Alors que « la viabilité économique des écoles rurales se pose », selon Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, « il faut inventer un autre modèle » scolaire, explique-t-elle dans une tribune au « Monde ».
Par Anne Coffinier Publié le 25 juin 2019 dans le journal Le Monde
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Chacun pressent qu’une école n’est pas un service comme un autre. C’est la composante centrale et première d’un écosystème social. Bien souvent, l’école fait office de point d’ancrage de la vie économique et culturelle locale. C’est encore le cas, quand l’école communale devient le cœur battant d’une intercommunalité et qu’elle se mue en forteresse politique à défendre et à protéger contre les velléités de regroupement de classes ou d’établissements. C’est cette fonction sociale de l’école que l’administration néglige, non par volonté de mal faire, mais parce qu’elle n’est pas sur le terrain pour mesurer l’ensemble des effets des fermetures de classes comme des fermetures d’école.
Que l’école ferme, le village meurt et le lien social se défait. Les jeunes familles déménagent et l’activité économique et culturelle suit fatalement le même chemin. Mort des territoires. Son maintien est donc une nécessité pour l’aménagement du territoire.
« Inventer un autre modèle »
Sans doute n’est-il pas possible d’avoir 36 000 écoles comme on a 36 000 communes, mais on doit voir leur implantation comme une nécessité politique pour permettre à la population qui veut vivre hors des agglomérations de le faire, pour le bien de l’ensemble de la population attachée à la vitalité de son territoire.
On ne peut donc pas aborder la question de l’école rurale principalement sous l’angle budgétaire, en « rationalisant » la carte scolaire, pudique expression pour désigner les fermetures et les regroupements d’écoles conduisant à l’explosion du temps de transport scolaire et à la création d’établissements sans âme.
Pour autant, s’il faut maintenir dans le plus de communes possible la continuité du service scolaire, l’expérience montre que c’est bien difficile que cela passe par le maintien d’une offre scolaire publique classique. Il faut inventer un autre modèle. Les écoles indépendantes peuvent-elles sauver l’école rurale ?
Les écoles rurales publiques ont été des laboratoires d’innovation depuis toujours : multiniveau, travail par groupes, pédagogie du projet tirant profit des spécificités du territoire local, centralité du maître, mobilisation des ressources numériques pour palier l’éloignement géographique par rapport aux professeurs ou aux ressources culturelles… C’est sur cette expérience de divergence par rapport au modèle ordinaire d’école publique urbaine qu’il faut capitaliser aujourd’hui pour inventer l’école rurale de demain.
Ce processus passe notamment par la mobilisation accrue de la société civile du territoire concerné, en développant des écoles indépendantes pour assurer la continuité du service éducatif en l’adaptant au plus près des besoins du territoire.
Dans plusieurs communes, des classes, des écoles ont ouvert quand d’autres établissements fermaient. Qui n’a pas entendu parler de Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire), où, confronté à la perspective d’une disparition pure et simple de l’école de la municipalité, le maire s’est largement investi dans la création d’une école indépendante ? Fondée sur la pédagogie de Maria Montessori, l’école devrait accueillir les enfants selon des tarifs différenciés, en fonction des moyens des familles. A Préchac-sur-Adour, dans le département du Gers, des parents d’élèves ont ressuscité l’école du village en lui donnant un statut associatif, payant certes, mais qui a permis d’assurer la continuité du service étendu à la population. Mieux encore : à Molières, dans le Lot, l’école n’est pas seulement indépendante, elle est aussi gratuite, après que les familles ont sauvé l’école communale d’une mort annoncée, la reprenant sous forme d’association à but non lucratif.
Ces initiatives tendent à se multiplier. Elles présentent des atouts : libres des méthodes pédagogiques, elles peuvent aussi adapter les programmes scolaires et les matières enseignées pour servir un projet affirmé, alors susceptible d’attirer plus de familles. Dimension écocitoyenne, écologique ; mobilisation de bénévoles capables d’apporter leur savoir-faire et d’ouvrir l’horizon des élèves ; sollicitation d’acteurs économiques ou culturels locaux renforçant l’ancrage local de ces écoles ; recours privilégié au e-learning et au tutorat individualisé…
Mais ces écoles indépendantes se heurtent souvent au scepticisme des services de l’Etat, très mal à l’aise avec l’idée d’écoles issues de la société civile ou reposant sur des approches pédagogiques différentes de celles de l’Education nationale.
« Querelles de clochers »
Si l’Etat hésite encore, sur le terrain et dans les faits, l’approche idéologique qui conduit à l’opposition stérile entre école privée et école publique, a fortiori quand l’école privée est indépendante, a été purement et simplement abandonnée. C’est la capacité à maintenir une école attrayante au cœur des territoires qui compte, plus le statut public ou privé de l’école. La société civile prend toute sa place dans la lutte pour sauvegarder l’école communale, à rebours des querelles de clochers et des combats d’arrière-garde.
A La Fère, dans le département de l’Aisne, le Cours Clovis fête ses deux ans à la rentrée. Soutenu par la Fondation espérance ruralités, qu’abrite la Fondation pour l’école, cet établissement se développe solidement. Il ne prétend pas lutter contre la désertification rurale. Ce qui l’intéresse, c’est de donner une instruction solide et une ambition pour la vie à des populations scolaires qui s’interdisent trop souvent de croire en elles. Indépendant, le Cours Clovis agit en bonne intelligence avec les services de l’Etat, pour garantir le respect du socle commun des connaissances et l’acquisition par les élèves des savoirs nécessaires à leur bonne formation et à leur épanouissement. Tous les espoirs sont donc permis !
Anne Coffinier (Directrice générale de la Fondation pour l’école)