Une vision pacifiée, souvent diachronique et thématique du conflit, telle est la tendance générale autour de laquelle s’organisent les ouvrages documentaires. L’évocation de la vie quotidienne, celle du Poilu comme celle de l’arrière, l’emporte sur l’histoire événementielle des grandes phases du conflit. Les auteurs citent, en passant, les noms des « grands hommes », généraux ou personnages exemplaires, tels Pétain ou Guynemer. Le véritable héros, c’est le fantassin anonyme, le Soldat inconnu. De plus, ces ouvrages, s’adressant aux enfants, laissent une large place à la description de la vie des familles dont les pères sont au front. Il en est de même des romans, souvent inspirés des lettres ou des journaux des soldats : rappelons que plus de dix milliards de lettres ont été échangées entre les poilus et leurs familles et que bon nombre ont été retrouvées dans les greniers et les archives familiales : de quoi alimenter les romanciers en quête de « petits faits vrais ».
Un livre pour aider les parents et les enseignants à répondre aux questions des enfants
« La Première Guerre mondiale a éclaté il y a cent ans. C’est loin, presque la préhistoire dans l’esprit des enfants ! », constate Sophie Lamoureux, en introduction à l’ouvrage Comment parler de la Grande Guerre aux enfants ? (Editions Le Baron Perché, 2013, 109 p., 16 €).
Mais leurs parents, qu’en savent-ils exactement ? Quels souvenirs leur restent-ils de leurs cours d’histoire ou des récits de leurs aïeux ? Dix grands chapitres permettent de répondre à une série de questions – dont le libellé n’est hélas pas toujours syntaxiquement très correct –sur la mobilisation, les grandes batailles, les tranchées, la signature de la paix, le soldat inconnu… Les réponses, très claires, sont organisées par tranches d’âge, 5-7 ans, 8-10 ans, 11-13 ans, selon leur degré de complexité et d’abstraction. L’auteur précise « qu’il n’y a pas les bons d’un côté et les salauds de l’autre » et qu’il faut développer son sens critique. Une salutaire recherche d’objectivité. L’ouvrage se termine sur une brève chronologie, des biographies (Clemenceau, Falkenhayn, Foch, Hindenburg, Haig, Hindenburg, Lindendorff, Joffre, Nivelle et Pétain), et des ressources documentaires.
Deux thématiques sont néanmoins à remettre en perspective : la part des « coloniaux » et les « fusillés pour l’exemple ». Pour les premiers, il sera bon de rappeler que bon nombre de soldats « coloniaux » étaient des colons et non des « indigènes » et qu’ils ne sont pas tous montés en première ligne. Si l’espionnage et les mutineries – c’est le motif le plus fréquent de passage en conseil de guerre –, sont des sujets épineux, reste à savoir si les monter en épingle valorise vraiment le pacifisme.
Un documentaire ludique et pédagogique : 100 questions-réponses pour le centenaire 14-18
Où se situe l’extrême avancée des troupes allemandes durant leur offensive de 1914 ? » ; « En avril 1915 apparaît la célèbre tenue gris-bleu des poilus dite ‘bleu horizon’. Pourquoi ce nom ? » ; « Quelle est l’origine du terme ‘Boche’ ? » Autant de questions auxquelles Grégoire Thonnat donne des réponses claires et concises, dans Le petit quizz de la Grande Guerre – Les 100 questions-réponses pour le centenaire 14-18 (Editions Pierre de Taillac, 2013, 152 p., 4,90 €). Ce petit volume – petit par la taille, celle d’un paquet de cigarettes – est idéal pour donner des repères simples aux adolescents. Le contenu en deux parties offre, d’une part, les 100 questions /réponses clefs qui couvrent l’essentiel du sujet : questions générales, anecdotes, et chiffres mis en perspective. La seconde partie est composée d’une chronologie des principaux événements du conflit ainsi que d’une sélection des principaux livres et films et également des sites et lieux de mémoire majeurs où se recueillir et méditer. La frise qui court en ombres chinoises en bas de page, très esthétique, illustre, avec une discrétion et une élégance de bon aloi, chaque événement cité. L’ouvrage est préfacé par Jean-Jacques Becker, professeur émérite à l’université Paris X-Nanterre et président d’honneur du Centre de recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne.
« Le papa de Jules est un héros », ou la guerre de 14-18 racontée aux enfants
« Le samedi 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. A 16 heures, le gouvernement français décide de mobiliser, de rassembler les soldats en vue de la guerre. Aussitôt, dans tout le pays, une proclamation est affichée sur les murs. Chacun peut y lire ces mots : ‘Ordre de mobilisation générale’. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France. » Sans être à proprement parler un « manuel scolaire », La Guerre de 14-18 racontée aux enfants, présentée par Philippe Godard, (De La Martinière Jeunesse, 2014, 70 p., 14,50 €) explique de manière très claire les origines, les enjeux et le déroulement du conflit. Chaque double page évoque un point précis : « les pères au front », « Verdun », « les armes nouvelles »… Les jeunes lecteurs, dès 8 ans, feront connaissance avec des enfants dans la guerre : Jules, Raymond et Ginette, mais aussi le jeune Allemand Gustav ou Margarete, la petite Alsacienne qui pique une cocarde tricolore dans sa grande coiffe.
Cet album, édité en collaboration avec l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, donne la part belle à l’illustration : photos prises sur le front ou à l’arrière, affiches de propagande, caricatures de presse, croquis griffonnés à la hâte au fond de la tranchée, cartes postales, jeux de société… la guerre est partout.
