L’apprentissage de la citoyenneté : Une question de volonté et de méthode

AbdelA Villeneuve la Garenne et Sartrouville, un dispositif associatif, ECD, fait un travail de soutien scolaire et d’éducation à la citoyenneté des jeunes des quartiers dont la qualité mérite d’être soulignée. Tribune libre de son fondateur, Abderrahim Aitomar, qui est par ailleurs élu municipal de Villeneuve de la Garenne.

La citoyenneté ne se décrète pas, elle se construit avec méthode pour être vécue et intériorisée. La citoyenneté ne s’instaure pas au gré des circonstances, si funestes et dramatiques soient elles ; elle se construit chaque jour, patiemment et sans relâche. Il ne saurait y avoir d’injonction efficace à la socialisation, à  l’intégration, à l’appropriation des valeurs et des codes. Il ne saurait y avoir d’injonction à la citoyenneté dans une approche simplement coercitive. C’est la connaissance, le partage et l’expérience des valeurs qui en sont le substrat et qui nous aident, à partir de notre diversité, à faire France. Plus que des incantations, il faut donc travailler à rendre concrètes ces valeurs, dans la réalité des conditions de vie de celles et ceux pour qui elle fait peu ou insuffisamment sens. Telles sont les convictions qui animent depuis quinze ans l’association « Éducation et Citoyenneté par le Dialogue ». Son expérience serait plus qu’utile et bénéfique dans un grand nombre de nos quartiers.

Qu’entend-t-on depuis la mobilisation nationale du 11 janvier ? « Je suis Charlie » serait devenu la ligne de partage entre les bons et les mauvais citoyens. « Je suis Charlie » serait au fond le révélateur d’une crise de la citoyenneté, le révélateur d’une fracture entre deux France: la « bonne ou la « vraie » France, et la « mauvaise » voire « l’anti France », celle des banlieues et des quartiers. « Je suis Charlie » serait le tamis permettant désormais de trier le bon grain de l’ivraie. Cette vision est terriblement réductrice.

Si nous vivons une « crise » de la citoyenneté, alors cette dernière ne touche pas que les quartiers populaires, les « banlieues » ou les espaces de relégation de la République ; c’est une crise qui touche l’ensemble de la société française. Elle s’articule sur des sentiments de désarroi, de peur ou d’incompréhension, sur des mécanismes de rejet des différences, sur les incivilités de la vie quotidienne, sur la crise de la représentativité politique et son corolaire qu’est l’inexorable progression de l’abstention lors des élections, ces dernières constituant pourtant – en théorie – l’expression de la citoyenneté par excellence.

Alors qu’est-ce vraiment la citoyenneté ? Au sens philosophique primordial, c’est l’appartenance à une nation, le fait de se reconnaître dans une communauté de valeurs et de destin. Au sens juridique et administratif, c’est ensuite un ensemble de droits et de devoirs attachés solidairement à cette appartenance.

Que cette citoyenneté soit en crise, certains le découvrent peut-être seulement aujourd’hui. Mais à l’association ECD (« Éducation et Citoyenneté  par le Dialogue »), nous en avons fait le diagnostic il y a plus de 15 ans. C’est en réponse à cette crise que l’association s’est donné pour but principal de favoriser la réussite scolaire et l’apprentissage de la citoyenneté à des jeunes collégiens vivant dans des quartiers défavorisés de la banlieue parisienne. Et ce, avec des résultats incontestables et surprenants. Née à Villeneuve-la-Garenne, la formule s’est ensuite exportée avec le même succès sur la ville de Sartrouville et bientôt sur Argenteuil.

ECD, c’est une  recette innovante et unique en France : l’éducation renforcée par l’apprentissage des valeurs pour une meilleure citoyenneté ! A problématique globale, réponse globale. ECD travaille autour des quatre piliers de l’éducation et de la socialisation des jeunes, en instaurant des ponts, des partenariats entre ces quatre espaces que sont la famille, l’école, le quartier (« la cité ») et l’environnement sociétal. Si l’outil premier, le cœur de l’action, est la promotion de la réussite scolaire, la finalité est bel et bien la formation des citoyens de demain. La démarche est globale, aussi bien pédagogique que culturelle et sociale.

