Quel est le principe de ce système scolaire par concession ?
Les collectivités locales construisent des écoles et leur octroient un budget ; ces écoles sont ensuite déléguées à des particuliers reconnus pour leur expérience éducative et pour la qualité de leur gestion et de leur administration dans le secteur scolaire. Le modèle de concession vise à renforcer la qualité de l’enseignement public en en confiant la gérance au secteur privé.
La loi 1176 du 27 décembre 2007 prévoit à l’article 30 que les services éducatifs sont du ressort des départements, districts et municipalités certifiés. En cas d’échec démontré des prestations de son établissement, le directeur doit recourir à des services éducatifs émanant d’organismes publics ou privés à but non lucratif pour relever le niveau de son école, sans faire payer les familles. D’où le recours au système de concession.
L’expérience a commencé avec 23 collèges, construits et dotés par l’administration publique de Bogotá. Ils ont été concédés à des entités privées, sur appel d’offre public, entre 1999 et 2002.
A qui bénéficient ces écoles ?
Le ministère de l’Éducation colombien a développé ce projet dans les zones où l’addition de l’offre scolaire publique et privée ne permettait pas de couvrir la totalité des besoins de scolarisation de la population. En pratique, il s’agit uniquement de zones défavorisées, dans des périphéries urbaines et des territoires ruraux où vivent des personnes en grande difficulté économique, et qui connaissent des problèmes de violence. Un accord a ainsi été conclu en 2007 avec le fonds financier de développement Fonade (Fonds National d’enseignement) pour la gestion intégrale de projets d’investissement dans les villages les plus défavorisés du pays.
Ces financements sont accompagnées de subventions pour le transport, la cantine scolaire et les services de santé. A Bogota, grace à ce système de concession, le taux de scolarisation des enfants de 7 à 15 ans est passé de 70 % en 1995 à 100 % aujourd’hui.
Comment définiriez-vous ce modèle, et comment sélectionne-t-on les concessionnaires ?
Le modèle consiste à confier la gestion d’établissements scolaires à des prestataires privés, pour assurer une offre scolaire de grande qualité dans le cadre d’une dépense publique maîtrisée. Les candidats à la concession peuvent répondre à l’appel d’offres individuellement ou conjointement avec d’autres ; ils doivent apporter la preuve de leur expérience dans l’enseignement, pour pouvoir répondre aux appels d’offres publics concernant la gestion, l’administration, l’organisation et le fonctionnement de ces nouveaux établissements d’enseignement.
Les entreprises à but lucratif ne peuvent pas candidater. Les concessionnaires, qui prennent l’école seuls ou groupés, sont donc des entités à but non lucratif; ils doivent de plus se soumettre à une évaluation annuelle par une entité indépendante.
Comme les charters schools américaines, ces établissements ne peuvent pas sélectionner leurs étudiants, sont financés par des fonds publics et opèrent en dehors des accords collectifs d’enseignants ; enfin, les contrats sont soumis à l’impôt.
Les programmes des écoles colombiennes sous contrat de concession doivent être les mêmes que ceux des autres établissements d’enseignement de la ville, qu’ils soient publics ou privés. La journée scolaire est plus longue dans les écoles sous concession que dans les autres écoles, pour avoir le temps de renforcer les enseignements fondamentaux et permettre aux élèves de faire leur devoir dans le cadre d’études surveillées.
Comment fonctionne ce modèle ?
Dans ce modèle d’école par concession, des opérateurs privés fournissent des services éducatifs pour une durée de douze ans. Ils sont payés par les fonds des collectivités locales dans le cadre du Système général de Participation. Cette expérience n’augmente pas les coûts de scolarisation des élèves pour la collectivité.
Chaque école a renforcé sa capacité d’accueil d’environ 940 enfants. Ce changement dans la gestion, l’organisation et la prestation des services éducatifs a engendré un coût annuel de 938 pesos (400 euros environ) par enfant scolarisé. Le nombre d’enfants bénéficiaires est réévalué chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation (Indice-CPI).