Une adolescente dans la guerre : roman historique et roman de formation
Sophie Humann, dans Infirmière pendant la Première Guerre mondiale, journal de Geneviève Darfeuil, Houlgate-Paris, 1914-1918 (Gallimard Jeunesse, coll. « Mon histoire », 2012, 160 p., 9,95 €), a choisi de raconter la vie quotidienne d’une adolescente aisée au début du XIXe siècle. Son récit, à lire dès 12 ans, montre comment la guerre va faire de Geneviève, collégienne un peu futile, une jeune infirmière courageuse.
« Mercredi 25 novembre 1914 – Maman m’apprend à tricoter. J’ai commencé un cache-nez pour André. Le froid arrive : il faut penser à équiper nos soldats. Les journaux disent qu’ils ont creusé des tranchées et s’enterrent pour se protéger de l’ennemi. » Le papa, chirurgien, se dépense sans compter ; de ses trois frères, André est officier, Henri brancardier, le plus jeune, Jules, encore collégien. Henri meurt d’une balle perdue en juin 1915. Son frère André, gazé, s’éteint au printemps 1919. Avec sa mère, Geneviève s’efforce d’aider les soldats, puis obtient la permission de devenir infirmière. Dignité, compassion, engagement, discrétion, abnégation, vocation : il en fallait pour vivre « à l’arrière » quand chaque journée apportait son lot de deuils et de chagrins – pas question de se révolter ni même de pleurnicher. Un roman très bien documenté et très vivant, où chaque détail fait naître l’émotion, du parfum des glycines à la « petite croix rouge » brodée sur la première blouse blanche.
Des lettres trouvées au grenier, ou comment transmettre la mémoire
Au cœur du roman de Véronique Duchâteau, Le Petit Cœur rouge (Artège Editions, 160 p., 10, 90 €), une série de lettres – imaginaires – écrites par un Poilu depuis le front, où alternent périodes de combat et de repos.
« Jeudi 7 janvier 1915 – Ma chère Marie, comment te remercier pour le colis que tu m’as envoyé comme étrennes ? Je t’assure que cela améliore bien mon ordinaire et celui des copains, mais j’espère que tu ne te prives pas trop pour moi. […] Cette nuit, comme les précédentes, nous allons tendre des barbelés devant nos positions. Crois-moi que ce n’est pas facile dans la nuit noire. » Voici ce que Rémi, fantassin au 63e d’Infanterie, écrit à Marie, sa jeune épouse restée à la ferme. Une lettre parmi tant d’autres, pieusement conservées et découvertes, un beau jour de l’été 1965, par sa petite-fille Sophie. Rémi était tombé au champ d’honneur le 5 mai 1915, et Grand-Mère en avait gardé le souvenir secret. Quelques années plus tard, la jeune veuve avait épousé Jean-Baptiste, le très pieux ami de régiment de son défunt mari. Au-delà de cette description de la guerre, lettres et confidences vont lier la jeune adolescente et sa grand-mère, tant il est vrai que la transmission de la mémoire est, dans les familles, affaire de femmes. Véronique Duchâteau évoque aussi dans ce roman le culte du Sacré-Cœur. Ce « petit cœur rouge », symbole de leur foi, les soldats, dans les tranchées, le sculptaient dans des douilles d’obus ou le cousaient sur le revers de leur capote. Ce roman très fin, à conseiller dès 11 ans, ne transige pas sur la réalité historique et montre bien la répercussion qu’eut ce conflit sur la vie quotidienne des familles.
Les écrivains dans la Grande Guerre
« Bécassine chez les Alliés », « Patapoufs et Filifers » d’André Maurois et d’autres rééditions de circonstance pourront être lus avec curiosité par les enfants – et avec nostalgie par leurs anciens. Une fois dépassée l’appréhension de se trouver confrontés à l’horreur des combats et à la mort, les collégiens et les lycéens feront leur miel des grandes œuvres littéraires inspirées par la Première Guerre mondiale. En premier lieu, l’admirable Ceux de 14 de Maurice Genevoix (belle réédition commentée chez Flammarion, 2013, 953 p., 25 €) : certes l’ouvrage est un « pavé », mais la beauté de la langue et la qualité historique et humaine de ce témoignage en rendent la lecture passionnante.
Il serait également bien dommage de considérer comme de simples « œuvres au programme » avec tous les sous-entendus et les préjugés de circonstance, des œuvres aussi prenantes que les Calligrammes d’Apollinaire, Orages d’acier d’Ernst Jünger (engagé comme Genevoix dans les terribles combats des Éparges, mais côté allemand), Les Croix de bois de Roland Dorgelès, A l’Ouest rien de nouveau, d’Erich Maria Remarque, voire Le Feu, d’Henri Barbusse, La Main coupée de Blaise Cendrars, ou Le Grand Troupeau de Jean Giono.
Un Hors Série du Figaro (juin 2013) présente les plus célèbres de ces écrivains, leur expérience de la guerre et la manière dont ils l’ont transcendée dans leurs récits, leurs romans, leurs mémoires.
Les souvenirs familiaux
Si ces écrivains ont acquis une grande notoriété, il n’en reste pas moins que des milliers d’inconnus ont écrit des lettres et des mémoires, pieusement conservées par leurs descendants, aujourd’hui grands-parents. Il ne faut pas hésiter à les sortir des greniers et des cartons, à les faire lire autour de soi, car cette mémoire familiale est la plus proche des enfants.
Parcourir les hauts lieux de la Grande Guerre reste aussi une expérience bouleversante : le Chemin des Dames, Verdun, Douaumont, les Éparges, la butte de Vauquois, le Vieil Armand… De brèves haltes recueillies devant les plus humbles monuments aux morts de nos villages feront revivre les noms de nos aïeux fauchés dans leur belle jeunesse.