L’aspect pédagogique s’appuie d’abord sur un accompagnement scolaire renforcé des collégiens les plus en difficultés et cela de la 6ème à la 3ème, piloté par des intervenants diplômés et une psychologue. Il se prolonge ensuite dans un accompagnement de la parentalité, afin d’impliquer véritablement les parents dans la scolarité de leurs enfants. Ce module est piloté par un groupe de parents, trois femmes et trois hommes. Mais la méthode se prolonge aussi dans le travail sur la politesse ou civilité, dans la connaissance de l’histoire de France, dans l’apprentissage de la Marseillaise, dans la participation à des commémorations nationales (le président de l’association des anciens combattants est membre de l’association) ainsi que le dialogue avec celles et ceux qui ont une autre culture et une autre religion. Les trois grandes communautés religieuses (catholique, musulmane et juive) sont représentées dans l’association et ce trio organise des repas, des sorties et des conférences-débats permettant aux enfants de découvrir tout au long de l’année la diversité de nos cultures et de comprendre qu’elles ne nous empêchent nullement de vivre ensemble et d’être tous des citoyens français.

L’association a une capacité d’accueil de 125 enfants, recrutés sur toute la ville. La sélection se fait sur candidature et sur dossier, mais surtout en direction des élèves à la fois les plus en difficulté et les plus motivés. Le volontariat nous semble indispensable. Et le succès nous dépasse. Nous refusons plus encore de dossiers que nous n’en acceptons (130 à 140 refus chaque année par manque de place), certaines familles s’inscrivent deux ans à l’avance. De fait, les délais d’attente sont de 2 à 3 ans aujourd’hui. Enfin, au final, nous estimons avoir tout simplement 100 % de réussite au brevet des collèges. En quinze ans, les échecs se comptent sur les doigts des deux mains.

Ce succès de l’association nous a prouvé que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, il n’y a pas de fatalité. Il faut du volontarisme, de la méthode, de la rigueur, du dialogue et surtout du respect. Il faut aller d’une dimension passive de la citoyenneté (qui vise à recueillir l’adhésion de principe et la déclaration de valeurs communes) à une dimension active qui s’appuie sur la participation, l’engagement au service de la collectivité pour faire vivre les valeurs de solidarité qui cimentent l’identité commune. Et si la réussite scolaire est le moyen d’action central de cette démarche globale, c’est parce que c’est à l’école que s’exprime désormais en premier lieu la fracture sociale française. C’est à l’école que se structure la ligne de démarcation entre la France de la réussite (scolaire, culturelle, sociale) et la France de l’échec (chômage, assignation identitaire, sociale, territoriale). La réussite scolaire est donc au cœur de la réconciliation de ces deux France.

L’expérience d’ECD repose ainsi sur un diagnostic précis des défaillances du système actuel et des limites des politiques publiques qui se sont succédé depuis 20 ans en direction des quartiers relégués. L’expérience d’ECD constitue une réponse efficace, qui permet de faire passer des enfants de l’échec à la réussite, d’accompagner les parents dans le suivi de la scolarité de leurs enfants, d’enrayer l’antisémitisme, le racisme et l’islamophobie et enfin  d’intérioriser les valeurs de la République afin de mieux les défendre et les transmettre à leur tour. À ECD, nous le clamons, haut et fort : nous avons la capacité et le savoir faire pour faire vivre ensemble une diversité d’individus au service d’une citoyenneté commune ! Parce que c’est avant tout une question de volonté et de méthode.

Abderrahim Aitomar, Fondateur du dispositif ECD (Education et Citoyenneté par le Dialogue ») à Villeneuve la Garenne.