FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de l’association «Liberté éducation», le choix des parents concernant l’éducation de leurs enfants doit rester le principe et non l’exception. Par Jean-Baptiste Maillard
Jean-Baptiste Maillard est Secrétaire général de Liberté éducation, une association de défense de parents pratiquant l’école à la maison, auditionnée par la Commission spéciale le 8 janvier dernier, et dont les trois garçons sont instruits en famille depuis plus de 10 ans.
Aujourd’hui, 63.000 enfants sont instruits en famille (dont 30.000 reconnus handicapés), pour des raisons très variées: meilleur respect du rythme biologique de l’enfant, éloignement géographique, choix d’une pédagogie alternative, sourdouance, difficultés scolaires ou harcèlement, dyslexie, dysgraphie, dyscalculie, profils atypiques, etc., autant de diversités qui font la richesse de notre pays. Mais voici que l’article 21 du projet de loi visant à «conforter les principes républicains» remplace le régime déclaratif de l’instruction en famille par un régime d’autorisation liberticide, avec des dérogations qui seront données au compte-gouttes, d’après la lacunaire étude d’impact du gouvernement.
Ainsi 29.000 enfants seront renvoyés de gré ou de force sur les bancs de l’école, contre la volonté de leurs parents. Si cette loi était votée en l’état, la France deviendrait l’un des rares pays du monde à rendre l’école obligatoire dès 3 ans. Demain, tout nouveau gouvernement pourrait décider de raccourcir ce délai sans que les parents puissent faire un autre choix! En réalité, cette disposition a tous les attributs d’un cavalier législatif, sautant les haies du processus parlementaire pour satisfaire l’une des dernières volontés du Président, suite à son annonce, le 2 octobre dernier aux Mureaux, de vouloir interdire l’école à la maison.
Lancée précipitamment, la commission spéciale de ce projet de loi a auditionné notre association Liberté éducation, au sein de l’interassociation IEF (Instruction en famille). Mais ce fut à huis clos, sans retransmission vidéo, les premiers protagonistes de cet article 21 étant sans doute de trop dangereux séparatistes.
Le président de notre association, avocat, a pu aussi démontrer qu’instruire ses enfants en famille est une liberté fondamentale, et qu’un certain nombre d’obstacles, tant constitutionnels que conventionnels, se dresseront sur le chemin semé d’embûches d’un gouvernement un peu trop pressé de légiférer.
Il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents de choisir des modalités pratiques de l’instruction de leur enfant .
Claire Hédon, défenseur des droits
Faute d’avoir été entendus au-delà de ce petit cénacle, nous avons donc répété nos arguments à l’occasion d’une table ronde, sur YouTube, la semaine dernière, en présence de trois députés et du musicien André Stern, qui n’a jamais été scolarisé, preuve s’il en manquait qu’on peut aussi réussir sans aller à l’école.
Pendant ces auditions, la Défenseur des droits, Claire Hédon, a pris position de façon très ferme contre le projet de loi, pointant les «risques d’atteintes aux libertés»: «comme l’a souligné le Conseil d’Etat dans son avis, ce texte concerne pratiquement tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garanties, les plus éminents d’entre eux». Et parmi ces libertés énumérées une à une, celle d’enseignement, rappelant qu’il n’y avait «pas lieu de soumettre l’instruction en famille à autorisation, la loi étant déjà stricte: contrôles, risque d’amende très élevée en cas de non-respect, injonction de scolarisation si défaut d’instruction».
Pour elle, «il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents de choisir des modalités pratiques de l’instruction de leur enfant». De son côté, la responsable du renseignement territorial a coupé court aux soupçons de radicalisation chez les familles IEF: «il est extrêmement compliqué de faire un lien direct entre l’augmentation du repli communautaire et l’augmentation de l’instruction à domicile».
On peut toutefois regretter, à ce sujet, qu’aucun inspecteur familiarisé avec les familles en IEF n’ait été auditionné, à notre connaissance, sachant que plus de 97% de leurs rapports annuels sont positifs, et que le Syndicat national des inspecteurs d’académie s’est dit fortement opposé à ce volet du projet de loi, appelant dans une lettre à ne céder ni à «l’angélisme» ni à «la tentation de la simplification et de l’amalgame».
Force est de constater que depuis l’annonce du projet de loi, les familles et enfants en IEF subissent l’incroyable vindicte de l’exécutif, comme du ministre de l’Intérieur parlant à leur endroit de «petits fantômes de la République» ou du ministre de l’Education nationale, carrément de «sauvages».
Dans une réponse à des parents le 22 janvier dernier, son chef de cabinet verse au procès d’intention: «(votre) choix délibéré traduit une volonté de se mettre en marge de la société». Quelle violence dans cette accusation sans fondement! L’article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen rappelle pourtant que «tout homme [est] présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable»: il n’est donc pas permis de présumer la malveillance des parents, ni de leur demander de démontrer a priori leur bonne foi et leur honnêteté. Nous voici présentés à nos inquisiteurs, sommés de répondre à l’injonction «êtes-vous des ennemis du peuple ?».
