EXCLUSIF MAG – Reportage – Derrière son acronyme calqué sur les défunts IUFM, l’Institut libre de formation des maîtres (ILFM) montre qu’une formation ambitieuse, efficace et novatrice est possible. Portée par la Fondation pour l’école, indépendante du ministère de l’Éducation Nationale, elle rencontre un succès croissant.
« Frappez, et on vous ouvrira », avertit un mot collé à la grille de l’établissement scolaire Saint-Jean-de-Passy dans le 16è arrondissement de Paris. Derrière, se déroule un week-end de formation des instituteurs, éducateurs, directeurs d’écoles indépendantes, venus de toute la France. Des femmes surtout, de tous âges et de tous styles. Quelques hommes aussi. « C’est tout nouveau. Avant, il n’y en avait pas », sourit Florence Le Roux, directrice des études.
Entre deux cours, un jeune homme arrive en courant, cravate jaune et bleue sur laquelle est brodé « Académie musicale de Liesse ». Dans l’amphi du lycée, il entame une conférence sur « l’éducation par le chant » à des étudiantes en première année de formation d’institutrice. « J’ai la chance de diriger l’Académie musicale de Liesse qui reçoit des élèves du CP à la terminale. Mais si vous n’êtes pas musicien, vous pouvez choisir un autre art » , explique Vianney Chatillon, en évoquant l’importance de cette dimension quand on éduque des personnes et pas seulement des cerveaux. Il parle avec passion, se réfère volontiers à Aristote, à saint Thomas d’Aquin et aux textes du Conseil pontifical pour la culture. Et d’énumérer avec les étudiantes les arts pour lesquels ils pourraient envisager de créer des ateliers : théâtre, musique, arts de la table. Et même œnologie, pourquoi pas ? « En France, nous avons une culture relativement intellectuelle, par rapport aux pays anglo-saxons. Je suis frappé par la froideur de notre système éducatif qui oublie un aspect essentiel de la personne, sa sensibilité, sa dimension corporelle. »
Pendant ce temps, au troisième étage, un joyeux groupe d’une dizaine d’étudiants participe au cours d’une femme pétillante. Tous suivent une formation d’un an à la méthode Nuyts, inventée pour les enfants qui rencontrent des troubles de l’apprentissage. Placés en U, ils font tourner des petits cubes jaunes. « Ils vont nous permettre de calculer l’aire », explique la formatrice, qui est la propre fille d’Élisabeth Nuyts, créatrice de la méthode. « Pour que l’enfant comprenne la règle d’algèbre, ici le calcul d’une surface, je lui fais manipuler des cubes, des apéricubes par exemple, et le fais arriver à la formule algébrique à partir de l’observation et du toucher. »
Il s’agit de « donner du sens », de développer l’autonomie du raisonnement. « C’est une méthode proche de la pensée montessorienne » , ajoute la formatrice. Avec la notion de plaisir en plus. « Moi, les fractions, je les enseigne avec des barres de chocolat . La motivation, c’est très important. À la place d’un souvenir stressant, je mets une expérience plaisante, avec une récompense qui arrive tout de suite. Devant un enfant qui hésite à donner une réponse à une question, je lui dis vite: oui, c’est cela ! Et là, il donne la réponse, et elle est bonne. Projeter l’enfant dans un succès, c’est l’aider à réussir. »
Un dialogue franc et spontané
À l’étage supérieur, ce sont une vingtaine d’étudiants en deuxième année qui participent à un cours avec Fawzia Barrage, directrice de la formation des maîtres. Le dialogue s’organise de façon franche et spontanée. Certains remettent en question la sévérité ou le manque de cohérence des notations. D’autres soulignent l’inadéquation à leur classe réelle des fiches qu’on leur demande de remplir, « Nous retravaillerons ces fiches à partir du regard de terrain qui est le vôtre, répond Fawzia Barrage. Chaque fois que nous recevons vos critiques, nous mettons quelque chose en place pour nous améliorer. »
Première reconnaissance de l’État
Sous le préau, est servi un apéritif. Fawzia Barrage prend la parole : « J’ai la grande joie de vous annoncer que nous venons d’être enregistrés au niveau 1 du répertoire national de certification professionnelle. C’est la première fois que l’Éducation nationale reconnaît une formation autre que la sienne. » Une excellente nouvelle pour les étudiants: au terme de leur formation, ils auront en poche l’équivalent d’un master 2. « Il a fallu batailler dur », confie-t-elle.
