La dévalorisation du métier de professeur est croissante et l’Education nationale n’a pas les moyens de pourvoir aux postes d’enseignants vacants. Non pas à cause d’un manque d’argent (cela fait longtemps que le gouvernement a renoncé à inclure le budget de l’Education nationale dans le périmètre d’application du plan d’austérité budgétaire) mais d’un manque de candidatures. Ce fléau entraîne une baisse progressive du niveau attendu des candidats au concours du Capes ainsi qu’une baisse d’exigence du recrutement. Le Figaro analyse ce cercle vicieux afin d’en comprendre les fondements.
Au Capes, le concours qui permet d’être professeur dans le secondaire, 12% des postes n’ont pas été pourvus. Les syndicats pointent le manque d’attractivité du métier.
Les 60.000 postes annoncés en début de quinquennat Hollande, et effectivement créés,devaient produire un appel d’air et susciter les vocations. Mais cinq ans plus tard, les concours de recrutement d’enseignants ne font toujours pas le plein, comme chaque année. Preuve que « le plus beau métier du monde » souffre d’une attractivité perdue. « Les résultats des concours 2017 témoignent de la crise tendancielle de recrutement apparue ces dernières années et qui concerne plus spécifiquement certaines disciplines » , a indiqué le ministère de l’Éducation nationale, en début de semaine.
Que nous disent ces chiffres ? Au Capes, concours national qui donne accès à l’enseignement secondaire, 12 % des postes n’ont pas été pourvus. Les disciplines concernées? Toujours les mêmes. Avec 85 postes restés vacants pour 230 ouverts, les lettres classiques affichent un déficit un peu moins important que l’année précédente. En revanche, pour l’allemand (220 postes non pourvus), l’anglais (343) et surtout les mathématiques (374), le recul se creuse par rapport à 2016. À chaque discipline ses raisons. Un étudiant en master de mathématiques – le niveau requis depuis 2008 pour passer le concours d’enseignant – peut prétendre à une carrière autrement plus rémunératrice que celle de professeur, où l’on débute à 1 400 euros net pour terminer au maximum à 3000. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, pour l’anglais. Du côté de l’allemand, les étudiants hésitent à s’engager dans le métier, sachant que, d’année en année, le nombre d’élèves germanistes diminue. Enfin, les lettres souffrent, elles, d’un vivier insuffisant, la filière littéraire étant peu valorisée au lycée et à l’université.
« Les nouveaux professeurs, comme le reste de la société, ont besoin de
perspectives professionnelles, dans leur propre métier et au-delà ».
(Stéphane Crochet, secrétaire général de l’Unsa Éducation)
Mais au-delà de ces explications spécifiques, les syndicats d’enseignants pointent le manque de considérations financière et sociale vis-à-vis du métier. « Le gouvernement précédent n’a pas permis aux candidats de préparer les concours dans de bonnes conditions », estime le Snes, qui a réitéré début juillet sa demande de « mesure de prérecrutement et d’aides financières » pour attirer les étudiants. Pour l’Unsa, c’est l’absence de réelle politique de gestion des ressources humaines qui pêche. « Les nouveaux professeurs, comme le reste de la société, ont besoin de perspectives professionnelles, dans leur propre métier et au-delà », résume Stéphane Crochet, secrétaire général.
« Nombre de nos collègues ne se sentent plus soutenus dans leur métier par l’opinion ainsi que par leur hiérarchie. L’autorité de l’enseignant doit être restaurée » , explique de son côté Albert-Jean Mougin, du Snalc, qui attend désormais des signaux forts de la part du nouveau ministre, Jean-Michel Blanquer. « On ne peut se contenter de recrutement de hasard » , ajoute-t-il, évoquant un « risque de glissement vers l’embauche massive de contractuels » . Des profils à qui l’on demande généralement un niveau licence, qui sont recrutés localement et sont parfois mieux payés que les professeurs stagiaires et titulaires. Entre 1400 et 2000 euros par exemple dans la grande et difficile académie de Créteil, qui chaque année peine à faire le plein. Là-bas, de Saint-Denis à Saint-Maur-des-Fossés en passant par Meaux, la proportion de contractuels atteint 12%. « Une remise en cause inacceptable du service public d’éducation et des statuts des fonctionnaires » , dénonce le Snes. Une « pépinière stable » indispensable au vu de la situation, pour la rectrice. Dans le premier degré, l’académie n’a réussi à pourvoir que les trois quarts des postes ouverts. Une situation inquiétante car le concours de professeurs des écoles reste attractif ailleurs. Avec Créteil, seules les académies de Versailles et de Guyane ne sont pas parvenues à faire le plein.