Soumettre l’exercice d’une liberté fondamentale à une autorisation administrative préalable serait par nature une régression considérable.
La majorité est cependant revenue sur l’interdiction pure et simple de l’école à la maison telle qu’annoncée dans un premier temps par le Président de la République, la remplaçant par une quasi-interdiction plus subtile, à savoir une «dérogation» très encadrée, selon des motifs flous et donc suspects.
La dernière version du texte demeure «une atteinte à la liberté d’enseignement», comme le souligne un nouvel amendement cosigné par une quarantaine de députés de l’opposition, qui demandent: «(cette mesure) est-elle proportionnée, alors que l’on peine à voir en quoi le contrôle de la scolarisation serait différent du contrôle de l’instruction qui existe aujourd’hui? Nous pouvons en douter. Les familles qui cherchaient déjà à se soustraire à l’obligation d’instruction chercheront de même demain à se soustraire à l’obligation scolaire.»
Une liberté fondamentale en péril
Cet article 21 fait l’objet de 489 amendements de tout bord, un record sur l’ensemble du texte. Il soulève de nombreuses questions: une liberté fondamentale soumise à dérogation est-elle concevable, en démocratie? Les parents sont-ils encore les premiers éducateurs de leurs enfants, ou ces derniers appartiennent-ils désormais à l’Etat? Lorsque des parents confient leur enfant à l’école de la République, est-ce encore par délégation? Jusqu’ici, en France, tout ce qui n’était pas interdit était autorisé.
Désormais, avec ce gouvernement, on en vient à interdire tout ce qui n’est pas autorisé. Pourtant, la liberté, dans notre République, doit rester le principe, et l’interdiction, l’exception. Soumettre l’exercice d’une liberté fondamentale à une autorisation administrative préalable serait par nature une régression considérable, à laquelle les juges du Conseil Constitutionnel seront attentifs. A titre de comparaison, la consécration de la liberté de la presse a impliqué, en 1881, le passage d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. Pour l’instruction en famille, nous ferions aujourd’hui le chemin inverse?
Le droit à l’instruction en famille est un principe républicain, une liberté fondamentale garantie par notre Constitution, sur laquelle il sera difficile de s’asseoir.
N’en déplaise à certains, le droit à l’instruction en famille est un principe républicain, une liberté fondamentale garantie par notre Constitution, sur laquelle il sera donc difficile de s’asseoir.
Le danger reste grand d’une dérive liberticide, comme l’a écrit dans ces colonnes la philosophe Chantal Delsol, pointant ni plus ni moins le danger d’un nouveau despotisme: «la première chose que font les totalitarismes, c’est d’enlever les enfants aux parents pour les faire éduquer par l’État». Elle s’inquiète donc à juste titre de la montée d’un «républicanisme sectaire tournant le dos à l’esprit libéral qui caractérisait les lois scolaires depuis Jules Ferry». Lequel avait justement, en 1882, sanctuarisé la possibilité pour les parents de faire l’école à la maison, rendant non pas l’école obligatoire, mais l’instruction.Il avait d’ailleurs alors eu ce mot: «qu’on ne tracasse pas les parents qui font consciencieusement l’instruction en famille!». Il ajoutait même ce conseil de ne pas apporter «des règlements d’oppression et de tyrannie» à ces familles.
L’histoire nous rappelle aussi que son fidèle disciple Ferdinand Buisson, spécialiste de la pédagogie et qui contribua à façonner l’école républicaine en réformateur constant de l’institution scolaire dans l’ombre de Jean Jaurès et de son mentor, d’ailleurs cité par Emmanuel Macron lors de son hommage à Samuel Paty, défendait lui aussi l’instruction en famille: «La nation ne pénètre pas au foyer (…) car dans l’éducation d’un enfant, il y a deux responsables: la famille d’abord, ensuite l’État.»
Il nous rappelle encore les mots de ce grand chef d’Etat que fut Clemenceau aux laïcs autoritaires: «Vous rêvez de l’Etat idéal et, au nom de ce rêve, vous bâtissez l’omnipotence de l’Etat laïque, qui est une tyrannie. Je ne suis pas de ce pontificat! Nous sommes tous faillibles. (…) S’il pouvait y avoir un conflit entre la République et la liberté, c’est la République qui aurait tort».
Encore faut-il avoir l’humilité de le reconnaître. Comme le disait ces jours-ci Jean Castex à propos de la crise sanitaire: «les dérives de quelques-uns ne doivent pas porter préjudice aux efforts du plus grand nombre». Qu’il en soit aussi ainsi pour la liberté fondamentale de pratiquer l’école à la maison: France, pays des libertés, le monde entier nous regarde!