrémistes comme celui de la Fraternité Saint-Pie-X pèsent un peu plus lourd, avec une soixantaine d’établissements, soit environ un tiers du total des écoles de profession catholique hors contrat.

5. Pédagogies alternatives et « éducation à l’ancienne »

La Fondation pour l’école, qui distingue le choix confessionnel de la pédagogie, souligne la prédominance des écoles ayant opté pour une pédagogie « classique » (c’est alors le plus souvent le choix confessionnel qui importe), à côté des écoles revendiquant d’autres pédagogies : écocitoyenne (avec un enseignement environnemental important), démocratique (pour l’autogestion), inversée (l’élève apprend chez lui et applique à l’école), Steiner-Waldorf…

Cette dernière pédagogie a été dans le collimateur des autorités pour dérives sectaires il y a quelques années. Elle est fondée sur un mouvement de pensée controversé, qui implique notamment le refus de la vaccination.

Mais c’est bien sûr la pédagogie Montessori, où l’adulte se met à l’écoute de l’enfant, lequel doit apprendre par lui-même et à son rythme, qui s’octroie la part du lion. L’Association Montessori de France ne communique pas de chiffres sur ses adhérents, mais une part grandissante d’écoles « libres » s’en inspire : si quelque deux cents groupes scolaires sont « pur Montessori », au total ils sont plus de trois cents à s’en revendiquer, certains proposant jusqu’à dix pédagogies…

Hors contrat : la méthode Montessori talonne la pédagogie classique

Nombre de groupes scolaires (un groupe peut réunir plusieurs écoles ou plusieurs niveaux) selon la pédagogie telle qu’enregistrée par la Fondation pour l’école, qui milite pour l’école libre.

Dans le primaire, les écoles sont choisies pour leur pédagogie différente ; en revanche, « choisir une école secondaire hors contrat relève souvent de l’ultime solution pour échapper à une réorientation professionnelle, à un redoublement non souhaité, pour remédier à un manque d’engagement dans le travail scolaire compromettant les chances de réussite au bac », résume Thomas Jallaud, directeur des éditions spécialisées Fabert.

Dans d’autres cas, c’est un retour à « l’éducation à l’ancienne », avec uniforme, levée du drapeau ou encore patrouilles d’élèves qui attire. Cette tendance est représentée par le réseau d’écoles Espérance banlieues — notamment subventionné par la région Ile-de-France de Valérie Pécresse et dont le porte-parole avait été convié à une convention sur l’école organisée par le mouvement En marche !, d’Emmanuel Macron, en décembre 2016.

6. Des contrôles peu fréquents

Dérives confessionnelles, indigences pédagogiques, abus commerciaux… avec la nouvelle loi, les écoles hors contrat pourront être inspectées à tout moment. Dans les faits, elles ne l’étaient que peu jusqu’à présent, faute de moyens. Les établissements privés doivent être inspectés au moins la première année et la cinquième année de leur fonctionnement ; selon le rapport sénatorial, ce n’est le cas que de respectivement 73 et 26 % des établissements.

Un rapport rédigé en 2016 par l’académie de Versailles à la suite de contrôles inopinés dans une trentaine d’écoles avait révélé qu’aucune des écoles inspectées n’enseignait le socle commun de connaissances. Paradoxalement, ce que soulignait aussi ce rapport, c’était le manque d’initiative laissée aux élèves, alors qu’une grande partie de ces écoles affirment laisser une plus grande place à l’enfant, grâce à des classes plus petites et à une pédagogie adaptée.