De même, Anne-Sophie Dupré la Tour a récemment témoigné auprès du Figaro au sujet de son expérience d’enseignante et de ses déceptions à propos du manque de formations des professeurs :
Elle raconte sa lente désillusion du métier. “Il suffit de postuler sur le site de l’Académie voulue dans le public, ou via la Direction Diocésaine dans le privé et un entretien est fixé avec l’inspecteur en charge des «contractuels» si l’on postule pour le public, ou via la responsable des Suppléants pour le privé.” Accessible après un bac+4 pour le primaire et un bac+3 pour le privé et pour enseigner en collège et lycée (nécessitant le Capes), elle dénonce la facilité d’accès du métier. Pour postuler à une place de “remplaçant” inutile d’avoir déjà enseigné, d’avoir déjà été confrontée à une classe ou d’avoir été formée à l’art oratoire. Elle prend note d’une mise en garde amie «l’Etat est le plus mauvais payeur et il me faudra attendre deux mois avant le versement de mon premier salaire».
Un remplacement se déroulant bien, elle gagne à la rentrée le poste de “titulaire à plein temps”. Elle reçoit le SMIC, sans aucune formation, et est payée de manière très irrégulière. Elle se rend bientôt compte de la difficulté de la tâche confiée. Elle enseigne dans une classe considérée comme difficile (comportant quelques élèves à sérieux problèmes psychologiques et orthophoniques), elle doit jouer les psychologues, les assistantes sociales ou même les infirmières et développe alors une forte fatigue nerveuse. Elle démissionne et se rend compte qu’elle ne cotisait pas donc qu’elle ne peut pas toucher le chômage.
En prenant du recul sur la situation, elle tire aujourd’hui des conclusions sur la crise de vocations du métier d’enseignant. Selon un rapport du Sénat datant de janvier, le nombre de démissions a doublé en quatre ans. “Au dernier concours 2016, le SNES-FSU, syndicat majoritaire chez les enseignants du secondaire, tire la sonnette d’alarme: 14% des postes n’ont pas été pourvus” (soit 665). Cela oblige l’Education nationale à augmenter le nombre de contractuels (qui ne seront pas formés et qui auront une mauvaise connaissance du métier de professeur).
Anne-Sophie Dupré La Tour salue la réforme limitant le nombre d’élèves à douze au CP en zone prioritaire. Cela devrait permettre une attention toute particulière accordée à chaque élève, un suivi de son projet, des efforts vécus et des objectifs à atteindre. Elle propose même pour les classes les plus difficiles, une plasticité de l’emploi du temps avec un partage d’heures de classes par différents enseignants. Cela doit renforcer la collaboration pédagogique au sein de l’administration des établissements. Le salaire des enseignants doit suivre le surplus d’heures adonné aux heures d’aide aux devoirs proposées aux enseignants pour soutenir leurs élèves après la classe. Celle-ci préconise aussi de favoriser des formations des futurs enseignants en alternance avec des stages tout en conférant aux inspections un rôle de conseil bienveillant et non de “jugement sans appel”.
Voilà de quoi repenser l’éducation et redonner ses chances à l’Education Nationale.
Le lien du premier article en ligne : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/07/19/01016-20170719ARTFIG00276-le-recrutement-des-enseignants-toujours-en-crise.php
Par Caroline Beyer pour Le Figaro
Le lien de l’article complet en ligne : http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/07/12/31003-20170712ARTFIG00109-ecole-la-colere-d-une-prof-face-a-une-crise-qui-n-en-finit-pas.php
Par Anne-Sophie Dupré La Tour pour Le Figaro Vox