La philosophe Chantal Delsol s’inspire des expériences étrangères pour réclamer davantage d’autonomie pour les établissements. Un article paru dans Le Figaro daté de samedi 14 et dimanche 15 avril 2012.
“Pour la première fois en France, on étudie avec sérieux et de façon approfondie un système différent de celui de l’Éducation nationale, qui pourrait répondre au naufrage, et s’imposerait comme viable et crédible. Par viable et crédible il faut entendre une autre possibilité de mettre en place un système d’instruction gratuite, laïque et obligatoire. Personne en France ne voudrait remplacer notre organisation actuelle, fût-elle moribonde, par une atmosphère de jungle où seuls les riches pourraient payer des études à leurs enfants. Il s’agit de sauver les avantages de notre organisation tout en luttant contre ses perversions. Notre problème (quand nous acceptons de le regarder droit dans les yeux) réside dans un naufrage scolaire massif de nos enfants (20 % d’illettrés en France, et 40 % d’enfants en grande difficulté en CM2), alors même que nous payons pour cela beaucoup plus cher que les pays voisins performants. Face à l’échec scolaire il faut personnaliser l’enseignement ; face aux déficits il faut responsabiliser les établissements. Cela s’appelle le chèque-scolaire : l’État finance l’enseignement pour tous les enfants de France ; mais au lieu de gérer directement l’enseignement, il délègue cette gestion aux écoles devenues autonomes ; l’État verse le financement de l’enseignement pour chaque enfant, soit aux familles qui le donneront à l’école de leur choix (d’où le nom de chèque-scolaire), soit directement aux établissements au prorata de leurs inscriptions ; le rôle de l’État consiste naturellement dans la surveillance et le contrôle de la gestion et de l’enseignement des établissements.
“Le principal avantage de ce système est dans le libre choix de la famille, et on est bien loin naturellement de la carte scolaire : la mixité sociale progresse en même temps que les choix individuels ; et surtout, chaque enfant peut trouver l’école qui convient à ses besoins éducatifs particuliers. Chaque école publique se donne un esprit propre, qui peut s’adapter aux besoins spécifiques de son environnement. Les établissements se trouvant naturellement en concurrence de par la suppression de la carte scolaire, visent la qualité car ils n’existent que par la demande des parents, et non plus par la volonté du Plan.
“A une époque d’individualisation, où chacun possède son mobile et son adresse-mail, l’école française demeure le seul lieu collectivisé, où les solutions publiques performantes n’existent pas pour répondre aux besoins éducatifs spécifiques : d’où un déficit exponentiel dans l’égalité des chances. Le système du chèque scolaire, qui répond à la variété croissante des familles et des situations, n’est pas une utopie d’intellectuels. Il existe dans nombre de pays du monde, sous plusieurs formes différentes (chèque éducation, crédits d’impôts, charter schools). C’est le mérite de la Fondation pour l’Ecole de proposer une lourde étude de bilan des expériences étrangères. On s’aperçoit que ces écoles sont les plus demandées par les familles – 400 000 enfants sur liste d’attente des charters schools aux États-Unis. De surcroît, elles coûtent moins cher. Tout cela n’est pas une surprise : en France les établissements privés sous contrat, dotés d’une autonomie de gestion et se donnant un esprit propre, coûtent moins cher à l’État que les établissements publics, et réussissent mieux puisque dans les cent meilleurs lycées français 62 sont privés (alors que le privé n’a droit, rappelons-le, qu’à 20 % des inscriptions scolaires). D’ailleurs depuis un demi-siècle nos gouvernants sans exception louent le public et inscrivent en cachette leurs enfants dans le privé. Quand va-t-on tordre le cou à ces hypocrisies, qui permettent aux élites de brandir une idéologie égalitaire juste bonne pour les autres ?
“On se demande évidemment ce qui empêche de remplacer notre système moribond et producteur d’ignorance par une figure sui generis du chèque scolaire, qui fonctionne bien partout où il existe. La réponse est unique : il faudrait revoir le statut des enseignants. Car si les familles choisissent leur établissement, et si les établissements se gèrent de façon autonome, les enseignants seront soumis à une évaluation de… leurs résultats professionnels : chose évidente partout, mais impensable ici, en raison de la portée considérable des corporatismes.
“La Fondation pour l’école, en attendant des solutions globales, finance plus de 500 établissements indépendants qui continuent de se créer au rythme d’une vingtaine par an. [Note du Blog de la liberté scolaire : sur les 522 établissements indépendants existants, la Fondation pour l’école sélectionne chaque année une quarantaine d’établissements qu’elle aide financièrement.] Ses responsables sont paisibles et confiants : ils savent que tôt ou tard, c’est leur réponse qui sera mise en avant, d’une manière ou d’une autre. Ils ont cependant raison de signaler que si nous laissons le « mammouth » s’effondrer de sa belle mort, il sera remplacé anarchiquement par des écoles entièrement privées qui accroîtront l’inégalité sociale. Tandis que si nous remplaçons peu à peu nos établissements défaillants par d’autres mieux armés devant les nécessités, nous aurons à la fois une école gratuite et une école qui honore ses promesses. Mais comme on sait, avoir raison trop tôt, c’est encore avoir tort.”