De son côté, l’intendant doit gérer et fournir des services d’enseignement en conformité avec les directives de l’enseignement public et avec celles du projet éducatif institutionnel – PEI – de chaque établissement. Il doit également fournir du matériel didactique et un goûter quotidien, préserver et maintenir les installations en bon état.
Ces écoles sont entièrement gratuites pour les familles, comme dans une école publique normale.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Les démarches administratives commencées en décembre 2000 ont permis de concéder cinq collèges situés dans les régions les plus pauvres de Bogota, ce qui a donné des résultats positifs sept ans plus tard. Par exemple, dans les examens nationaux de l’enseignement secondaire SABER 11 (ICFES), les résultats, autrefois très faibles, sont maintenant au-dessus de la moyenne nationale et continuent à progresser.
Le plus grand concessionnaire, l’association d’éducation ALLIANCE, regroupe 6 000 élèves issus de milieux très défavorisés ; il s’est engagé à fournir un enseignement secondaire de qualité, former des enseignants qualifiés, développer un modèle interinstitutionnel, être un centre d’influence pour la communauté et faire progresser la recherche en éducation.
Les écoles gérées par des particuliers accueillent 6 160 enfants et jeunes qui bénéficient du programme d’éducation préscolaire, primaire et secondaire ; ces écoles utilisent les modèles de l’enseignement privé mais aussi divers services éducatifs visant à générer un impact sur la qualité de la vie de la communauté.
A-t-on pu évaluer les résultats obtenus par les élèves de ces écoles ?
Les premiers contrats de concession établis depuis 1996 ont pris fin en 2008, ce qui a permis de dresser un premier bilan de ces programmes, en publiant les résultats des élèves aux tests nationaux et internationaux.
Ce modèle a donné de bons résultats : on enregistre notamment de faibles niveaux d’abandon de scolarité et de redoublement. À cet égard, la carte du rapport sur l’éducation en Colombie Corpoeducación 2006 nous apprend qu’« entre 2000 et 2003, le décrochage a diminué, à l’école primaire, de 8 % à 6 %, et dans le secondaire, de 6 % à 5 % ». Le rapport indique également que « ces résultats peuvent être liés à des programmes promus par le gouvernement national et des gouvernements locaux qui encouragent la fréquentation et l’assiduité scolaires ».
Les évaluations nationales recouvrent toute la gamme des tests SABER, effectués en CM2, en 3e, en terminale et en fin de premier cycle universitaire. Tous les résultats sont accompagnés de données socio-économiques sur l’individu, sa famille et l’école.
Les évaluations internationales sont les tests TIMSS (mathématiques et sciences, pour les CM2 et les 4e) ; les tests PISA ; les tests PIRLS (sur la lecture, pour les CM1) ; les tests CIVED et CIEC, qui mesurent les connaissances et les attitudes civiques des élèves de 14 ans.
L’expérience a donc été évaluée et jugée concluante.
L’enseignement par concession a donc de beaux jours devant lui ?
Le programme continue à se développer avec succès. Cela permet désormais aux opérateurs de chercher des ressources auprès d’organismes de coopération, au niveau national ou international, qui aident à la mise en œuvre de programmes visant à améliorer les institutions. En outre, ce modèle contribue au développement des communautés en offrant des programmes complémentaires aux parents et à la communauté au sens large.
Un des mérites de ce régime par concession est de parvenir à améliorer l’éducation du public en offrant une éducation de qualité aux élèves issus de milieux défavorisés, sans engorger pour autant les installations publiques actuelles ni embaucher plus de personnel dans le secteur public.
La limitation des dépenses publiques ainsi obtenue dans le domaine éducatif est d’autant plus appréciée que la Colombie est un pays en voie de développement, dans lequel l’éducation est un droit gratuit et obligatoire que l’Etat peine à garantir de manière générale.