Parmi les étudiants, certains sont en formation initiale ; d’autres suivent une formation continue, dont des anciens de l’IUFM, comme Marina, à qui l’ébullition intellectuelle de l’ILFM a manqué, et qui revient avec enthousiasme parfaire sa formation.
D’autres encore sont en reconversion professionnelle. Nancy a une quarantaine d’années et trois enfants. Elle est assistante de vie scolaire à Nantes. Elle suit la formation de première année d’institutrice, vient à Paris environ un week-end par mois, et complète grâce à un programme d’étude et des vidéos. Emportée par son enthousiasme, elle énumère les cours qui l’ont passionnée. « Les enseignements sont de très grande qualité: histoire de la pensée éducative, depuis l’Antiquité en passant par les premières écoles de filles ; les mathématiques, avec une enseignante incroyable, férue de la méthode Singapour, très concrète ; la géographie et la façon de la rendre attrayante avec la méthode Montessori ; la grammaire, avec la méthode structurante Nuyts, qui part du verbe être, étudie ensuite le je, puis le tu, suivis des verbes d’action… » Nancy est intarissable. Son rêve? « Pourquoi ne pas monter une école qui utilise tout ça ? »
Anne, 47 ans, est également en reconversion. Cette ancienne enseignante de lettres au collège, lassée de batailler sans soutien dans le public avec des enfants à qui manquent toutes les bases en grammaire, a décidé de devenir institutrice dans l’établissement Espérance Banlieues de Saint-Étienne. Ici, elle vient chercher une bonne remise à niveau en maths et en histoire. Malgré la charge impressionnante de travail – mère de cinq enfants, institutrice à plein temps et étudiante –, elle est très heureuse de son choix. « La directrice est d’une très grande bienveillance, très à l’écoute. Parfois, quand je croule sous le travail et que je n’en peux plus, je l’appelle. Elle comprend et aménage le travail en fonction. Ici, les élèves sont des personnes. C’est très important. » Et d’ajouter : « J’ai beaucoup appris dans l’Éducation nationale. Mais, ici, je trouve ce qui disparaît là-bas, une vraie liberté pédagogique. »
Mêmes échos auprès des étudiants en formation initiale. Souvent, ils valident à la fois le master de MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) et le diplôme de l’ILFM. Anne, 21 ans, est en deuxième année de formation académique. Elle tient une classe de CE1-CE2 à mi-temps dans un établissement privé sous contrat près d’Agen et suit un master MEEF pour valider son concours. « J’ai voulu mener les deux formations de front, car je trouve ici ce que je ne trouve pas dans le master, où on parle surtout de la posture de l’enseignant. Ici, on revient sur les matières. »
Lucie, enseignante stagiaire dans une autre académie de province, s’est inscrite cette année à la formation en un an à la méthode Nuyts, pour compléter sa formation en MEEF : « À l’ILFM, j’aime la liberté, la prise de recul, le choix qui nous est laissé d’utiliser les méthodes qui marchent. » Dans le public, mais aussi dans le privé sous contrat, elle estime que cette liberté est plus théorique. « Ici, on teste sans cesse de nouvelles choses. » Et une autre d’ajouter: «L’année où je passais les deux certifications, l’ILFM était ma respiration du mois. Enfin, j’allais pouvoir réfléchir… »
Par Pauline Quillon