Depuis plus de 20 ans, vous contribuez au développement des écoles catholiques indépendantes en France. D’abord en ayant fondé vous-même une école en 1989, et maintenant en supervisant plusieurs de ces écoles. Quel est selon vous l’intérêt de tels établissements ?
Ces écoles peuvent mettre en place des méthodes qui ont fait leurs preuves : la lecture syllabique par exemple. De nombreux chercheurs ont montré qu’elles correspondaient au fonctionnement du cerveau de l’enfant. L’enseignement hors contrat propose aussi une analyse grammaticale structurée et donc structurante, ou un apprentissage classique du calcul.
En plus de cela, les classes ont souvent de petits effectifs. Pour suivre chaque élève, il ne faut pas plus de douze élèves en CP et de vingt en CM. Comment peut faire un instituteur qui a trente enfants, ne serait-ce que pour la correction des cahiers ?
À quoi doivent, selon vous, ressembler idéalement les écoles indépendantes ?
Elles doivent à tout prix éviter la tentation de l’élitisme. À mes yeux, leur vocation est d’accueillir aussi bien des élèves en difficulté que des élèves brillants.
Dans les sessions de formation pédagogique que j’anime à destination du personnel enseignant de ces écoles, je redis la phrase de Montaigne : « Un élève n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume. » Si on bourre le cerveau, on peut aller jusqu’à éteindre le feu. Il n’y a aucune raison de faire le programme de sixième en CM2.
La tentation de l’élitisme, on la retrouve aussi dans la tentation du conceptuel. Je me souviens avoir rencontré des élèves sortant d’un cours sur le parallélogramme. Sur leur cahier, aucun schéma. La maîtresse n’en avait même pas dessiné un au tableau. L’enfant a besoin de concret. Thomas d’Aquin (1225-1274) disait à la suite d’Aristote (384-322) : rien n’est dans l’intelligence qui n’ait d’abord été dans le sens. Le carburant de l’intelligence, c’est ce que le toucher, l’odorat, la vue, l’ouïe et le goût apportent. Il faut donc faire expérimenter concrètement les savoirs aux enfants comme on le voit par exemple dans la méthode de la pédagogue Maria Montessori (1870-1952). En formation des maîtres, je dis souvent qu’il faut dramatiser l’enseignement. « Dramatiser » au sens théâtral du terme, rendre vivant, captivant, raconter, donner à voir.
Certains parents semblent choisir ces écoles pour la discipline qui y règne. Qu’en pensez-vous ?
Dans l’enseignement, il faut conjuguer rigueur et souplesse. De la rigueur car cela donne des repères. L’enfant a besoin d’un cadre structuré, serein et rassurant pour apprendre. On a sans doute beaucoup oublié cela ces dernières décennies. Mais il ne faut pas oublier la souplesse, la fantaisie, l’ouverture qui facilitent l’apprentissage. La discipline ne doit jamais conduire à casser l’enfant, à l’humilier, à étouffer ses dons. Tout l’art de la pédagogie est d’aider l’enfant à construire sa personnalité, à lui révéler à lui-même des talents qu’il ignore.
Les écoles chrétiennes indépendantes valorisent souvent l’aspect religieux. Quelle place leur conseillez-vous d’y accorder ?
Je me souviens avoir été un jour furieuse, très furieuse ! Un soir, j’assurais du soutien scolaire ; un enfant était tout penaud. L’explication ? Sa maîtresse lui avait donné à recopier cinq fois sa leçon sur l’Esprit-Saint car il ne la connaissait pas suffisamment ! C’est bien plus qu’une aberration ! Pensez-vous que cela puisse conduire ce garçon à aimer l’Esprit-Saint ? L’environnement de foi n’a qu’un objectif : que les enfants sachent que Dieu les aime et les aimera jusqu’au bout, toujours. Un jour, j’ai croisé un CM dans la cour. Il m’a dit : « Ma sœur, je suis aimé de Dieu pour toujours ! ». Voilà la réussite !
Dans la catéchèse, on peut donner un peu de contenu à apprendre par cœur mais certainement pas au même niveau que les matières comme l’histoire ou le français.
En quoi doit, à votre avis, consister la prière du matin dans une école chrétienne hors contrat ?
Ce n’est pas avec la longueur qu’on va gagner. Un Notre Père, une offrande de sa journée, une invocation… c’est suffisant. Rien ne sert d’en rajouter.
Et quand une messe est proposée, il ne faut pas prolonger l’action de grâce ou multiplier les chants. Nous vivons à une époque où il y a beaucoup de bruit. Nos enfants ont besoin de messes pas trop longues qui offrent du calme, du silence, du recueillement.
Vous connaissez bien l’univers des écoles indépendantes. À quoi doivent-elles être attentives ?
Elles doivent veiller à la pression des parents qui est parfois très forte. Ils peuvent parfois demander beaucoup et trop dans l’enseignement, la discipline, le religieux. Les directions et enseignants doivent bien garder le cap et en revenir à quelque chose parfois bien oublié : le bons sens ! Le bon sens pour doser la quantité de travail, doser les exigences, favoriser l’épanouissement de l’enfant.
Les écoles hors contrat ont-elles de l’avenir ?
Je connais beaucoup d’écoles indépendantes qui font très souvent du très bon travail pour les enfants. Ce mode d’enseignement en petits effectifs devrait encore beaucoup se développer dans les prochaines années.
Témoignage recueilli par Bertrand Lethu.